« Swimming Pool » de François Ozon

« Swimming Pool » de François Ozon

27 août 2021
Cinéma
Swimming Pool (c) Mars Distribution.jpg
"Swimming Pool" de François Ozon Mars Distribution

En 2003, deux ans après 8 femmes, son Cluedo cinéphile, François Ozon revient avec Swimming Pool, un film aussi lumineux que vénéneux, qui n’a rien perdu de sa troublante puissance.


Avec la sortie de 8 femmes à l’orée des années 2000, François Ozon s’impose enfin comme un cinéaste majeur. Ses films prototypes ont souvent séduit la critique, mais reste encore un peu confidentiels. Son Cluedo en jupon, coffre à jouets cinéphile autant que radiographie des passions féminines, est par contre un véritable succès commercial. Son gotha de stars aura réussi à ramener plus de 3,5 millions de spectateurs dans les salles. Pourtant, et il le reconnaîtra lui-même, le tournage de 8 femmes, suivi de l’extraordinaire battage médiatique, ont essoré le cinéaste. Le plaisir que procure le film tient notamment à l’insolence démiurgique d’Ozon qui aura voulu tout contrôler, explorer tous les possibles, multiplier les combinaisons, et pousser la machine jusqu’à l’emballement. Au risque de l’épuisement. Le metteur en scène a besoin d’une pause et décide de s’écarter pour quelque temps des plateaux.

Quand il sort enfin de sa retraite – plus d’un an après – François Ozon veut signer un film plus simple, moins fou, moins compliqué. Comme il le reconnaîtra à la sortie de Swimming Pool : « j’avais besoin d’intimité, je ne savais pas vraiment ce que je voulais réaliser, mais je savais que je désirais un tournage resserré, avec moins de personnages… moins de tensions. »

J'avais besoin d’intimité, je ne savais pas vraiment ce que je voulais réaliser, mais je savais que je désirais un tournage resserré, avec moins de personnages… moins de tensions.
François Ozon


À l’origine du film, on trouve sa passion pour les murder mysteries et pour les romancières anglaises. Depuis l’enfance, il aime les grandes dames de la littérature policière : Agatha Christie, Patricia Highsmith… Très vite, une idée germe. Il imagine le quotidien de Sarah Morton, une vieille fille coincée, auteure de polars à succès. « Au départ, j’avais uniquement pensé à Charlotte [Rampling] et à ce personnage, confiait-il au journal Libération au moment de la sortie. Je lui ai parlé d’une idée de film autour d’une romancière, une femme mal embouchée, un peu alcoolique, un rôle qui lui offrait la possibilité de composer. Si elle m’avait dit non, je n’aurais pas fait le film. » Mais pour son histoire, il a également besoin d’un détonateur. À l’écriture, il oppose le personnage de la romancière au fils de son éditeur. « Je me suis vite rendu compte qu’il était plus intéressant d’avoir une jeune fille, parce qu’un jeune homme aurait trop sexualisé l’intrigue. » Il échafaude alors l’irruption de Julie, Lolita délurée mais mal aimée, qui va perturber puis inspirer l’écrivaine.

Il écrit le film avec sa partenaire Emmanuèle Bernheim et se renseigne sur ces romancières qui se délectent à décrire des situations horribles ou des personnages affreux ; il interroge l’écrivain et critique François Rivière et découvre ce que cachent ces vieilles excentriques. « François m’a donné quelques clés. Beaucoup d’entre elles étaient alcooliques ; certaines étaient fascinées par les perversions… » Avant le tournage, il envoie même son script à Ruth Rendell pour qu’elle lui donne son avis et lui demande d’imaginer le roman que Sarah est en train d’écrire. Le refus cinglant de Rendell (« Je n’ai pas l’habitude qu’on me dise quoi écrire ») amusera le réalisateur et sa coscénariste et les confortera dans leur description chirurgicale de l’écrivaine…

