Yes vous aime, le grand écart entre classique et parodie

Yes vous aime, le grand écart entre classique et parodie

04 novembre 2019
Création numérique
Abonne-toi
Abonne-toi Yes vous aime - Canal + Studio Bagel Productions - Courte Focale
Spécialisé en sketchs et parodies diffusées sur YouTube, le collectif Yes vous aime (Moustafa Benaibout, Pauline Clément, Johann Cuny et Bertrand Usclat) ont notamment sorti en début d’année Abonne-toi, une websérie pleine d’autodérision dans laquelle il revient sur son parcours. Dans ce projet entre fiction et réalité où les quatre comédiens incarnent leurs propres rôles, le collectif se lance dans une course contre la montre pour doubler son nombre d’abonnés en une semaine seulement afin de ne pas perdre son contrat avec un producteur. Pour réussir, les quatre complices tentent par tous les moyens de convaincre des stars de YouTube de faire une vidéo avec eux. Pauline Clément et Bertrand Usclat reviennent pour le CNC sur cette fiction décalée.

Comment est née cette websérie ?

Bertrand Usclat : La fiction quitte peu à peu YouTube pour d’autres plateformes payantes. Nous avons eu envie de raconter cette évolution et d’aborder ce que nous ressentons après avoir fait ce pari raté (de proposer de la fiction sur YouTube ndlr). YouTube est suffisamment vieux pour faire une œuvre réflexive, à la manière d’Entourage aux Etats-Unis et de Dix pour cent en France. Tout en restant encore suffisamment jeune pour profiter d’une grande liberté de ton. Les vidéastes invités d’Abonne-toi vont parfois dans l’extrême caricature.

Pauline Clément : Les séries Platane et Dix pour cent nous ont effectivement donné l’idée de réaliser ce projet sur le monde du web. A l’époque, ça n’avait pas encore été fait (une autre série est sortie en même temps que la nôtre). Nous avions envie de jouer avec les personnages que nous avons créés pour Yes vous aime, de mélanger fiction et réalité. C’était également l’occasion d’inviter d’autres vidéastes à entrer dans notre histoire.

Dans Abonne-toi, vous abordez aussi bien le rôle de faire-valoir donné aux femmes dans certaines vidéos que le gain d’abonnés réalisé grâce à des « jeux nuls » tel que Chifoumi et la pression des internautes pour que les créateurs produisent plus de contenu.

B.U. : Les objectifs des personnages ne sont pas forcément les nôtres. Nous avons la chance d’être produits par une chaîne de télévision et d’être aidés par le CNC ; nous avons donc moins cette pression de gagner des abonnés même si nous nous mettons nous-mêmes une forme de pression pour faire vivre notre chaîne. Quant à la pression des abonnés pour produire plus de contenu, c’est une mythologie totale pour moi : elle était peut-être présente au début mais elle a été supplantée par la pression de l’algorithme. L’abonné est désormais comme un téléspectateur : il est devenu passif et consomme ce qu’on lui propose. Il y a donc une volonté de nourrir l’algorithme (qui rend par exemple visibles certaines vidéos et pas d’autres ndlr). Mais alors que certains publient 50 vidéos par an, nous n’en faisons que 8.

P.C. : Les vidéos plus accessibles, faciles et divertissantes sont souvent celles qui fonctionnent le mieux et nous voulions également parler de ça. Nous nous sommes donc beaucoup amusés à faire dire à Cyprien : « Si vous voulez réussir, faites un jeu nul en vidéo ». Pour produire beaucoup, il faut faire des stories pour qu’on s’attache à nous. Mais nous ne sommes pas des personnages publics : nous sommes comédiens et nous ne voulons pas rentrer dans ce jeu-là qui consiste à créer un lien complice avec le public en montrant ce qu’on fait, ce qu’on mange…

Yes vous aime DR - Canal + Studio Bagels Productions

Pour vivre de la fiction sur YouTube, il est donc nécessaire de trouver d’autres sources de financement que les revenus apportés par la plateforme, notamment pour vous qui avez toujours refusé de sponsoriser vos vidéos ?

