Vidéo : luxe, flamme et beaux coffrets

Vidéo : luxe, flamme et beaux coffrets

24 mars 2020
Cinéma
La Nuit du chasseur
La Nuit du chasseur United Artists - DR
En France, certains éditeurs-vidéos proposent des coffrets de plus en plus luxueux autour de films cultes, de classiques ou de raretés, afin de séduire le collectionneur-cinéphile. Rencontre avec deux figures du secteur.

Les cinéphiles s’en souviennent sûrement. En Octobre 2012, la société Wild Side guidée par le flair et la passion de son cofondateur Manuel Chiche, proposa un coffret « prestige » du monument de Charles Laughton, La Nuit du chasseur. Sous la forme d’une grosse boîte noire, l’objet contenait, entre autres, un livre richement illustré de 200 pages écrit par le spécialiste du cinéma américain Philippe Garnier, un CD audio avec la voix de Charles Laughton racontant l’histoire du film « aux enfants » et bien sûr le DVD et le Blu-Ray dans une copie supervisée par la Film Foundation de Martin Scorsese. Ledit coffret, limité et numéroté, était vendu pour près de 200 euros.
« Les 5000 exemplaires se sont écoulés en trois semaines, se souvient Manuel Chiche qui a depuis quitté Wild Side pour fonder d’autres structures de distribution (La Rabbia, The Jokers Films et Les Bookmakers). Quand le marché de la vidéo aura presque disparu, il restera toujours les objets haut de gamme. Le cinéphile pur et dur reste attaché au support physique. C’est un collectionneur. »

Porté par le bel accueil de La Nuit du chasseur, Manuel Chiche édita dans la foulée un autre coffret prestige, cette fois pour un titre moins connu que le chef-d’œuvre de Laughton, Le Démon des armes (Gun Crazy en VO) de Joseph H Lewis. Malheureusement, les ventes de cette édition de ce film noir qui inspira directement Jean-Luc Godard pour A bout de souffle, ne furent pas au rendez-vous. « Si les médias spécialisés m’avaient accompagné les yeux fermés sur La Nuit du chasseur, j’ai senti plus de réticences avec celui-là. Je savais que je prenais un gros risque. Mais si c’était à refaire, je ne changerais rien. J’avance toujours au feeling, avec le même moteur : mon propre désir. »

Même son de cloche chez l’éditeur Carlotta, par la voix de son patron, Vincent Paul-Boncour. A l’instar de Wild Side, sa société créée en 1998 a toujours privilégié la qualité technique, le travail soigné et il a largement contribué à dynamiser le cinéma de patrimoine (Fassbinder, Pasolini, de Palma, Antonioni…), en salles et sur le marché de la vidéo. « Nous ne faisons pas d’étude « consommateurs » pour savoir si tel ou tel titre va marcher ou non. Tout est fait avec la passion du cinéphile. Nous sommes notre propre guide. Comme tout cinéphile, j’aime être entouré des films qui me sont chers et avoir la possibilité d’approfondir mes connaissances avec des bonus pertinents, des documents et un livre. C’est dans cet esprit que l’on a lancé il y a quatre ans nos Coffrets Ultra Collector .» Cette collection démarrée avec Blow out de Brian de Palma compte déjà 14 volumes en attendant la sortie prochaine de Phase IV de Saul Bass.

Conscient que tous les cinéphiles n’ont pas les moyens de débourser près de 100 euros à chaque fois, Carlotta propose conjointement des éditions « single » ou double du même film, en DVD et Blu-Ray. « Certains titres plus obscurs comme Les banlieusards de Joe Dante par exemple, ne suscitent pas le même enthousiasme qu’un coffret Hitchcock ou Phantom of the Paradise, il convient donc d’être cohérent dans notre offre. Mais quel que soit le film que nous éditons dans cette collection, il est essentiel d’offrir la meilleure copie possible et une somme de documents. Nous avons ainsi lancé la traduction de livres inédits en français pour accompagner certains titres et produit des bonus exclusifs. » Selon la notoriété du film, Carlotta tire entre 2000 et 3000 exemplaires de ses Coffrets Ultra Collector et s’engage à ne plus jamais les rééditer une fois épuisés. Un exemplaire coûte en moyenne 50 euros.

Lors d’une table ronde organisée en octobre dernier au Festival Lyon Lumière autour de la crise supposée du marché de la vidéo, certains éditeurs américains, sud-coréens et allemands semblaient surpris de l’optimisme affiché par leurs homologues français. « La France reste une terre cinéphile, explique Vincent Paul-Boncour. Et cette cinéphilie a toujours été accompagnée d’un travail critique très littéraire. Celles et ceux qui achètent nos éditions ont cette culture-là ! Pour eux, la passion du cinéma reste une affaire sérieuse. Nous avons conscience qu’il s’agit d’une spécificité bien française. »

Dès lors, la dématérialisation progressive des produits culturels (musique, cinéma, littérature…) n’effraie pas Vincent Paul-Boncour qui reste convaincu que le cinéphile de demain gardera cette âme de collectionneur. Il ajoute : « Le film seul ne suffit pas, il faut que l’offre soit exceptionnelle. Prenez notre coffret pour La Porte du Paradis de Michael Cimino. Il n’existait alors qu’une version mutilée du film. Lorsque nous avons appris qu’une restauration complète était lancée sous la supervision du cinéaste, nous étions fous de joie. Le coffret était à la mesure de notre enthousiasme. »

Tous ces éditeurs tablent sur la fidélité de leur public en essayant de garder chacun leur spécificité et une cohérence éditoriale. Ainsi, la société Le Chat qui fume, spécialisée dans le cinéma de genre européen, est devenue une référence en la matière, quand Potemkine, par exemple, parie sur un cinéma d’auteur prestigieux (Andreï Tarkovski, Robert Bresson…).

Si les éditeurs indépendants sont rarement à l’initiative des restaurations, ils suivent de près l’actualité du cinéma de patrimoine à travers le monde, afin d’acheter les droits pour notre territoire d’un classique ou d’une curiosité. Pour financer leurs éditions, ils peuvent compter sur le CNC qui propose une aide sélective autour d’une sortie spécifique ou d’un programme. Carlotta a également lancé des campagnes de crowdfunding qui permettent outre le financement de leur coffret, « de sensibiliser le public sur leurs projets. »