Une fois le script finalisé, vient le casting. Pour ce duel aussi sensuel que meurtrier, Ozon a des idées très précises. « Après 8 femmes, j’avais besoin de me reposer sur des actrices que je connaissais » expliquait le cinéaste à Cannes. Après l’emploi quasi documentaire de Charlotte Rampling dans Sous le sable, il veut offrir à la star anglaise un formidable rôle de composition. La comédienne accepte et se coule facilement dans ce personnage complexe. Pour le rôle de Julie, il pense à Ludivine Sagnier. Sa relation avec la jeune actrice remonte à la fin des années 90. Ozon découvre par hasard Acide animé, le court métrage de Guillaume Bréaud où l’interprétation de Sagnier (qui campe une ado téméraire et provocante) retient son attention. Coïncidence, son personnage s’appelle Anna comme celui qu’il décide immédiatement de lui confier dans son adaptation (dé)culottée d’une pièce de Fassbinder, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. « En la découvrant dans Acide Animé, se souviendra François Ozon dans le magazine Première, j’avais décelé une voix, une moue, une attitude. Je l’ai prise pour ce qu’elle dégageait. » Leur relation d’amitié, de fusion artistique se noue au fil des tournages. « Dans 8 femmes, c’était mon double, continuait Ozon. C’était l’observatrice des événements. Elle composait, bien plus que dans Gouttes d’eau où sa vraie nature se confondait avec celle du personnage. Dans Swimming Pool, j’avais décidé de jouer avec son image. » Le cinéaste se sent aussi redevable : « Je savais que Ludivine avait un peu souffert pendant le tournage de 8 femmes. J’avais prêté plus d’attention aux autres actrices – parce que je ne les connaissais pas. Et dans 8 femmes, elle incarnait un garçon manqué. Pour Swimming Pool, je voulais la gâter et lui confier un rôle plus valorisant aussi. Un rôle sexy, glamour. » L’actrice s’entraînera physiquement pour ressembler à Julie, cette « Marilyn du sud de la France » comme la qualifiera Ozon.

Le tournage se déroule sous les meilleurs auspices. Réalisé rapidement, en plein mois de juin dans le Luberon, avec une équipe légère, c’est un moment de grâce. Charlotte Rampling confiait au moment de la sortie du film : « François est quelqu’un de très encourageant. Il vous place dans un rapport d’amitié et de joie, il cherche la bonne humeur de son équipe et des acteurs. » Quant à Ludivine Sagnier, elle insistait sur la dimension ludique des tournages d’Ozon.

Il ne théorise pas sur le cinéma pendant qu’il est en train de le faire, il est davantage dans le plaisir du jeu, comme un acteur. Cela doit être lié au fait qu’il cadre lui-même ses images, il fait partie intégrante de la scène au même titre que ses comédiens. Tout est évident.
Ludivine Sagnier


Le montage se déroule de manière aussi évidente ; c’est à la postproduction qu’Ozon décide de bousculer ses habitudes. D’ordinaire, il demande à son compositeur de musique attitré, Philippe Rombi, de composer la bande-son en voyant le film fini. Cette fois, il ne lui donne que le scénario. « Comme le film racontait l’écriture d’un livre, j’avais envie que la musique accompagne la réalisation du roman de Sarah. Au début, la mélodie est fragmentée et puis, progressivement, le thème apparaît. La bande-son accompagne l’évolution de l’histoire. » Encore mieux, les univers sonores imaginés par Rombi, les différents instruments utilisés, réussissent finalement à traduire l’étrange mélange opéré dans le film. Entre fantasme et huis clos, entre cérébralité et sensualité, Swimming Pool finit par mêler les deux faces de la filmographie de François Ozon. D’une part l’intimisme et le réalisme (ici incarnés par Charlotte Rampling), et d’autre part l’onirisme et la théâtralité (joués par Ludivine Sagnier). Le film sera présenté à Cannes et bénéficiera d’une belle carrière en salles (ramenant plus de 700 000 spectateurs).

Dans ce film solaire et léger, François Ozon réfléchissait sur la création, la vampirisation et la transmission. Des thèmes qui, depuis, habitent quasiment tous ses films et qu’on retrouvera dans son prochain long métrage Tout s’est bien passé.