Sergio Leone, à l’épreuve du temps

Sergio Leone, à l’épreuve du temps

11 octobre 2018
Cinéma
Il était une fois dans l'Ouest
Il était une fois dans l'Ouest Crédit Fondazione Cineteca di Bologna - Fondo Angelo Novi
Une exposition et une rétrospective à la Cinémathèque Française célèbrent cette figure tutélaire du western « spaghetti », jusqu’au 27 janvier 2019. Au-delà du genre, Sergio Leone a complétement réinventé la notion d’espace-temps à l’écran. Revue de quelques effectifs.

Pour une poignée de dollars (1966)

Remake avoué du film d’Akira Kurosawa Yojimbo, le garde du corps (1961), dont l’action est transposée dans l’Ouest américain, ce premier western de Leone introduit la figure de « l’homme sans nom » incarnée par Clint Eastwood. Eastwood avec son flegme pas encore légendaire, compose l’archétype du héros solitaire, mutique et efficace. L’action de Pour une poignée de dollars se concentre autour du conflit de deux bandes rivales pour le contrôle d’une ville près de la frontière mexicaine. Comme le samouraï de Kurosawa avant lui, le cow-boy de Leone, parvient à se faire accepter par les deux parties sans rien perdre de son indépendance ni de son but premier : survivre au milieu du chaos puis s’en aller. Un schéma que Leone reprendra dans la foulée avec Et pour quelques dollars de plus et perfectionnera avec Le bon, la brute et le truand.

Le Bon, la brute et le truand (1968)

Ce Bon, la Brute et le Truand clôt la trilogie dite du dollar. Eastwood y redresse une nouvelle fois plus ou moins les torts dans un Ouest sauvage et violent. Il partage l’affiche avec Lee van Cleef mais surtout le tempétueux Eli Wallach qui finit par éclipser les deux autres. L’action se déroule durant la Guerre de Sécession, l’Amérique est divisée, saccagée, sacrifiée. Dans cet Ouest devenu monstrueux, les hommes ne sont pas grand-chose et les femmes totalement absentes. Pour autant Sergio Leone s’emploie à faire de chacun d’eux, un territoire en soi, un îlot fragile au milieu des décombres. Le final dans le cimetière de Sad Hill avec les accords entêtants d’Ennio Morricone, est un sommet de l’art leonien.  La collaboration entre le cinéaste et Eastwood s’arrête là.

Il était une fois dans l’Ouest (1969)

« Je voulais réaliser un ballet de mort en prenant comme matériaux tous les mythes ordinaires du western traditionnel : le vengeur, le bandit romantique, le riche propriétaire, le criminel, la putain, explique Leone à Noël Simsolo dans Conversation avec Sergio Leone (Ramsay Poche Cinema). A partir de ces cinq symboles, je comptais montrer la naissance d'une nation. » A partir d’une trame a priori classique (des bandes rivales se disputent un territoire), Leone déploie, en effet, une véritable épopée biblique où l’humain est sans cesse mis à l’épreuve de lui-même et du territoire qui s’ouvre à lui. Ainsi l’arrivée sans cesse retardée du train au début du film et le duel qui se prépare, permettent tout à la fois de repenser l’idée même d’un Ouest sauvage bientôt souillé par un trop plein de civilisation et de placer ses personnages comme autant de pions sur un échiquier maléfique. Chef d’œuvre !

Il était une fois la Révolution (1972)

Leone poursuit son exploration de l’histoire américaine et déplace l’action au Mexique en 1913, pendant la révolution. Là encore, le cinéaste italien entend démontrer toute la violence et le cynisme qui guident les hommes. Les deux protagonistes, Juan Miranda (Rod Steiger) et Sean Mallory (James Coburn) vont ainsi profiter du combat noble pour la liberté et l’égalité qui se joue autour d’eux, pour mieux servir leurs propres intérêts. Sergio Leone à l’aide d’une mise en scène aussi gracieuse que complexe, multiplie les diatribes politiques, les discours humanistes et les situations volontiers grotesques, pour mieux révéler la grande part de mensonge qui régit les bouleversements politiques. Leone est un nihiliste.

Il était une fois en Amérique (1984)

Durant les flamboyantes années 20, au cœur du Lower East Side de Manhattan, une bande de gosses emmenée par le flegmatique Noodles et le tempétueux Max, va peu à peu faire sa loi chez les gangsters. Leone pousse ici dans ses retranchements le mode narratif classique. Les secondes, les minutes, les heures, perdent peu à peu de leur identité propre pour devenir des créatures hybrides qui encerclent les protagonistes. Ainsi ce prologue où un de Niro vieillissant, ivre d’opium, se perd au cœur de sa propre histoire tandis que résonne la sonnerie d’un téléphone comme un rappel à l’ordre du réel. La narration via de longs flashbacks nous fait voyager avec maestria sur plus de quatre décennies de fièvre mélancolique. Film baroque et crépusculaire, il a transcendé durablement la mise en scène. Il était une fois l’Amérique clôt l’œuvre de Sergio Leone qui décédera le 30 avril 1989.