Julien, vous avez étudié aux Beaux-Arts d’Épinal et à La Poudrière (école du film d’animation) avant de collaborer à de nombreux longs métrages (décorateur sur Brendan et le secret de Kells, animateur sur Ernest et Célestine, story-boarder sur Le Tableau et J’ai perdu mon corps). Claire, vous avez travaillé à l’écriture de séries (Titeuf, Atout 5) et de films (Tout en haut du monde, Cigarettes et chocolat chaud). Quand et comment vos deux parcours se sont croisés ?
Julien Bisaro : On s’est rencontrés à La Poudrière où Claire était intervenante en scénario et moi étudiant. Mais notre première collaboration artistique a eu lieu pour mon premier court métrage, Bang Bang ! en 2014. J’avais commencé à développer le concept et l’histoire avant de ressentir le besoin de travailler avec un scénariste. Et c’est là que j’ai fait appel à Claire.
Claire Paoletti : Pour ma part, je ne connaissais rien à l’animation avant de travailler pour le service jeunesse de France 2 et France 3. Là, j’ai vraiment eu un coup de cœur pour cette discipline que ma rencontre avec l’école de La Poudrière a alimentée. J’ai donc accepté avec enthousiasme la proposition de Julien.
À quel moment commencez-vous à parler ensemble de L’Odyssée de Choum ?
Julien Bisaro : Tout part d’une commande de Google qui voulait développer des films en VR sur téléphone. On devait proposer un concept pour un trois minutes et on a imaginé suivre une petite chouette qui éclot, découvre le bayou et part à la recherche d’une maman. Une histoire très immersive. Au final ce projet n’a pas pu voir le jour, mais on a trouvé que c’était un bon concept de film et on a décidé de le développer dans un format de 26 minutes, en créant notre société de production Picolo Pictures en 2016.
Claire Paoletti : On avait envie d’avoir plus d’espace pour prendre le temps de raconter une histoire tout en restant dans le format d’un court.
Julien Bisaro : On voulait aussi un film qui s’adresse aux plus petits. Et ce format était idéal par rapport à l’attention qu’ils peuvent avoir.
Avez-vous une méthode pour écrire pour les plus petits ?
Claire Paoletti : On est partis de l’idée de raconter une aventure autour de la naissance. À partir de là, notre travail a été d’abord de nous identifier à ces personnages qui découvrent le monde et la nature, vierges de toute expérience – comme des enfants face au monde – en partant à la recherche d’une maman. Puis de trouver le rythme interne du récit en adéquation avec le public à qui l’on s’adresse. On n’est donc jamais dans du martèlement d’action. On essaye de varier au maximum les situations : des moments de douceur, des moments de contemplation, des moments d’accélération… Une fois le scénario terminé, on a continué à reprendre les scènes et à les affiner jusqu’au bout du processus en profitant du fait que plus le temps passait, mieux on connaissait notre univers et nos personnages.
Le fait qu’il n’y ait quasiment aucun dialogue tout au long des 26 minutes participe-t-il à cette même logique d’écriture pour les plus jeunes ?
Julien Bisaro : Exactement. On avait envie de semi-réalisme. On ne voulait pas faire parler les animaux, mais pouvoir travailler la pantomime, les sons…
Claire Paoletti : Comme le film fait le tour du monde depuis un an, on s’aperçoit que cette absence de dialogues permet une universalité. Au point qu’on a eu des témoignages de gens ne parlant pas français qui, même s’ils n’ont pas compris le sens des mots dans les seuls dialogues de l’histoire échangés entre les enfants, en ont saisi le sens, pris par l’action. On ne peut rêver évidemment meilleur compliment.
Comment avez-vous construit l’animation ?
Julien Bisaro : L’animation de L’Odyssée de Choum s’inscrit dans la continuité de la manière dont j’aime raconter des histoires : une narration immersive et très peu frontale. J’aime raconter les espaces, sans doute parce que j’ai été touché petit par des films qui me racontaient des mondes.
Claire Paoletti : On a fait le choix d’une « mignonnerie » totalement assumée. (Rires.)
Julien Bisaro : Là encore, pour que le jeune spectateur puisse s’identifier au maximum à Choum et la suivre dans ses aventures.
L’animation et le scénario se développent en parallèle ?
Julien Bisaro : Oui. Je fais l’animatic en même temps qu’on écrit le scénario afin de tester sans délai toutes nos idées et de voir si on parvient à traduire ce que l’on veut par l’image. Du coup, notre période de développement est plus longue que la moyenne, pratiquement un an, où on jette et on réécrit.
Claire Paoletti : Julien développe aussi tout le graphisme en parallèle.
Julien Bisaro : Oui, car c’est la nécessité narrative qui me permet de finaliser le visuel. Ainsi, le personnage de Choum a évolué au fil du temps pour devenir une sorte de petit poussin, avec moins de pattes, plus de rondeur.
La musique constitue un autre personnage important de L’Odyssée de Choum. Comment avez-vous travaillé avec le compositeur David Reyes ?
Julien Bisaro : C’est Claire qui a eu l’idée de David. Il y a deux types de musiques à l’image. Des musiques à la façon de Pierre et le Loup où des instruments incarnent des personnages et traduisent leurs sentiments, et des musiques qui englobent des séquences par-delà les actions de nos personnages.
Claire Paoletti : Choisir David correspondait aussi à notre désir d’une musique orchestrale classique, en s’appuyant sur de vrais instruments…
Julien Bisaro : … car leurs imperfections rajoutent de la chaleur au son.
Claire Paoletti : Cela a été possible grâce à une coproduction avec la Belgique via Bardaf ! Productions. Grâce à eux, nous sommes allés enregistrer à Flagey, un auditorium réputé de Bruxelles. C’était un moment assez magique à vivre avec une vingtaine de musiciens, dirigés par David, qui est aussi chef d’orchestre, et rejoints par sa sœur Éliane, pianiste concertiste, qui nous a fait la faveur d’interpréter les parties au piano.
Avez-vous déjà un autre projet en tête ?
Claire Paoletti : Oui. On est encore au tout début de l’écriture et du développement mais on a envie de poursuivre cette réflexion de fond sur cette approche du jeune public qui nous a passionnés et de proposer une nouvelle histoire à hauteur d’animaux. Le format sera un peu plus long.
Julien Bisaro : Sans doute un moyen métrage.
Claire Paoletti : Mais on est encore en phase de recherche, donc on se laisse la liberté de trouver le bon format pour ce que l’on souhaite raconter.
Julien Bisaro : On a précisément créé notre société de production pour éviter tout formatage préalable.
L’ODYSSÉE DE CHOUM