« Trois hommes et un couffin » fête ses 35 ans

« Trois hommes et un couffin » fête ses 35 ans

18 septembre 2020
Cinéma
Trois hommes et un couffin de Coline Serreau
Trois hommes et un couffin de Coline Serreau Hachette Première et Cie

Il y a 35 ans, le 18 septembre 1985, Coline Serreau sortait Trois hommes et un couffin sur trois célibataires aux prises avec un nourrisson. Un film devenu un phénomène de société.


Coline Serreau a toujours été à l’écoute de l’air du temps. Dès son premier film, Mais qu’est-ce qu’elles veulent ?, elle tendait sa caméra aux revendications des féministes et proposait la radiographie d’une France en retard d’une époque. Dans Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux !, son deuxième film de fiction sorti en 1982, elle décryptait la société de consommation et le monde de la publicité. Pour son troisième film de fiction, elle a deux images en tête : la première est celle de trois hommes en train de chanter au-dessus d’un berceau, la seconde, celle d’un homme qui perd le même jour sa femme et son boulot. « C’est mon fils de onze ans qui a choisi », expliquait la réalisatrice dans le dossier de presse de l’époque. La deuxième idée deviendra La Crise.

Suivant l’intuition de son fils, l’histoire qu’elle imagine alors est celle de trois hommes, Pierre, Jacques et Michel, « trois amoureux du luxe, des femmes quand elles ne font que passer, et de leur liberté... », comme les décrivait la réalisatrice à l’époque. Ils partagent un grand appartement. Jacques, un steward, s'envole pour trois semaines en Asie en laissant un message à ses colocataires : « Un copain déposera un colis et passera le reprendre plus tard... ». Pierre et Michel retrouvent un bébé déposé dans un couffin sur le seuil de la porte. L'aventure se complique lorsqu'un second paquet est livré. « D'hommes libres et insouciants, les trois célibataires vont devenir des suspects traqués par la police et des pères attentifs et préoccupés ! »

Pas de père en vue

Le pitch n’attire pas pour autant les producteurs. Et après plusieurs années de recherches, elle décroche l’accord de Jean-François Lepetit, jeune producteur, et un micro budget de 7 millions de francs. Reste à trouver les trois « papas »... Sur ce plan-là, la réalisatrice va aller de déconvenues en déconvenues. Sauf pour un rôle : celui de Michel, l’homme-enfant, le dessinateur de BD. Elle veut confier ce personnage de grand immature à Michel Boujenah, comédien qu’elle connaît et dont elle apprécie les one-man shows au théâtre. Il accepte aussitôt. Pierre et Jacques seront plus compliqués à trouver. Pour Pierre le publicitaire, l’homme responsable, Daniel Auteuil est intéressé jusqu’à ce que Claude Berri lui propose de jouer Ugolin dans son diptyque adapté de Pagnol. On suggère alors à Coline Serreau le nom de Roland Giraud. Elle ne connaît pas le comédien mais refuse... par principe. Elle envoie son scénario à des acteurs qui lui semblent correspondre à ce qu’elle cherche : Gérard Depardieu, Jacques Villeret, Francis Perrin. En vain. Guy Bedos est pressenti, mais le comédien vient de signer une tournée.  Finalement, elle se tourne vers Roland Giraud et se révèle surprise par l’émotion et l’humour que dégage l’acteur. Il reste donc à caster le rôle pivot, celui du père de la petite Marie, le steward inconséquent et séducteur. Christophe Lambert, Thierry Lhermitte, Lambert Wilson, Jean-Pierre Bacri refusent les uns après les autres. Elle pense même à l’élégant Jean-Claude Brialy. Mais c’est l’attachée de presse du film, Danielle Gain, qui deviendra par la suite agent, qui avance le nom d’André Dussollier.

Une fois son trio au complet, Coline Serreau commence par répéter le film avec les acteurs, comme s’il s’agissait d’une pièce de théâtre. Elle doit les préparer à l’imprévisible : réagir face à un nourrisson. Le film tient essentiellement dans la confrontation entre le trio masculin et le bébé, et leurs difficultés à accomplir des tâches qu’ils croient réservées aux femmes. Choisir une marque de lait, changer une couche... La réalisatrice pointe du doigt la charge mentale des femmes et le machisme des hommes : « Le point de vue des hommes vu par une femme est tout à fait subversif et nouveau. Il parle de leur vrai être, de leurs faiblesses, de leurs difficultés à assumer leurs sentiments en même temps que l’image qu’ils doivent donner d’eux-mêmes.»

Une caméra et quatre bébés

Le tournage est loin d’être une partie de plaisir. Dans le dossier de presse, Coline Serreau expliquait : « Quand il y a un bébé sur un tournage, on est obligatoirement tous tributaires de son rythme. Alors quand il doit dormir, on s’arrête, ou alors on le filme en train de faire ce qu’il doit faire.» Les comédiens font du mieux qu’ils peuvent pour apprivoiser les bébés - il y en avait quatre au départ - mais certains ne peuvent s’empêcher de pleurer en les voyant. Il faut souvent refaire des prises. Le budget initial est dépassé et la réalisatrice, exigeante, doit parfois batailler pour imposer sa vision.

Le jour de la sortie, le 18 septembre 1985, personne ne croit vraiment à cette comédie. Les chiffres de 14 heures sont d’ailleurs loin d’être exceptionnels. Mais à 16 heures, ils ont doublé et en fin de journée, ce sont 5 000 spectateurs parisiens qui ont ri des exploits domestiques de Michel, Pierre et Jacques et qui sortent de la salle en imitant Roland Giraud dans son face-à-face avec Dominique Lavanant, alias Madame Rapon. Quelques semaines plus tard,  quand Trois hommes et un couffin passe la barre des 500 000 entrées, une fête est organisée. Le succès du film ne s’arrête plus, et témoigne d’un phénomène de société : la nouvelle paternité. Bientôt, le cap des 10 millions de spectateurs sera franchi. Trois hommes et un couffin, seul film réalisé par une femme à avoir fait plus de 10 millions d’entrées en France, sera également nommé 6 fois aux César et récompensé par 3 trophées dont celui du meilleur film. Il représentera la France aux Oscars et finira sa carrière après 81 semaines d’exploitation.

Il y a deux ans, la cinéaste a adapté, avec Samuel Tasinaje, son film pour le théâtre. A cette occasion, elle déclarait au micro d’Europe1 : « Je pense que si le film a marché c’est parce qu’il est représentatif de beaucoup de changements dans notre société, d’un patriarcat en pleine mutation. Cela a notamment permis aux hommes de montrer leur amour pour un bébé, de montrer leur paternité. Néanmoins, je pense que les rôles ne sont pas encore tout à fait bien répartis de manière égale entre les hommes et les femmes, il y a encore beaucoup de choses à faire dans ce domaine. Le film reste d’actualité. »