Dinga Bakaba : « Deathloop est un murder puzzle, une sorte de Cluedo inversé »

Dinga Bakaba : « Deathloop est un murder puzzle, une sorte de Cluedo inversé »

09 août 2021
Jeu vidéo
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Deathloop
Deathloop Arkane
Le nouveau jeu d’Arkane, développeur de la série Dishonored, nous embarque dans les années 1960, au cœur de l’île de Blackreef. On y incarne un assassin bloqué dans une boucle temporelle et contraint d’éliminer huit cibles pour arriver à en sortir. Retour sur les influences et le processus de création de ce triple A unique avec Dinga Bakaba, game director chez Arkane Studio.

Deathloop est un jeu de tir à la première personne (FPS) au rythme particulier, jouable en solo ou avec un poursuivant. Pouvez-vous présenter son concept ?

C’est un jeu d’action à la première personne où l’on joue Colt, un assassin emprisonné dans une boucle temporelle d’une journée. Il va devoir éliminer un certain nombre de cibles dans ce temps imparti, sachant qu’une d’entre elles est aussi à sa poursuite. C’est le personnage de Julianna, qui peut être contrôlé par un autre joueur, et qui va amener un élément de chaos et d’imprévisibilité dans l’aventure. Le jeu se déroule sur l’île de Blackreef, qui est divisée en quatre districts. Le joueur aura un certain nombre de pistes qu’il va pouvoir suivre comme un enquêteur – une cible fait une fête le soir, une autre possède un complexe de recherche à tel endroit, etc. Il va commencer à recueillir des documents, écouter des conversations et avoir d’autres indices pour comprendre comment éliminer les huit cibles en une journée. Ce qui sur le papier paraît complètement impossible. C’est pour cela que l’on aime bien parler du jeu comme d’un « murder puzzle », une sorte de Cluedo inversé. Au lieu d’être l’enquêteur qui doit découvrir comment un assassinat improbable a eu lieu, on sera l’assassin devant cette situation impossible.

Comment avez-vous envisagé l’introduction d’un mode multijoueur dans un jeu à forte dimension narrative, et quels éléments différencient Colt de Julianna ?

Le héros a pas mal d’avantages, notamment un pouvoir qui s’appelle « Reprise » et qui lui permet de revenir en arrière trois fois lorsqu’il se fait tuer. À la troisième mort, la journée recommence. Colt peut aussi se débrouiller pour s’échapper sans avoir à affronter Julianna ; il reste le héros et gère ses invasions comme il veut. Cela amène des moments de tension imprévisibles, mais ce n’est pas un multijoueur frénétique pour autant. En général, le joueur de Julianna va prendre son temps, tenter de trouver Colt, poser des pièges et utiliser les différents éléments de décor. Il y a tout ce jeu du chat et de la souris, avec un aspect stratégique, tactique avec parfois des aspects de roleplay. L’idée, c’est de faire des choses intéressantes : le but n’est pas de gagner à tout prix car on accumule des points de progression même quand on perd. Rien n’empêche au joueur de Julianna de faire une confrontation directe, très stratégique ou même d’aider son adversaire…

Comment avez-vous abordé la notion de re-jouabilité dans un jeu dont le concept repose sur le fait de sans cesse recommencer la même journée ?

Quand on regarde Dishonored, il y a beaucoup de possibilités mais on traverse le jeu sur un vecteur. Les joueurs qui refont l’aventure vont commencer à connaître les différentes armes, les pouvoirs et les zones du jeu. Cette fois-ci, on voulait que l’on puisse ressentir cette maîtrise sans avoir à terminer le jeu. On va avoir une grande familiarité avec les lieux, une idée de la topographie, et de la manière d’aborder les espaces. C’est pour cela qu’on a opté pour une boucle temporelle, avec le défi d’intégrer la re-jouabilité à l’histoire et au développement du personnage. Un autre élément important est que l’on ne traversera jamais la journée de la même manière. Le côté répétitivité est plus un outil narratif qu’une proposition de gameplay. C’est le challenge de Colt de casser la boucle temporelle car une des thématiques du jeu est le prix à payer pour sortir d’un cercle vicieux, d’un schéma toxique.

