Qu’est-ce que le format épisodique peut offrir au jeu vidéo ?

Qu’est-ce que le format épisodique peut offrir au jeu vidéo ?

15 octobre 2019
Jeu vidéo
Life is Strange 2
Life is Strange 2 Dontnod Entertainment-Square Enix

Depuis plusieurs années, le jeu vidéo a embrassé le format sériel. De nombreux titres se dévoilent désormais en tronçons, épisode par épisode, à la façon d’une série télé. Pourquoi l’industrie vidéoludique a-t-elle évolué en ce sens ? Explications avec Oskar Guilbert, PDG du studio français Dontnod, qui sortait il y a quelques jours l’épisode 4 de son best-seller du genre, Life Is Strange 2.


Pourquoi Life Is Strange a été imaginé dans un format épisodique et pas comme un jeu « entier », disponible directement ?

Au départ, c'était une volonté créative de Dontnod. On a été - et on est d'ailleurs toujours - de grands fans de séries télévisées. Ça nous a construits depuis nos plus jeunes années. On regardait des séries comme X-Files ou Twin Peaks, puis tout ce que des chaînes comme HBO et Showtime ont produit. Nous avions donc la volonté d'aller vers ce format, pour pouvoir raconter une histoire plus longue. Et du point de vue du marketing, l’intérêt est fort parce que cela nous permet d'être présents sur les plateformes digitales, que ce soit Steam, Epic Store ou Playstation Store et Xbox Live. Sur ces stores, quand on sort un nouvel épisode, on est mis en avant parmi les nouveautés. On avait réfléchi sur la durée et en sortant épisode par épisode, ça nous rendait beaucoup plus visibles que si on sortait tout d'un coup.


Donc c'est une façon d'exister malgré les transformations du milieu du jeu vidéo, dont les ventes numériques ont explosé ?

Exactement. C'est un outil marketing extrêmement fort et surtout gratuit. Sans investissement publicitaire supplémentaire, on est organiquement plus visibles. Avec cinq épisodes par saison, on est cinq fois plus visibles que si on faisait une seule sortie.

Est-ce également un moyen de dépasser une barrière psychologique ? Certains joueurs ne veulent pas dépenser soixante euros pour un jeu complet, mais auront moins de mal à payer cinq fois cinq euros.

Il est vrai que pour nous, cette barrière psychologique est très importante. Et ce format est une forme de liberté pour nos joueurs : si un épisode leur plaît, ils peuvent en acheter d'autres ou bien s'arrêter si ça ne leur convient pas. On ne souhaite pas les matraquer. On est très heureux qu'ils rentrent dans nos histoires et on est très fiers du taux de transformation qui est au-delà de 50 % pour les joueurs qui ont acheté le premier épisode. Dontnod sait raconter des histoires qui créent de l'engouement et l'épisodique est vraiment excellent pour ça. On n'a pas envie de les forcer à acheter un jeu à 60-70 euros.

En matière de narration pure, est-ce que les épisodes sont déjà tous écrits d'avance, ou bien vous faites des modifications entre chaque sortie ?

La trame principale est écrite dès le départ, mais effectivement, à la sortie d'un épisode, nous avons les retours de nos joueurs. On scrute avec attention tous nos réseaux sociaux et on en tire des enseignements. Par exemple, dans la saison 1 de Life Is Strange, le personnage de Kate a beaucoup plu à notre communauté. Les gens y étaient très attachés. Nous lui avons alors donné plus de place. Nous n'avons pas forcément modifié complètement l'arche narrative, mais elle a eu droit à plus de dialogues et à une ou deux scènes supplémentaires. Les joueurs s'y retrouvaient et nous leur faisions plaisir. Tout cela a été possible car on avait effectivement une petite marge de modification sur les épisodes suivants, dont le développement n’était pas terminé. Mais on ne peut quand même pas réagir au jour le jour !

Dans la plupart des séries, il y a un cliffhanger à la fin de l’épisode. Qu’est-ce qu’un bon cliffhanger dans le jeu vidéo ?

Il faut qu’il donne envie d'acheter le prochain épisode ! Nos scénaristes maison ont écrit pour la série télé, et ce sont des problématiques qu'ils connaissent bien. Ils combinent deux savoir-faire : l'écriture dite linéaire des séries télé, et la narration non-linéaire telle qu'on la retrouve dans la fiction interactive. C’est quelque chose de très particulier.

L’avenir de Dontnod passera forcément par le format épisodique ?

On n'est pas enfermé dans un genre de jeu. On a par exemple sorti Vampyr, qui arrivera sur Switch fin octobre et qui a eu un beau succès sur PS4, Xbox One et PC. C'est un jeu au format classique, j'ai envie de dire "long métrage", pour rester dans le langage du cinéma. Donc on reste ouverts aux différentes façons de raconter des histoires dans le jeu vidéo. On a conscience que l'épisodique est vraiment quelque chose d'intéressant pour un certain type d'histoires. Cela permet de fidéliser les joueurs et qu'ils puissent vivre avec nos personnages beaucoup plus longtemps. Ça nous tient vraiment à cœur, mais un jeu d'action-RPG n'est pas réellement adapté à l’épisodique : on y construit son propre personnage, le monde est ouvert et on peut l'explorer beaucoup plus… On se raconte pratiquement sa propre histoire. Il est donc difficile de faire des coupes à trois ou quatre heures de jeu.

Le format épisodique est donc plus adapté aux jeux narratifs ?

Oui. Peut-être que nous n'avons pas encore exploité d'autres genres de jeux dans ce format, mais aujourd'hui l'expérience qu'on en a nous montre que le jeu narratif est celui qui s’y prête le mieux.

Life is Strange 2, épisode 5, sortira le 3 décembre prochain. Ce jeu a bénéficié du Crédit d’Impôt Jeu Vidéo.