Bretagne Cinéma : « faire de la région un territoire de référence pour la production cinématographique et audiovisuelle »

Bretagne Cinéma : « faire de la région un territoire de référence pour la production cinématographique et audiovisuelle »

04 août 2023
Professionnels
L'Étoile du Roy au large des côtes bretonnes
L'Étoile du Roy au large des côtes bretonnes Ronan Gladu

Delphine Jouan, la coordinatrice générale Accueil des tournages de Bretagne Cinéma, explique la stratégie ayant conduit à sa création en 2020. Pour le CNC, elle en détaille les retombées en termes de jours de tournage et d’emplois dans la région.


Dans quel but a été créé Bretagne Cinéma voilà trois ans ?

Delphine Jouan : Cette marque s’inscrit dans une stratégie plus globale, réfléchie par les professionnels du secteur et la région Bretagne, afin de faire évoluer notre politique cinéma et audiovisuel. Cela fait suite à la réforme des régions en 2015. La Bretagne n’a pas vu ses frontières modifiées, mais les régions qui ont fusionné ont vu instantanément doubler, voire tripler, leurs moyens dédiés au secteur. Il était donc logique que nous nous adaptions à cette nouvelle donne à travers un changement de stratégie, avec une augmentation des moyens humains comme financiers. Cette nouvelle stratégie régionale, en faveur du cinéma et de l’audiovisuel, vise à conforter et développer une filière régionale de haut niveau, à faire de la Bretagne un territoire de référence pour la production cinématographique et audiovisuelle, et à exploiter les singularités régionales comme socle de distinction. C’est dans ce cadre, par exemple, qu’a été décidé de revisiter les règlements du Fonds d’aide avec de nouveaux comités de lecture pour créer de nouvelles manières d’accueillir des projets plus ambitieux. Et avec la création de la marque Bretagne Cinéma, il a été décidé de regrouper le service cinéma de la région et celui de l’Accueil des tournages qui est au sein de Tourisme Bretagne. Puisque nous travaillons ensemble au quotidien sur les mêmes films et faisons ensemble la promotion du territoire, communiquer d’une seule voix est apparu plus simple.

Pouvez-vous nous détailler la stratégie que vous évoquez ?

L’ambition était que la Bretagne reprenne une place forte dans le monde du cinéma, en étant présente dans tous les domaines et les genres, avec le spectre le plus étendu possible : fictions comme documentaires, cinéma comme télévision, longs métrages comme courts métrages, art et essai ou projets plus ouvertement populaires. Pour les projets plus « solides » a été créé un comité spécifique, appelé « création structurante », afin de cibler les œuvres dont on a la certitude qu’à partir du moment où on les aide, elles vont être tournées dans les mois qui suivent et offrir un haut potentiel en termes d’embauche de techniciens, de comédiens, de prestataires… et donc avoir un effet vertueux sur l’ensemble de la filière dans notre région. Dans cette nouvelle stratégie également, la décision de donner plus de moyens à la formation était un axe fort. Penser à ceux qui arrivent dans le métier, consolider les parcours afin de développer un vivier de professionnels compétents et talentueux sur le territoire. Un autre axe important de cette réforme était la volonté d’ouvrir la Bretagne à l’international en favorisant notamment les opportunités de coproductions entre les sociétés de production bretonnes et l’étranger. C’est la raison pour laquelle une aide au codéveloppement international a été créée. Évidemment, en parallèle de tout cela, il a fallu faire vivre et connaître cette nouvelle stratégie. Un plan de communication ambitieux a été mis en place, en parallèle au travail de fond mené par les équipes de Bretagne Cinéma sur la promotion du territoire et de ses talents au niveau national et international.

En tant que coordinatrice générale Accueil des tournages de Bretagne Cinéma, quel tournage vous a particulièrement marqué ?

