Suzanne Marrot, transmetteur en scène

Suzanne Marrot, transmetteur en scène

13 juillet 2018
Suzanne  Marrot
Suzanne Marrot Suzanne Marrot

Formée au Cours Florent, Suzanne Marrot est comédienne, metteur en scène et enseignante. Elle a également entraîné et encadré les jeunes acteurs des deux premiers longs métrages de Deniz Gamze Ergüven, « Mustang » et « Kings » (tous deux aidés par le CNC). Portrait en six mots-clés.


Théâtre

« Le théâtre a toujours été une passion pour moi. Je suis entrée au Cours Florent, en 2001, à 24 ans. Je m'y suis formée pendant deux ans.  Je n'ai d'ailleurs jamais vraiment quitté le Cours Florent, puisque j'y suis professeur depuis maintenant 14 ans ! J'aime enseigner. J'adore la relation avec mes élèves, les voir progresser. La transmission est quelque chose d'essentiel à mes yeux. Tout ce que je peux transmettre, je le transmets. Le métier de comédien n'est pas inné, c'est surtout énormément de travail.»

Deniz Gamze Ergüven

« Nous nous sommes rencontrées en 2001, pendant un stage de jeu. Elle s'apprêtait à passer le concours de la Fémis, et rentrait de Johannesburg, où elle avait fait son mémoire d'Histoire.  Nous nous sommes très vite bien entendues et sommes restées amies. On se « reconnaît », je pense, c'est comme si nous étions de la même famille. J'ai joué dans certains de ses « films d'école », puis travaillé avec elle sur « Mustang » et « Kings ».  C'est une grande réalisatrice, très exigeante en terme de jeu d'acteurs. Et quelqu'un de très audacieux et tenace ! »

Mustang

« Deniz travaillait depuis des années sur le scénario de « Kings » mais n'arrivait pas à faire aboutir le projet, bien qu'il lui tienne très à cœur. Son scénario m'avait éblouie. Quand elle a réalisé que la production ne se ferait pas, elle a écrit « Mustang » comme un cheval de Troie, en voulant faire ce qu'on attend d'un premier film, avec fougue et détermination. Deniz a commencé son casting, puis a souhaité réunir les comédiennes principales à Istanbul et m'a demandé de les accompagner. A ce moment-là, il n'était pas encore question que je joue dans le film, ni que je coache les actrices. J'avais simplement été présente pour quelques essais avec l'une d'entre elles. Lors de cette rencontre à Istanbul, toutes les filles du casting final étaient présentes. Quatre d'entre elles n'avaient jamais joué. Nous avons fait beaucoup d'essais, en improvisation: je jouais une multitude de personnages, en français, et elles jouaient en turc. Nous avons également fait un petit atelier pour voir comme cela collait entre elles. Ça a marché ! Deniz a ensuite souhaité que je sois présente durant le tournage, pour jouer le rôle d'une tante et pour coacher les jeunes. »

Coaching

« En amont du tournage, nous avons fait beaucoup d'exercices de jeu. Quelque chose de très ludique, pour renforcer la cohésion du groupe, jouer ensemble, s'amuser. C'est une donnée essentielle pour moi, en tant qu'enseignante : il faut que le groupe soit bienveillant et sache travailler ensemble. L'objectif ? Qu'elles constituent un corps à 5 têtes ! Je ne parle pas un brin de turc. Et même aujourd'hui, je ne connais que les insultes ! Mais on parvenait tout de même à se comprendre, sans intermédiaire. J'avais déjà vécu cela en Chine, où j'avais monté une pièce avec des étudiants. La transmission d'énergie a fonctionné et suffi. Pendant le tournage, j'étais sur le plateau, et donnais les « impulsions » des scènes aux actrices. Deniz reste la chef et est d'ailleurs une très bonne directrice d'acteurs. Moi je suis hors-champ, je suis un relai, j'insuffle de l'énergie aux actrices, j'essaie de trouver des solutions en cas de difficulté ou de blocage, si l'acteur se décourage ou a perdu l'enjeu de la scène. Ça fonctionne avec Deniz parce qu'on se connaît bien. Pour ce type de travail, il faut se comprendre. Il y a un langage commun – de toute façon tout doit aller vite sur un plateau de cinéma, on a pas trop le temps de parler ! Il y a une part importante d'instinct, je dois sentir à quel moment il faut intervenir. L'expérience est importante et il faut une certaine sensibilité. C'est une activité que j'apprécie beaucoup et que je continue à exercer, y compris avec des acteurs adultes et des réalisateurs. »

Enfants acteurs

« Sur Kings, outre les 3 jeunes acteurs principaux, j'ai coaché un groupe d'apprentis comédiens âgés de 6 à 11 ans. C'était très étonnant : certains sont vraiment de petits adultes, qui restent des gamins, mais qui font leur métier et sont pros, savent comment fonctionne un tournage… Ils connaissent tous les rouages. L'un d'entre eux avait déjà, à 11 ans, la « Formation de l'acteur » de Stanislavski dans les mains ! Ce n'était pas forcément plus simple que pour « Mustang », car les filles de ce premier film étaient sages, bien élevées… Sur « Kings », tu avais déjà des petits égos ! Avec les trois plus âgés, qui ont une vingtaine d'années bien qu'ils interprètent des ados, nous avons pu faire davantage de travail de scène et sur les personnages ; moins d'impro, quelque chose de plus subtil et précis. »

Daniel Craig et Halle Berry

« Quand Daniel Craig est arrivé sur le tournage de Kings, je ne l'ai pas vu. Mais dès qu'il a bougé et commencé à jouer, je n'ai vu que lui. C'est vraiment ça, les acteurs : l'art d'allumer la lumière. C'est une énergie qui est assez impressionnante. Halle Berry m'a impressionnée aussi, par sa rigueur. Elle a une scène dans laquelle elle doit faire des gâteaux ? Elle arrive en connaissant la recette par cœur, et en maîtrisant parfaitement les gestes. Il n'y a pas besoin que quelqu'un lui ait dit de penser à s'entraîner. Cela peut sembler anecdotique, mais c'est très symbolique. Ils ne sont pas capricieux, et quand ils posent des questions, c'est vraiment pour mieux bosser les scènes. Ils veulent aller en profondeur. C'est une bonne leçon. Si tout le monde pouvait être aussi professionnel en France.... »

« Parcours en 5 dates clés »

1977 : Naissance
2001 : Entrée au Cours Florent
2014 : Coach et actrice dans « Mustang »
2017 : Coach sur « Kings »
2018 : Ecriture d'un documentaire

Une anecdote de tournage

C'est le souvenir qui m'a le plus marquée sur un tournage. Sur Mustang, lors de la scène du stade, je suis en fait toute seule sur la pelouse, il n'y a pas de match. Une première version avait été tournée pendant un vrai match mais ça ne marchait pas. On a donc tout retourné dans un petit stade, au nord de la Turquie. J'ai mis du Rage Against The Machine à fond les ballons, je me suis déchaînée dessus et les filles, dans les tribunes, devaient reproduire ce que je faisais. C'était épuisant, mais un grand moment de joie !