B.U. : C’est en effet obligatoire. Ne pas dépendre du système de financement de YouTube, basé sur des contenus positifs pour séduire des marques et faire des vues, permet notamment de garder une liberté de parole différente des autres vidéastes. Nous pouvons nous moquer de YouTube ce que d’autres ne peuvent plus faire. Mais à l’inverse, nous sommes financés par Canal +, nous ne ferons donc rien sur le patron de la chaîne. Le deal est clair.

P.C. : Les contenus de fiction sont également plus coûteux à produire : il faut des décors, des comédiens qui sont payés, une maquilleuse… D’où notre incapacité à réaliser beaucoup de vidéos. Depuis Abonne-toi, nous n’avons d’ailleurs rien tourné avec Yes vous aime. Entre le financement et l’écriture, chaque vidéo est un long processus. Nous avons eu une aide du CNC pour Abonne-toi et nous venons d’avoir une aide au projet pour notre prochaine création : grâce à ce financement, nous allons pouvoir refaire des sketchs. Sans lui, nous aurions sûrement dû recourir à une campagne de financement participatif alors que nous n’avons pas envie de demander de l’argent à nos abonnés. Nous mettons également en avant cette aide pour démarcher de nouveau les producteurs de Studio Bagel afin qu’ils prennent part à ce nouveau projet.

Vous venez tous du Conservatoire National. Pourquoi ce tournant vers YouTube ?

P.C. : Ça, c’était ton idée Bertrand (Rires).

B.U. : Je me suis dit qu’il y avait une place à prendre car c’est un espace assez libre pour les acteurs. J’avais essayé de monter des productions de théâtre ce qui était un processus incroyablement long et politique. Cette plateforme était donc un appel d’air pour faire des choses plus rapidement et créer un nouveau ton, une nouvelle identité, loin des milieux plus cadrés du cinéma et du théâtre.

Parallèlement à Yes vous aime, vous avez tous vos carrières respectives au théâtre ou au cinéma. Comme vous Pauline, qui êtes Pensionnaire à la Comédie-Française.

P.C. : Avoir cette « double vie » est important pour moi : YouTube permet d’écrire ses propres rôles alors que les metteurs en scène de la Comédie-Française vont choisir ce que je vais jouer. A la Comédie-Française, il y a des répétitions pendant plus d’un mois, les costumes sont souvent sur-mesure et dessinés spécialement… Tout va plus vite sur YouTube : nous avons souvent le texte la veille, les costumes sont choisis dans un stock selon ce qu’il y a… Ce sont deux énergies différentes.

Votre première vidéo parodique, Comment embrasser une fille, vient d’être effacée par YouTube. La liberté de ton que vous aviez au départ est-elle en train de changer ?

B.U. Il y a un double danger désormais, notamment avec la méthode de YouTube qui consiste à supprimer le travail des gens et d’attendre qu’ils contestent. C’est comme arriver au travail, voir que votre bureau n’est plus là et que vous devez le réclamer. Nous ne savons pas pourquoi elle a été supprimée mais nous nous rendons compte qu’il y a une forme de jugement américain sur ce que l’on fait. C’est lié aussi bien au puritanisme de la société américaine qu’à l’algorithme publicitaire pour garder les annonceurs. C’est un danger pour l’art en général. Nous avons trouvé notre humour en regardant des films comme C’est arrivé près de chez vous qui ont créé le débat et le trouble. En termes artistiques et de liberté d’expression, c’est mortifère d’interdire des prises de position radicales en humour.

P.C : YouTube nous a accusés « d’escroquerie » avec ce contenu publié il y a plus de 5 ans. Au départ, on peut penser que cette vidéo est vraie, mais le générique de fin avec tous les noms des comédiens montre clairement qu’il s’agit d’une parodie. Nous avons l’impression depuis quelques temps d’être sur une sorte de liste noire : dès que nous sortons une vidéo, elle est démonétisée et nous devons faire une réclamation.

Yes vous aime a bénéficié de l’aide à la chaîne de CNC/Talent