Vincent Paul-Boncour : « La VOD de patrimoine est un territoire qui doit évoluer »

Vincent Paul-Boncour : « La VOD de patrimoine est un territoire qui doit évoluer »

15 avril 2020
Cinéma
Les Funérailles des roses de Toshio Matsumoto
Les Funérailles des roses de Toshio Matsumoto ATG - Carlotta Films - DR - .T.CD
L’éditeur vidéo Carlotta vient de lancer sa plateforme de streaming. Baptisée « Le Vidéo Club », celle-ci entend fonctionner comme un vrai ciné-club, avec ses thématiques, ses cycles… Entretien avec son directeur, Vincent Paul-Boncour. 

Pourquoi avoir décidé de rajouter cette plateforme de streaming, vous qui défendez la salle et les supports vidéo ?

Ce « Vidéo Club » s’inscrit dans la continuité de ce que nous faisons depuis 20 ans, à savoir faire découvrir et redécouvrir des films et des auteurs que nous aimons. Il s’agit juste d’une transposition de notre activité. Celle-ci ne vient en rien contrarier les autres, elle est complémentaire. Il n’y a pas une mutation d’un marché qui voudrait voir disparaître la salle ou les supports physiques, mais plutôt une évolution.

D’autres plateformes existent déjà, qu’est-ce qui fait la spécificité de la vôtre ?

Nous ne prétendons pas être des précurseurs en la matière, nous mettons modestement au service des cinéphiles notre savoir-faire et notre passion. Aujourd’hui, la profusion d’images crée une grande confusion avec notamment la propagation de cette idée que tout serait disponible tout le temps. Ce qui est bien entendu faux. La question est : « Comment guider les gens, leur faire découvrir tel ou tel cinéaste ? ». C’est là que réside notre spécificité, dans notre façon de faire vivre notre catalogue, de l’éditorialiser pour guider l’internaute mais aussi de l’enrichir constamment avec des œuvres qui nous ressemblent. Nous créons des ponts entre les cinéastes d’hier et d’aujourd’hui, nous proposons des documents rares. Il faut donner une actualité aux films, et ce, quel que soit leur âge ou leur statut. Cela passe par des nouvelles bandes-annonces, de nouveaux visuels…  

Comment parler d’un auteur classique au présent ?

Prenez un cinéaste comme Ozu, ses films appartiennent à la grande histoire du cinéma mais cela n’empêche pas leurs propos d’être universels. Ils parlent de la famille, du temps qui passe... Depuis deux ans, nous organisons des rétrospectives Ozu en salle. Elles ont connu un succès inattendu. Ozu est devenu le cinéaste japonais de l’âge d’or préféré des Français. J’exclus évidemment Kurosawa qui, à l’instar de Fellini pour le cinéma italien, est une sorte de démiurge. Il ne s’agit pas d’affirmer ici de façon péremptoire qu’Ozu est le plus grand cinéaste japonais de l’Histoire, ce qui pourrait effrayer le public, mais d’en parler de manière simple et passionnée. Il faut désacraliser les choses. Lorsque Gaspar Noé ou Bertrand Mandico évoquent pour nous leur passion respective pour Schizophrenia de Gerald Kargl et Les Funérailles des roses de Toshio Matsumoto, cela crée immédiatement un rapport intime et très actuel avec les œuvres en question.

Le nom que vous avez donné à votre plateforme, « Le Vidéo Club », exprime cet éclectisme cinéphile…

Pour la génération des 40-50 ans, qui a connu la VHS, cela représente, en effet, une idée très ouverte de la cinéphilie. C’était une époque où des gens comme Carpenter, Argento voire de Palma n’étaient pas bien considérés par la critique officielle. Ils ont depuis été anoblis. Preuve que la cinéphilie bouge tout le temps. Il faut donc essayer d’accompagner cette évolution. Notre catalogue brasse toute l’histoire du cinéma depuis les années vingt jusqu’à nos jours. Je me souviens qu’au début de notre aventure nous ressortions en salle les films de Scorsese de la fin des années 1970. Cela fait écho à notre ressortie récente de Donnie Darko de Richard Kelly qui date de 2001 et bénéficie lui-aussi d’un culte pour de nouveaux cinéphiles. On voit bien qu’il existe des passerelles évidentes entre passé et présent.

Vous proposez également des œuvres « monstres » par leur durée, comme Out 1 de Jacques Rivette ou Sátántangó (Le Tango de Satan) de Béla Tarr. La VOD peut-elle aider à les rendre plus accessibles ?

Bien sûr, ce sont les ancêtres des séries télé ! C’est, en effet, amusant et finalement assez cohérent de les présenter sur une plateforme de streaming où l’internaute pourra les découvrir par épisode.

Vous êtes-vous fixé des objectifs particuliers ?

Non, la VOD de patrimoine est un territoire qui doit évoluer. Les cinéphiles purs et durs sont encore très attachés à la salle ou au support physique, moins au streaming. Si le passionné sait où aller voir un film précis en salle, où acheter son Blu-Ray, il est un peu perdu sur le net. Il reste donc une place à trouver. La communauté cinéphile qui nous suit sur les réseaux sociaux est très fidèle. Cette plateforme est faite pour eux.

Vous lancez votre plateforme dans un contexte particulier…

Le hasard a voulu que cela coïncide avec le confinement, où la demande en termes de VOD est soudain devenue très forte. Mais c’est un hasard.