Notre but, c’était que la re-jouabilité fasse partie de l’expérience elle-même. Ce n’est pas un jeu où l’on va échouer jusqu’à ce qu’on réussisse.

Dans les trailers que vous avez révélés, Deathloop reprend plusieurs éléments qui ont fait le succès de Dishonored - assassinats silencieux, furtivité, pouvoirs - dans une époque plus récente. Cherchiez-vous à différencier les deux franchises en faisant de Deathloop un FPS ?

On est habitué aux hybrides chez Arkane : Dishonored se situe entre l’action-aventure et l’infiltration et il y a un côté survie dans Prey. La période de temps est différente : dans Dishonored, on était dans une version alternative de l’époque victorienne alors que Deathloop se déroule dans une version parallèle aux années 60. Forcément, il y aura moins d’épées et d’arbalètes que de fusils et d’armes automatiques. Le gameplay va naturellement s’orienter vers le FPS, mais les mêmes verbes (assassiner, se cacher, grimper) seront présents. On fait ce que l’on appelle des « Immersive sim », une philosophie de jeu où l’on essaye de faire des univers cohérents avec beaucoup d’interactions possibles. Randy Smith, designer d’un des « Immersive sim » fondateurs, Thief, disait que le côté infiltration du jeu est lié au personnage que l’on incarne et au monde dans lequel il évolue. Finalement, le gameplay émerge des règles du jeu et de son univers. C’est la même chose dans Deathloop, où la période veut que l’on soit un assassin qui privilégie les armes à feu.  

Le jeu semble autant puiser dans The Legend of Zelda : Majora’s Mask pour son utilisation de la boucle temporelle que dans les invasions de Dark Souls pour son aspect multijoueur. Comment incorporez-vous ces influences dans Deathloop ?

Souvent à Arkane, on part de l’expérience que l’on veut faire ressentir au joueur et on commence à réfléchir aux références ensuite. Une fois qu’on était bien lancés, on a réfléchi aux jeux qui ont traité de la notion de boucle temporelle, des plus anciens comme Majora’s Mask aux plus récents comme Outer Wilds ou Minit. Pour le multijoueur, on avait l’idée de ce personnage de némésis, cet élément de chaos. Dark Souls et Demon Souls ont été une influence, mais on s’est surtout inspirés d’un concept sur lequel on avait travaillé et qui n’était finalement pas sorti : The Crossing. On avait cette idée d’un joueur qui jouait une campagne et d’autres joueurs qui pouvaient intervenir à certains moments. Le gameplay s’inspire aussi de Left 4 Dead dans une certaine mesure, où l’on peut se glisser dans la peau des ennemis et les contrôler.

Le jeu ne cache pas ses influences esthétiques, de James Bond à l’ambiance jazzy des années 60. Comment vous êtes-vous servi de ces références culturelles pour concevoir l’île de Blackreef ?

Comme pour le gameplay, on a d’abord mis les grandes lignes et on a ensuite commencé à faire infuser toutes ces influences en écoutant de la musique de l’époque, en regardant des photos… On a passé huit ans sur la saga Dishonored et entrer dans un autre univers – voir comment les gens communiquent, ce qu’ils mangent, boivent et écoutent comme musique – a fait circuler les fluides créatifs.

Quand on est partis pour faire Deathloop, on voulait créer un univers plus intimiste, d’où les références à The Thing de John Carpenter.

Sébastien Mitton [directeur artistique sur Deathloop, NDLR], s’est aussi inspiré de L’Homme des hautes plaines, pour les façades de certaines maisons de l’île de Blackreef. Dans le film, un village entier est peint en rouge vif et on a repris cette idée pour mettre un peu de vie dans cette île au design plutôt sombre. On s’est aussi inspirés du look de Twiggy, un mannequin iconique des sixties pour les masques des personnages. Pour illustrer cette fête permanente et cette folie, il fallait une ambiance musicale à la fois authentique à la période mais aussi intéressante pour une audience plus jeune. Une des influences que l’on a souvent évoquée est la série Lost. Il y a pas mal de technologies des années 60 sur l’île et ce côté bunker, mais il y a surtout un rapport similaire au mystère : qu’est-ce qu’on fait là, et comment peut-on s’en sortir ?