« The Father » doublement récompensé aux Oscars sort en salles

« The Father » doublement récompensé aux Oscars sort en salles

26 mai 2021
Cinéma
Anthony Hopkins et Florian Zeller sur le tournage de The Father
Anthony Hopkins et Florian Zeller sur le tournage de "The Father" Sean Gleason et Sony Pictures
L'auteur français Florian Zeller est l'un des grands gagnants de la 93e cérémonie des Oscars. Son film The Father, adapté de sa pièce de théâtre Le Père, est à découvrir en salles ce 26 mai. Florian Zeller et ses deux coproducteurs français, Philippe Carcassonne et Jean-Louis Livi, reviennent sur la genèse de ce film, l'histoire d’un vieil homme atteint d’Alzheimer (Anthony Hopkins) qui perd peu à peu pied sous les yeux de sa fille (Olivia Colman).

Florian, comment est née cette envie de réaliser votre premier long métrage  ?

Florian Zeller : Je rêvais de cinéma, mais il me fallait trouver le projet à la hauteur de l’énergie et de l’incroyable quantité de désir que cela implique. Le Père a été celui-là, de façon presque évidente. Quand j’ai commencé à écrire la pièce, je me suis connecté à une histoire personnelle : j’ai été élevé par ma grand-mère que j’ai accompagnée quand elle a traversé ce labyrinthe de démence sénile. Mais il ne s’agissait pas de raconter ma propre histoire. C’était davantage une façon de partager des émotions qui nous sont communes. Parce que tout le monde est concerné par ce sujet. Accompagner la pièce de théâtre à travers le monde et entendre ses spectateurs partager leurs histoires à l’issue des représentations m’a conforté dans cette idée. Je sentais que cela pouvait devenir une expérience cinématographique.

Pourquoi avoir choisi de tourner le film en langue anglaise  ?

FZ :

J'ai choisi de tourner en anglais parce que mon rêve s’est tout de suite cristallisé sur Anthony Hopkins. Au-delà de l’admiration que je lui porte, il allait y avoir quelque chose de déstabilisant à regarder celui qui a beaucoup joué des personnages dans le contrôle… perdre peu à peu ce contrôle.

C’est exactement l’expérience que je souhaitais proposer aux spectateurs  : perdre étape par étape quelqu’un qui nous est familier.

Pourquoi alors être allé voir des producteurs français pour un projet en langue anglaise ?

FZ : Je trouvais sécurisant de pouvoir développer ce projet auprès de producteurs que je connaissais, qui véhiculent et défendent cette idée très française de la place qu’occupe un metteur en scène dans un projet de cinéma. À savoir qu’il est réellement l’auteur du film qu’il réalise et en possède le final cut. Cette tradition qui nous est chère en France ne va pas de soi ailleurs.

Jean-Louis Livi : Singulièrement pour un premier film  !

FZ : Or, si je ne pouvais pas faire le film que j’avais précisément en tête, ce projet perdait tout intérêt pour moi.

Philippe Carcassonne : Si la loi française protège l’auteur et lui donne de facto le final cut, aucun film anglo-saxon d’une certaine ampleur ne se fait sans garantie sur la fin du film. Ce qui signifie que le final cut ne peut pas être laissé au réalisateur. The Father ne pouvait pas échapper à cette règle, mais il n’était pas question pour nous de voir Florian dessaisi de son droit. Nous sommes parvenus à convaincre les personnes concernées que le final cut serait remis à une sorte de panel dans lequel les producteurs français allaient avoir la majorité. Florian nous a donc transféré son montage final. Nous nous étions engagés à ne rien faire d’autre que ce qu’il nous autoriserait à faire. Cela témoigne de la confiance réciproque qui nous unissait.

Quelles ont été vos premières réactions quand Florian Zeller est venu vous parler de ce projet ?

JLL : J’avais eu la chance de produire sa première pièce, L’Autre (2004) et son premier court métrage, Nos dernières frivolités (2008). Florian a donc eu la classe de me demander de produire son premier long. Quand il m’a parlé de son désir d’adapter Le Père avec Anthony Hopkins, je lui ai immédiatement dit oui, mais que je souhaitais m’associer à mon ami Philippe Carcassonne qui a une connaissance exhaustive –  grâce à plusieurs de ses productions  – de ce monde anglo-saxon auquel nous allions nous confronter. Tout en sachant évidemment qu’on ne partait pas de zéro, tant la pièce a connu un triomphe international.

