Quand le documentaire entre dans la danse

Quand le documentaire entre dans la danse

11 août 2020
Cinéma
Lil'Buck Real Swan de Louis Wallecan
Lil'Buck Real Swan de Louis Wallecan Jérémie Saint-Jean
Alors que sort Lil’ Buck Real Swan de Louis Wallecan, retour sur ces cinéastes qui ont su mettre en valeur et raconter différents types de danse, du ballet au jookin en passant par le krump.

Rize de David LaChapelle (2005)

Découvert par Andy Warhol qui lui a offert son premier travail pour le magazine Interview, David LaChapelle fut l’un des photographes stars des années 90. Ses clichés ont fait le tour du monde. Toujours à l’affût des tendances émergentes, il s’est intéressé très tôt au krump, une danse née dans les années 2000 au cœur des quartiers pauvres de Los Angeles. Un mélange de danses tribales africaines et de mouvements de combats ultra-rapides sur un rythme hip-hop. LaChapelle signe en 2004 un premier court métrage de 24 minutes sur cette danse qui représente à ses yeux un choc aussi essentiel que sa découverte du breakdance dans les années 80. Un an plus tard, il se lance pour la première fois dans un format long et raconte les origines de cette expression artistique révolutionnaire. Pour cela, il suit l’un de ses créateurs, Tommy the Clown. Cet éducateur du quartier de South Central a choisi de développer la danse comme une alternative artistique aux émeutes raciales provoquées par l’affaire Rodney King. Le clowning allait ainsi voir le jour et peu à peu se métamorphoser en krumping - une danse où l’on se maquille comme des guerriers avant de s’affronter dans des battles purement pacifistes. Avec ce documentaire découvert au Festival de Sundance, David LaChapelle a permis au krump d’acquérir une notoriété dépassant les quartiers où on le pratiquait. Et cette danse a aussi su traverser les années : le Français Clément Cogitore l’a récemment mise en scène en 2018 dans son court métrage Les Indes galantes, chorégraphié par la danseuse Bintou Dembélé.

 

La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris de Frederick Wiseman (2009)

Depuis de nombreuses années, l’Américain Frederick Wiseman a pris l’habitude de raconter de l’intérieur les grandes institutions du monde contemporain. De la Comédie-Française à la Bibliothèque Publique de New-York en passant par la National Gallery de Londres, rien n’échappe à son regard documentaire. En 2009, ce grand amateur de danse classique a décidé de promener sa caméra pendant douze semaines au cœur de l’Opéra de Paris et de s’y faufiler de la scène aux bureaux administratifs en passant par les ateliers de couture. Comme à son habitude et sans la moindre voix-off, Wiseman décrit donc tout autant les étapes à franchir pour devenir danseur étoile que la manière dont l’Opéra est administré, organisé, financé. Il pointe les frictions permanentes entre le temps long - celui d’une institution qui inscrit son action dans la durée - et le temps court - la course contre la montre que constitue la carrière d’un danseur confronté à l’usure inévitable de son corps. Quatorze ans plus tôt, Wiseman avait réalisé Ballet où il avait filmé de la même manière l’American Ballet Theatre. Et à la sortie de La Danse, le ballet de l’Opéra de Paris, il pointait la différence entre les deux institutions. En particulier le fait que la France lui paraissait bien plus un pays de castes que les Etats-Unis, où monter du plus bas au plus haut de la hiérarchie était à ses yeux beaucoup plus simple que chez nous.

 

Pina de Wim Wenders (2011)

Figure majeure de la danse contemporaine, l’allemande Pina Bausch s’est éteinte le 30 juin 2009 à 68 ans. Son grand ami de 20 ans, Wim Wenders, a cherché maintes fois à capter ses créations pour les transposer dans un film, sans y parvenir. Jusqu’à ce que le développement de la 3D lui permette de rendre grâce à son travail. Un film va définitivement changer son regard sur cette technologie : U2 3D, le concert filmé du groupe de Bono. Wenders va alors voir Pina Bausch pour lui expliquer son idée : un portrait d’elle où il serait autant question de sa vie que de ses chorégraphies. Mais deux jours avant le premier essai avec la caméra 3D, Pina Bausch s’éteint brutalement. Wim Wenders décide alors de renoncer à son projet avant de revenir sur sa décision et de réaliser son documentaire en 3D comme pour faire son deuil. Devant sa caméra, la troupe de Pina Bausch réinterprète donc pour lui les créations qu’elle avait inventées. Sur la scène où évolue habituellement cet Ensemble du Tanztheater Wuppertal bien sûr, mais aussi dans cette ville de Wuppertal qui inspirait Pina Bausch depuis 35 ans, grâce à un système de Steadicam compact en 3D conçu spécialement pour le film. Le résultat emballe critique et public. Nommé à l’Oscar du meilleur documentaire, il remporte le Prix du documentaire européen en 2011.

 

Relève, histoire d’une création de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (2016)

En 2014, le chorégraphe français Benjamin Millepied prenait la tête de l’Opéra de Paris où il n’allait rester que deux ans avant de démissionner avec fracas. Avec leur premier long métrage documentaire, le journaliste Thierry Demaizière (notamment connu pour son « Portrait » dans l’émission hebdomadaire Sept à huit sur TF1) et son complice Alban Teurlai captent un élément clé de ce passage éclair. La création du ballet d’ouverture, « Clear, Loud, Bright and Forward » de la seule saison pleine du créateur. Relève… raconte l’histoire d’un contre-la-montre - avec ces 33 minutes de spectacle élaborées en seulement 42 jours - et fait le portrait de Benjamin Millepied, moderne qui lutte contre les anciens et met en avant le plaisir et la spontanéité en opposition à la rigueur mécanique du ballet classique. Le duo Demaizière-Teurlai filme le chorégraphe et les danseurs au travail mais aussi leur confrontation avec les lourdeurs et les manques d’un tel établissement aussi prestigieux soit-il. Relève… raconte donc la manière dont le réel vient en permanence percuter la création artistique que Millepied tente en vain de protéger du chaos extérieur. Et il montre comment ses méthodes tranchant avec les règles immuables d’une institution et son questionnement sur la prétendue excellence de la formation ne pouvaient conduire qu’à un divorce rapide et fracassant entre l’Opéra de Paris et le chorégraphe.

 

Lil’Buck Real Swan de Louis Wallecan (2020)

Lil Buck (de son vrai nom Charles Riley) est né le 25 mai 1988 à Memphis. Mais sa vie a basculé douze ans plus tard quand il découvre, grâce à sa sœur, le jookin, une danse protéiforme empruntant au gangsta walk et à la breakdance tout en mêlant d’autres styles comme le ballet ou les claquettes. Lil Buck décide alors immédiatement de s’y consacrer à temps plein hors de l’école. Il devient mondialement célèbre quelques années plus tard grâce à une vidéo mise en scène par Spike Jonze où il danse, accompagné par le violoncelliste Yo-Yo Ma. Réalisé par Louis Wallecan (auteur de plusieurs captations des créations de Benjamin Millepied), Lil’Buck Real Swan raconte le parcours hors du commun de celui que s’arrachent aujourd’hui tout aussi bien Millepied justement que Madonna. Louis Wallecan y ressuscite le Memphis de la jeunesse de Lil Buck, celui des années 80 et 90 où, comme beaucoup d’autres, il explique qu’il aurait pu mal tourner s’il n’avait pas réussi à évacuer toute la violence dans cette danse qu’il définit comme celle de la réconciliation.

Lil’Buck Real Swan, qui sort ce mercredi 12 août, a reçu l’Aide sélective à la distribution du CNC.