Atomu, plongée en VR au cœur d’un mythe africain

Atomu, plongée en VR au cœur d’un mythe africain

22 janvier 2020
Création numérique
Atomu de Shariffa Ali et Yetunde Dada
Atomu de Shariffa Ali et Yetunde Dada AtlasV - Dimension Studio - France Television - POV production

Présentée dans la sélection New Frontier du festival de Sundance 2020 (qui se tient du 24 janvier au 2 février), la création VR Atomu est l’œuvre de deux réalisatrices africaines, Shariffa Ali et Yetunde Dada. Retour sur ce projet mêlant danse et VR avec son producteur Antoine Cayrol d’Atlas V.


La mythologie africaine revisitée

Atomu Atlas V/DR

Atomu revisite un mythe du Kenya (pays dans lequel Shariffa Ali a vu le jour) qui évoque la fluidité des genres. Selon cette croyance populaire de la tribu Kikuyu, un homme né dans un corps de femme, et inversement, peut, en tournant 7 fois autour d’un baobab et en exécutant certains mouvements de danse ritualisés, se transformer et changer de sexe. Atomu raconte ainsi l’histoire de Wacici, un jeune homme qui ne se sent pas garçon. Après avoir été battu par son père pour avoir refusé de faire les tâches qui incombent normalement aux hommes dans son village, il décide de faire ces 7 tours pour enfin se sentir lui-même. « Cette histoire devait nous servir de métaphore. Un homme ne va pas forcément devenir femme (et inversement), mais il va atteindre une version plus fidèle de lui-même. Il y a de nombreux moments dans la vie où on est mal à l’aise avec notre corps et avec qui l’on est. Pourtant, malgré les pressions de la société, il est possible de devenir une autre personne », explique Antoine Cayrol.

Entre VR et théâtre

Cette relecture d’un mythe ancestral a été pensée dès le départ comme une œuvre immersive en 360 degrés. « Les deux réalisatrices voulaient mettre le spectateur au centre du mythe et lui faire vraiment vivre l’aventure de Wacici. Lors du développement, nous sommes allés encore un peu plus loin en le faisant participer à l’élaboration du mythe avec des technologies plus avancées. Nous est ainsi venue l’idée d’en faire une création interactive et collaborative : les spectateurs agissent pour aider Wacici à se transformer. On présente la VR comme un genre alors qu’elle est d’abord une technique qui se mélange à d’autres. Ici, nous racontons une histoire en utilisant la réalité virtuelle et la danse », poursuit-il.

L’impact du théâtre sur la création VR

Atomu est la première création VR de deux réalisatrices qui viennent d’univers différents. Diplômée en théâtre, Shariffa Ali est metteuse en scène de théâtre. Habituée à travailler avec des chorégraphies très précises, elle a su gérer les mouvements sur une scène ouverte, ce qui a « simplifié la direction d’acteurs avec l’équipe de la motion capture ». Diplômée de l’Université d’Oxford, Yetunde Dada est pour sa part photographe et chef de produit. « Nous nous sommes éloignés du storyboard, du layout, pour aller vers quelque chose de plus organique et travaillé au jour le jour. Nous avons réécrit dix fois la chorégraphie. Un mois avant le tournage, nous étions encore dans l’appartement de Shariffa pour refaire la chorégraphie en la filmant afin d’affiner ce qu’on allait faire quelques semaines plus tard », se souvient Antoine Cayrol. Le producteur, qui n’avait encore jamais fait de projet de danse, s’est donc adapté à leur manière de travailler, plus proche du théâtre vivant. « Nous avions deux jours pour faire le prototype à Londres. Etant quelqu’un d’efficace et de pragmatique, je voulais démarrer rapidement et j’ai fait une introduction de producteur. Shariffa m’a coupé pour me dire qu’on allait d’abord apprendre à se connaître pendant deux heures. Nous avons fait des exercices en se touchant les pieds et l’épaule, et en se regardant dans les yeux. J’étais perdu mais j’ai bien vu que ce qu’elle faisait permettait aux personnes d’être plus à l’aise ensemble et d’aller plus vite après dans la phase de danse et d’écriture de la technologie ».

Une œuvre pour faire changer les esprits

Si l’histoire abordée dans Atomu entre en résonnance avec des thématiques actuelles, les réalisatrices n’ont pas choisi ce mythe par « effet de mode », souligne le producteur. « Shariffa Ali et Yetunde Dada sont Africaines (la première, moitié Kényane, moitié Ethiopienne est née au Kenya et a grandi au Swaziland puis en Afrique du Sud ; la seconde qui est mi-Zambienne mi-Nigériane a grandi en Afrique du Sud ndlr) et elles voient les dangers de l’homophobie, le fait de juger les autres en fonction de leur sexe ou de leur appartenance religieuse. Shariffa a vraiment envie de porter ce message politique et de le diffuser dans des pays d’Afrique pour faire changer les mentalités ».  Les deux femmes et leur producteur espèrent bien bénéficier de l’exposition offerte par le festival de Sundance afin que cette œuvre VR soit diffusée sur leur continent natal. Shariffa et Yetunde ont d’ailleurs bénéficié du Sundance Lab, une résidence leur permettant d’être encadrées par les mentors de Sundance, lors du développement du projet.

Une production française, mais pas seulement

Antoine Cayrol accompagne Atomu depuis plusieurs années. Le producteur d’Atlas V a en effet découvert ce projet, et ses deux réalisatrices, lorsqu’il était juré il y a 3 ans dans une compétition de pitchs VR organisée par l’Institut français à Johannesburg. « Je n’avais aucune obligation de produire une des œuvres. Mais j’ai beaucoup aimé le pitch et je voulais les accompagner dans la réalisation. J’étais séduit à l’idée d’aller au-delà d’un simple récit et de partager leur message ». Coproducteur sud-africain minoritaire, Electric South (codirigé par Ingrid Kopp qui était aussi jurée lors de ce concours de pitch) n’a pas participé au financement de l’œuvre ou à sa création. « C’est un appui et une source de crédibilité pour nous permettre d’avoir cette légitimité afin de trouver des institutions culturelles diffusant l’œuvre en Afrique du Sud, et je l’espère dans pas mal de pays d’Afrique limitrophes », précise Antoine Cayrol. Outre les Français d’Atlas V, Atomu a également été soutenu financièrement par France Télévisions ainsi que POV Stark, la « branche interactive de la chaîne américaine PBS ». Cette création, aidée par le CNC, a également bénéficié du soutien du National Theatre britannique pendant sa phase de développement.