« L’Odyssée de Klassik », une série animée née… sur console

« L’Odyssée de Klassik », une série animée née… sur console

27 juin 2019
Création numérique
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L'Odyssée de Klassik
L'Odyssée de Klassik Arte - Bobby Prod
Kévin Gemin, plus connu dans le monde de l’animation sous le nom de Kékéflipnote, revisite les mythes gréco-romains en lançant une gerboise dans des aventures échevelées sur un répertoire de musique classique (du Boléro de Ravel à La Fille des neiges de Tchaïkovski). Cette courte série produite par Bobby Prod en collaboration avec Arte possède une autre particularité : tous les épisodes ont été réalisés grâce à une simple console portable. Explications.

Comment est venue cette idée de revisiter des mythes de l’antiquité sur des morceaux de musique classique ?

L'Odyssée de Klassik est née d'une envie d'Arte de produire un dessin animé simple, sans paroles. La chaîne a contacté Catsuka (réalisateur et créateur du site du même nom dédié à l'animation ndlr). Il connaissait mes vidéos publiées sur internet dans lesquelles j'exploite des musiques pour raconter des histoires animées avec des animaux et il m’a proposé ce projet. L'idée de reprendre des mythes gréco-romains est venue par la suite, en travaillant avec Clément Kubicek, animateur pour le studio Bobbypills, et les équipes de Bobby Prod.

Klassik évolue selon le rythme des musiques utilisées. A chaque épisode, est-ce le choix du morceau qui a déterminé les aventures de Klassik ou l'inverse ?

Tout s'est fait petit à petit. Nous avons analysé les tempos et les variantes des morceaux pour définir chaque épisode. Les musiques plus rythmées ont fait naître des épisodes avec plus d'action, les partitions plus douces ont donné au contraire un ton plus tranquille. Nous avons réalisé en premier lieu le design de tous les personnages avant de réfléchir à la manière dont on utiliserait la musique. Nos inspirations étaient très cohérentes : les héros simples et minimalistes des années 80 et 90, tels que les Shadoks, Monsieur Madame, Kirby, les Moomins, ainsi que Tex Avery pour l'aspect burlesque. Les douze morceaux classiques ont été choisis en partie selon les droits d'utilisation que nous pouvions avoir. Arte nous a également fourni certaines musiques dès les débuts du projet.

L'une des surprises de cette série c’est la technologie utilisée : tout a été dessiné grâce à un logiciel installé sur une console portable Nintendo DS...

Je sais animer sur ordinateur, mais la touche Pixel Art qui définit l’application Flipnote Studio m'a toujours beaucoup inspiré. Je n'ai jamais cessé d'utiliser cette appli de dessin avec laquelle j'ai appris l'animation. A l'époque, je n'avais pas de matériel assez puissant pour travailler, j'ai donc trouvé cette solution par hasard pour créer, et j'en suis tombé amoureux. Dix ans plus tard, je l'utilise encore (rires) ! Qu'on me propose de créer une série animée avec ce logiciel était presque surréaliste...

Quelles sont les contraintes liées au travail avec une console portable de petite taille ?

Flipnote Studio m’a d’abord offert une grande liberté de création, en me permettant de travailler partout et à tout moment. Mais c’est vrai que Flipnote Studio est plus limité que les logiciels traditionnels pour l'animation : il ne propose par exemple que 4 couleurs (sans compter le noir et blanc) contrairement aux autres outils. Il fallait donc trouver des solutions pour exploiter toutes nos idées. La création n'a pas toujours été facile, mais à la différence de mes collègues, j'aime vraiment ce logiciel : je ressentais donc différemment les difficultés. Passer du noir et blanc à la couleur dans les épisodes a nécessité un important travail : s'il y a un personnage jaune sur 900 images, il faut le coloriser à la main sur chacune d'entre elles. L'écran de la Nintendo DS étant petit, il faut également être très précis. Si le personnage marche, je peux dessiner 8 images et les répéter, mais s'il avance en courant, il y aura un décalage et nous n'aurons plus la fluidité recherchée. Il faut donc le faire manuellement. C’est un travail de titan, d'autant plus que tout est calé sur le rythme de la musique...

Vous utilisez ce logiciel depuis dix ans. Quel regard portent les gens sur cet outil de création atypique ?

De nombreuses personnes m'ont mis en garde : pour elles, la console n'est ni un bon outil de création, ni une bonne carte de visite pour démarcher les studios et trouver du travail. Je me suis posé beaucoup de questions lorsque j'étais étudiant en art (Kévin Gemin a suivi une option arts plastiques au lycée, une prépa à l'Ecole des Beaux-Arts du Genevois avant de passer 4 années à l'école de dessin Emile Cohl à Lyon ndlr). J'ai finalement posté des animations sur internet pour faire rire mes amis et des inconnus les ont partagées. La magie d'internet m'a beaucoup aidé professionnellement et m'a permis de prendre confiance en moi en tant qu'artiste. Je me dis que j'ai eu raison de persévérer. J’ai récemment partagé mon expérience lors d’une rencontre avec des étudiants organisée pendant le Festival d’Annecy. L’occasion pour moi de leur rappeler que s'ils ont des rêves et une passion, ils ne doivent jamais s'arrêter même s'ils ont une méthode de travail sortant de l'ordinaire.