PC : Jean-Louis Livi et moi avions déjà produit Floride de Philippe Le Guay qui est une libre adaptation du Père. Et il se trouve que six  mois avant que Florian n’appelle Jean-Louis, je l’avais joint pour lui dire que j’avais été contacté par des Anglais qui souhaitaient faire une adaptation du Père à travers un remake de Floride. Florian m’avait alors demandé de ne pas trop laisser la porte ouverte… sans plus de précision. Il avait déjà en tête l’idée de s’en charger lui-même.

Comment se construit le financement d’un projet aussi atypique ?

JLL : Le film étant en anglais, nous savions que le droit à l’avance sur recettes nous serait interdit. Mais nous n’avions pas prévu que toutes les chaînes de télévision s’abstiendraient, à l’exception notoire de Canal+. On a donc rencontré de sérieuses difficultés à financer le film, mais on n’a jamais perdu notre enthousiasme. S’appuyer sur la détermination implacable de Florian, sur le choix effectué par Philippe d’un coproducteur anglais absolument parfait, David Parfitt (Shakespeare in Love), confortait notre confiance.

PC : On a fait un casting de producteurs et Florian nous a demandé d’y inclure Simon Friend, le producteur de ses pièces à Londres. Je l’ai donc rencontré, mais comme il n’avait aucune expérience dans le cinéma, je lui ai tout de suite indiqué que ça ne serait pas lui. Mais Simon avait anticipé ma réaction  : il m’a expliqué s’être associé avec David Parfitt que je connaissais depuis longtemps. Jean-Louis et moi avions déjà financé le développement du film et engagé Christopher Hampton pour adapter en anglais le scénario de Florian comme il l’avait fait pour la pièce. Mais, honnêtement, quand Florian nous a parlé d’Anthony Hopkins, on était certain qu’il allait refuser et qu’on repartirait sur d’autres bases. Sauf qu’Anthony Hopkins nous a fait savoir son envie de rencontrer Florian. Et que suite à cette rencontre, il a donné son accord.

JLL : À partir de ce moment-là, et après l’accord d’Olivia Colman pour jouer la fille d’Anthony Hopkins, on a cru un temps que les choses allaient être plus faciles…

Pourquoi ça n’a pas été le cas ?

PC : Outre Canal+, seul Orange Studio est venu nous rejoindre dès le départ, grâce au regretté David Kessler, et n’a jamais retiré sa confiance au film, s’engageant comme coproducteur et distributeur du film en France. Dans la foulée, on a trouvé un partenaire étranger via une société de vente internationale basée en France, mais celui-ci nous a fait faux bond soudainement, alors qu’on avait déjà lancé la préparation du film. On a donc demandé à nos partenaires anglais s’ils se sentaient capables de monter le film financièrement sur le duo Hopkins-Colman. Ils nous ont répondu oui, mais que cela prendrait du temps. Parce que le processus juridique britannique est très long  : un système extrêmement « avocatisé », peuplé de pompiers pyromanes  ! On dépense beaucoup de temps et d’argent à se protéger de catastrophes improbables qui, dans la vraie vie, surviennent une fois sur mille. Comme s’ils appliquaient à des films d’auteur les méthodes employées pour des blockbusters à 400 millions de dollars. Or Olivia Colman n’avait que trois semaines libres entre les tournages de The Crown. Le tournage de The Father devait donc débuter le 13 mai 2019 sans quoi on la perdait. Et je commençais à voir avec inquiétude le moment où on n’allait pas réussir à concrétiser à temps le financement selon la méthode anglo-saxonne.

Comment cela s’est-il débloqué ?

PC : Grâce à l’arrivée de Christophe Spadone, qui avait déjà investi dans des films que je produisais. Je lui ai expliqué la situation. Il a pris les choses en mains en faisant un apport important qui a permis au film de se tourner dans les délais.

FZ : Honnêtement, je n’aurais jamais pensé que ce soit si difficile de financer un film réunissant Anthony Hopkins et Olivia Colman. C’est là qu’on comprend à quel point la France est un pays de cinéma qui accompagne énormément les artistes avec des aides précieuses pour ne pas dépendre de la seule logique du marché.

