Heave Ho, itinéraire d’un grand petit jeu

Heave Ho, itinéraire d’un grand petit jeu

22 novembre 2019
Jeu vidéo
Heave Ho
Heave Ho Le Cartel
Extrêmement simple et malin à la fois, Heave Ho est un jeu vidéo générateur de fous rires. Rencontre avec Frédéric Coispeau, l’un de ses créateurs.

À première vue, Heave Ho est un jeu de plateforme d’une simplicité enfantine. Sur un terrain en deux dimensions, le défi pour chaque joueur est de diriger son petit bonhomme rond et coloré – sorte de patate cul-de-jatte, dotée de bras et d’un visage hilarant – d’un point A à un point B. Problème : il est impossible de sauter et l’avancée se fait uniquement à la force des bras (immenses) des personnages, qui peuvent se tenir à n’importe quel élément du décor. Un concept inédit qui prend toute son ampleur à plusieurs, puisqu’il devient alors possible et même nécessaire de s’accrocher les uns aux autres et de se balancer (formant ainsi une sorte de liane) pour se propulser à distance. Reste à savoir qui tient qui, sous peine de lâcher un partenaire de jeu au mauvais moment, l’envoyant vers une mort certaine dans une gerbe de couleurs qui éclabousse le décor.

 

L’idée est venue lors d’une game jam, l’Urban Jam, durant laquelle nous avons créé en février 2018 un prototype en 48 heures », explique Frédéric Coispeau, directeur créatif de Le Cartel, petit studio de quatre personnes qui a développé le jeu. « C’était une game jam particulière, car les organisateurs faisaient collaborer des professionnels du jeu vidéo et des personnes issues des cultures urbaines. Notre binôme était un champion de street workout qui n’avait plus l’usage de ses jambes. Il faisait du parkour et de la musculation en n’utilisant que ses bras

Le gameplay a donc logiquement découlé de cette particularité et très vite, Le Cartel studio, qui n’avait jusqu’ici sorti que le jeu Mother Russia Bleeds en 2016, propose l’idée à son éditeur Devolver Digital. Ce dernier est plus qu’enthousiasmé et commande le titre à la fois pour PC et pour Switch. « On a travaillé un an et demi sur le développement. Le choix de la Switch est venu comme une évidence quand on a réalisé à quel point tout le monde pouvait s’amuser avec le jeu, les enfants comme les parents », se souvient Frédéric Coispeau. « Comme nous étions déjà occupés par la version PC, Devolver a demandé à une équipe d’Afrique du Sud de s’occuper de la version Switch. »

Au début du développement, chaque bras d’un personnage correspondait à un joystick. Mais les Joy-Con de la console de Nintendo, qui n’ont qu’un seul joystick, ont forcé les développeurs à imaginer un nouveau gameplay : « C’était une contrainte et un vrai défi en matière de réglages. Il fallait que les gens réussissent quand même à faire ce qu’ils voulaient avec le personnage. Mais ça fait partie du gameplay que tout ne soit pas vraiment précis. On a donc dû imaginer un système avec lequel les deux bras étaient contrôlés par un seul joystick. Au début, c’était un peu perturbant. Mais au fur et à mesure, on s’est vite rendu compte que ça ne gênait pas les gens. »

Au contraire : on pourrait même arguer que ce changement participe au plaisir de jeu, en rendant les déplacements plus compliqués et en forçant encore un peu plus les joueurs à collaborer pour espérer s’en sortir. « Plus il y a de joueurs, plus les plateformes sont éloignées, afin de les forcer à faire des chaînes. Tout le point de tension réside dans le moment où l’on se tient les uns les autres : on commence à stresser, on analyse la chaîne humaine et on se demande ce qu’on doit lâcher », résume Frédéric Coispeau. Heave Ho est donc un jeu où l’on doit énormément se parler pour gagner (la phrase qui revient le plus souvent étant : « Tu es sûr que tu me tiens bien ? Je peux lâcher ? »). « On a effectivement beaucoup travaillé en matière de level design pour créer des situations où les gens doivent communiquer. Il fallait que tous les éléments importants restent visibles, qu’on sache de suite vers quoi se diriger au début du niveau. »

Toujours drôle, Heave Ho bénéficie d’une direction artistique qui participe à l’ambiance du jeu : « On voulait que ce soit joyeux et festif, mais avec un côté un peu bizarre, pas comme un jeu Nintendo. On voulait une certaine personnalité. Et on a imaginé des personnages qui semblent un peu vivants : quand ils se cognent, ils hurlent, pareil quand ils tombent… Ça ajoute à l’atmosphère. » Pour pimenter un peu les parties, les développeurs ont également imaginé une pièce jaune qu’il faut réussir à porter et à amener jusqu’à la sortie ainsi que quelques événements aléatoires venant gêner les joueurs, comme une mouette qui se soulage au milieu du décor ou un lama qui pète et qui cache pendant un long moment les plateformes. « Il y aura des ajouts de ce genre à l’avenir », promet Frédéric Coispeau. « Mais rien de graveleux, on veut surtout rester grand public ! »

Pour le moment, les ventes sont plutôt encourageantes sur les deux plateformes. L’idée d’une version PS4 est en discussion, mais « rien n’est fait pour le moment. Il faudra attendre d’avoir plus de retours sur les chiffres de ventes pour savoir si le jeu en vaut la chandelle. Un portage, c’est un vrai coût ».

Heave Ho a été soutenu par le Fonds d’aide au jeu vidéo du CNC.