"Spaced Out", un voyage de la Terre à la Lune en VR aquatique

"Spaced Out", un voyage de la Terre à la Lune en VR aquatique

16 novembre 2020
Création numérique
Spaced Out de Pierre
"Spaced Out" de Pierre "Pyaré" Friquet Pyaré en collaboration avec BALLAST TECHNOLOGIES

Imaginée par Pierre « Pyaré » Friquet, Spaced Out simule un voyage dans l’espace grâce à des images psychédéliques de la Lune et des archives de la mission Apollo 11. Originalité de cette expérience : elle doit être vécue dans une piscine, avec un masque VR aquatique et un tuba. Explications avec son créateur.


Avec Spaced Out, souhaitiez-vous atteindre un nouveau palier dans l’immersion ?

Je dirais même, par provocation, qu’il s’agit là de vraie VR. On est dans la définition exacte de l’immersion qu’on décrit souvent avec la métaphore de mettre la tête sous l’eau et d’être coupé du monde. Pour moi, la submersion est l’immersion parfaite.

Comment vous est venue l’idée d’une telle expérience ?

Pierre "Pyaré" Friquet DR

Ce projet s’est construit en plusieurs phases. L’idée a germé en moi en 2017 lorsque mon collaborateur et ami Ando Shah a fondé à San Francisco, avec deux autres Américains [Stephen Greenwood et Atlas Roufas, NDLR], Ballast, une start-up pionnière de l’Aquatic VR, de la VR à faire dans l’eau. Eux aussi sont fans de plongée et c’était leur rêve de travailler la mer et la VR. Cette année-là, il y a eu une mini-crise de la 360, de la VR cinématique. Je faisais déjà de l’interaction mais il y avait une grosse vague de tournages et de contrats liés à ce format. À un moment donné, j’ai eu des doutes sur la direction que prenait la VR et je suis revenu à ce qui a motivé mon choix de travailler sur cette technologie, c’est-à-dire mon envie de faire des expériences qui transcendent les sens. L’Aquatic VR était donc pour moi une manière formidable de remplir la vraie promesse de la réalité virtuelle qui est de transporter ailleurs le public. Alors qu’Ando montait cette société, j’ai développé un premier contenu basé sur la Lune, mais plus proche de l’univers. Lors d’une séance de création organisée dans le cadre d’un événement VR [le World XR Forum, ndlr], j’ai eu pour mentor Shari Frilot, la programmatrice de New Frontier, la section Nouveaux Médias du festival de Sundance. Elle m’a guidé pour développer ce projet et notamment pour me focaliser sur l’expérience utilisateur. Nous avons incorporé des éléments qui sont ressortis des différents tests tels que l’inhibition des utilisateurs, leur gêne d’être en maillot de bain devant d’autres personnes, leur intimité, leur relation à leur propre corps.

Qu’avez-vous changé pour les intégrer ?

En tant que créateur, on se focalise sur l’univers qu’on est en train d’imaginer et on fait attention au message qu’on délivre. Mais en faisant des tests avec des personnes différentes sont apparues des questions très logiques et de logistique : où met-on la serviette, quel maillot de bain privilégier, quelle température de l’eau… J’ai également incorporé dans la scénographie la gêne que ressentaient les utilisateurs : la meilleure manière de présenter Spaced Out, c’est dans le noir, avec une lumière violette dans l’eau pour qu’elle ne soit plus bleue et ne ressemble plus à un milieu aquatique. Les utilisateurs ont enfin une lampe torche sur la tête même quand ils sont immergés. C’est une manière de proposer une expérience plus douce.

Est-ce une manière également de les plonger encore davantage dans le rôle d’explorateur ?

C’est exactement ça. Mon intention première est de leur rappeler le plaisir et la joie de la découverte. Il y a un côté métaphysique également.

lorsque l’utilisateur essaie ce casque – et c’est souvent une première pour lui –, il découvre en guise de narration les archives sonores de la mission Apollo 11, celle où les astronautes ont fait les premiers pas sur la Lune. Avec le visuel extraterrestre, il y a une forme de poésie.

 

Comment avez-vous appréhendé le son dans ce milieu aquatique ?

Nous utilisons un fichier « mono » [un signal diffusé sur un seul canal et ne reproduisant pas la répartition du son dans l’espace, NDLR] qui n’est plus la norme depuis les années 1970. Mais nous nous sommes rendu compte qu’il y a dans l’eau une forme de spatialisation naturelle : l’utilisateur a donc la sensation d’être enveloppé par le son qui va plus vite dans ce milieu que dans l’air. Il y a également des aspects du son liés au fait que le casque étanche n’a pas d’écouteurs mais des haut-parleurs qui font vibrer le crâne alors que l’oreille interne est bloquée avec la pression de l’eau. Le corps peut ainsi écouter l’expérience avec la vibration de l’eau. C’est assez charnel et fort.

Vous avez choisi de miser sur le réalisme avec les archives de la Nasa et l’immersion dans l’eau mais pas pour les images de Spaced Out qui sont psychédéliques. Pourquoi ?

J’aime cette idée de « mashup » [mélange en anglais, NDLR] qui crée une sorte de dissonance cognitive avec des éléments paradoxaux. Le son est réaliste avec ces archives qui apportent de l’authenticité : l’utilisateur entend les voix de Neil Armstrong, Buzz Aldrin… Et il y a en même temps ce paradoxe visuel avec ce voyage de la Terre à la Lune assez abstrait. On reconnaît certains éléments mais les couleurs sont inversées par exemple. Visuellement, il y a des éléments abstraits et concrets et j’espère qu’une magie se crée lorsqu’ils se rencontrent. Cette expérience hétérogène est pour moi l’aboutissement de mes précédents travaux.

Quelles étaient vos références ?

Principalement Le Voyage dans la Lune de Georges Méliès qui s’est lui-même inspiré de Jules Verne et de H.G. Wells. J’ai repris des plans de Lune qui ont été recréés en 3D. J’ai lu également ces deux auteurs pour nourrir le projet et j’ai glissé une référence aux Aventures du baron de Münchausen de Terry Gilliam qui était mon film préféré lorsque j’étais enfant. J’ai ainsi repris le motif du « roi de la Lune » du film. Il y a enfin des images d’archives d’Apollo 11, car mettre du réel dans des plans en 3D trouble le regard du spectateur. Mais avec mon directeur artistique Sutu, qui est un illustrateur très créatif, nous avons essayé de nous débarrasser de ces références et de trouver un style propre.

Si des casques personnels existent, la VR se découvre beaucoup dans des lieux dédiés, des musées, des corners dans des cinémas ou encore dans des festivals dédiés. Est-ce une contrainte ou un atout, pour présenter votre expérience, qu’elle se vive uniquement dans une piscine ?

C’est la vraie question et je pense que l’industrie va se diriger dans ce sens par la suite. La question qui se pose également est : où est la salle VR ? Les cinémas, musées et théâtres ne sont pas des lieux faits pour ça, il s’agit davantage d’espaces transitoires. La VR a un problème d’immobilier car elle demande de grands espaces alors que des piscines, il y en a partout : dans des parcs à thèmes, des parcs aquatiques, dans des hôtels, chez des particuliers… Certes avec une piscine il y a une question de logistique, mais ce n’est pas plus difficile et c’est moins cher : il suffit de quelques heures pour la transformer en lieu VR. Autre avantage : faire de la VR dans l’eau évite le mal de mer car les tympans sont compressés et l’oreille interne n’agit donc pas de la même manière. La VR, pour moi, c’est sublimer le réel, le transformer en quelque chose de magique.