PC : Ces difficultés ne m’ont pas complètement surpris. Le sujet est difficile, il s’agit d’un premier film réalisé par un Français et les stars ne suffisent plus aujourd’hui pour ce genre de projet. The Father coûte 6 millions d’euros. Soit le pire des montants pour l’industrie du cinéma anglo-saxon. Pas assez cher pour rentrer dans un système de studios, ce que son sujet n’aurait de toute façon pas permis, et trop coûteux par rapport à leurs films indépendants habituels. Voilà pourquoi, en effet, le système français est indispensable. Il n’y a plus qu’en France qu’on peut faire des films d’auteur avec des stars et des moyens de production significatifs. Ailleurs, ce cinéma, qui a pourtant nourri le patrimoine mondial, a pratiquement disparu.

Avez-vous pensé à un moment que The Father ne verrait jamais le jour ?

PC : Chaque jour, jusqu’à la veille du tournage  !

FZ : On a plusieurs fois cru toucher au but sans aboutir. On a donc eu énormément de doutes jusqu’au dernier moment de cette aventure, qui a duré plus d’un an et demi.

JLL : On désespère mais on espère toujours. Il nous était interdit de ne pas réussir.

Quelles images gardez-vous du tournage ?

PC : Ce qui m’a frappé c’est la vitesse avec laquelle Florian a compris tous les enjeux et la complexité du processus. En particulier dans la gestion des acteurs. Si les critiques écrivent aujourd’hui que The Father fait partie des cinq meilleurs rôles d’Anthony Hopkins, Florian y est pour beaucoup et Hopkins le reconnaît d’ailleurs lui-même. À 83 ans, il considère forcément qu’il n’a pas de leçon à recevoir de quelqu’un qui fait son premier film et il l’exprimait d’ailleurs franchement. Mais Florian est monté au front de manière extrêmement subtile, en évitant conflits et blocages. Et Hopkins a toujours reconnu que les idées de Florian étaient les bonnes. Comme Florian venait de l’écriture, je craignais qu’il ait du mal à se faire à l’aspect collectif d’un tournage. Or, non seulement il s’y est fait, mais il a surtout compris d’emblée un point essentiel  : au cinéma, les gens ont besoin d’être optimisés, et c’est le premier rôle du réalisateur de les placer en condition de donner le meilleur d’eux-mêmes. Dans une langue qui n’est pas la sienne, dans un environnement qui n’est pas le sien, avec une grosse pression, Florian a su trouver immédiatement les bonnes clés pour chacun sur le plateau. Ça m’a beaucoup impressionné.

FZ : Se retrouver sur ce plateau a été la somme de beaucoup de travail, d’espérance et de combat. Alors une fois en situation, on n’a pas le droit de ne pas aller au bout de ce qu’on a en tête. Mais ça n’a été possible que parce que je me sentais défendu et accompagné par mes producteurs. Quant à Anthony, je connaissais sa réputation. Mais, très tôt, nous avons trouvé notre façon de fonctionner, qui était assez affective. Anthony a cette capacité d’aller loin dans le conflit mais de toujours savoir redescendre et revenir vers l’autre.

JLL : Pour moi, The Father marque la révélation d’un metteur en scène exceptionnel. Qu’un auteur de théâtre soit capable de réaliser un film aussi purement cinématographique est rarissime…   

Quand pressent-on le formidable accueil que va connaître le film, qui se retrouve aujourd’hui nommé à quatre reprises aux Golden Globes ?

JLL : Au festival de Sundance en janvier 2020. La première projection sur un écran gigantesque devant 3 000 personnes, non pas des invités mais des spectateurs payants, fut incroyable. Une fois le mot fin apparu à l’écran, une formidable standing-ovation a été réservée au film. Là, j’ai su qu’artistiquement c’était gagné. Un des plus forts moments de ma vie professionnelle.

FZ : Des mois et des mois de rêverie, de travail et d’espérance ont trouvé une traduction concrète dans ce moment de partage. Qui a été quasiment le seul depuis, à cause de la pandémie, à l’exception d’une autre projection au festival de San Sebastian, car l’Espagne est un des rares pays à avoir fait le choix de ne pas fermer ses théâtres et ses cinémas.

JLL : Le film est sorti en Espagne où il connaît un succès critique et public grâce à un très bon bouche-à-oreille. Exploité sur 74 écrans au départ, il va l’être prochainement sur 180. C’est une indication prometteuse pour la suite. Je suis convaincu que The Father est un film populaire.
 

THE FATHER

De Florian Zeller.
Scénario : Florian Zeller et Christopher Hampton.
Directeur de la photographie : Ben Smithard.
Montage : Yorgos Lamprinos.
Musique : Ludivico Einaudi.
Producteurs : Philippe Carcassonne, Jean-Louis Livi, David Parfitt, Simon Friend.
Distributeur : Orange Studio/ UGC