Le travail du service d’Accueil des tournages se fait à 90 % avant le premier clap. Si les équipes ont encore beaucoup besoin de nous au moment du tournage, c’est très mauvais signe ! Nous essayons de rendre visite au moins une fois à chaque film de fiction qui se tourne sur le territoire. Par intérêt pour les projets concernés évidemment, mais aussi pour creuser ce travail de réseau évoqué précédemment. C’est l’occasion de recroiser les professionnels, productrices, producteurs, techniciennes, techniciens, comédiennes et comédiens… Et à ce titre, le tournage récent qui m’a le plus marquée, c’est sans conteste Les Trois Mousquetaires, le diptyque de Martin Bourboulon, soutenu par Bretagne Cinéma. Des films de cape et d’épée, des tournages de nuit, des cascades… C’était très spectaculaire à voir ! On avait travaillé très en amont avec la personne chargée des repérages de ces deux films. Elle recherchait notamment un lieu pour figurer la citadelle de La Rochelle qui n’existe plus. On a très vite placé Saint-Malo dans la boucle qui a rapidement retenu l’attention et a été finalement choisie. Ce décor sera bien visible dans le deuxième volet, Milady, qui sort le 13 décembre en salles.

Ce côté prospectif tient une grande place chez Bretagne Cinéma ?

Oui, il y a évidemment des projets où la Bretagne s’impose d’elle-même. Mais dans la grande majorité des cas, on se retrouve en concurrence avec d’autres régions, voire avec l’Europe pour des projets étrangers ambitieux. Dans ce cas, il faut pouvoir être force de proposition sur les décors, notamment parce que la plupart du temps, c’est là que se situe l’enjeu pour faire venir un film sur son territoire.

 

Quels sont les gros projets internationaux que vous avez pu attirer depuis la création de Bretagne Cinéma ?

Toute la lumière que nous ne pouvons voir, la série créée par Steven Knight et Shawn Lévy [qui sera diffusée à partir du 2 novembre 2023 sur Netflix, ndlr] avec notamment au générique Hugh Laurie et Mark Ruffalo. C’est une adaptation du roman d’Anthony Doerr, dont l’action se déroule en partie à Saint-Malo, pendant la Seconde Guerre mondiale. La série a été tournée quasiment entièrement en studio à Budapest, mais Saint-Malo a accueilli quelques extérieurs. Il y a aussi Chapeaux, une série sur la partie française de la vie de Benjamin Franklin [pour Apple TV+, ndlr] avec Michael Douglas dans le rôle-titre qui, si elle s’est principalement tournée en Île-de- France, a aussi posé ses caméras en Bretagne puisque Franklin a débarqué en France à Auray, dans le Morbihan. Ils ont reconstitué Auray à Saint-Malo et ses alentours. Mais je pourrais aussi citer Commissaire Dupin, une série allemande de la chaîne ARD [que diffuse France 3 en France, ndlr] qui se tourne depuis onze ans en Bretagne. C’est l’œuvre d’un écrivain allemand [sous le pseudonyme de Jean-Luc Bannalec, ndlr], passionné par la Bretagne où il a donc situé l’action de sa série de livres, dont tous sont, dans la foulée de leur publication, adaptés pour le petit écran.

Avez-vous déjà mesuré les retombées de Bretagne Cinéma tant sur le plan touristique que sur l’évolution du nombre de tournages ?

Nous n’avons pas de chiffres concernant le lien entre tourisme et cinéma, car la venue sur un territoire grâce à un film est souvent couplée à de nombreuses autres motivations. Mais la perception des gens du secteur est que oui, les films et les séries sont un facteur déclencheur pour donner l’envie de venir visiter un lieu ou une région. Du point de vue des tournages, par contre, l’amélioration est vraiment quantifiable. Les années 2022 et 2021 ont vu une nette augmentation du nombre de jours de tournage en Bretagne. On compte en effet plus de 500 jours de tournage de fiction sur le territoire, quand les années auparavant on était sur une moyenne de 350 jours. Et l’année 2023 s’annonce exceptionnelle, car on totalise déjà plus de 500 jours de tournage de fictions sur le seul premier semestre. Grâce, entre autres, aux tournages de plusieurs séries qui s’installent dans la durée et notamment de Déter. C’est la nouvelle série quotidienne de France Télévisions, qui a débuté en avril et se poursuit jusqu’en novembre, s’étalant sur 160 jours. La série, prévue en diffusion cet automne, raconte la vie de jeunes en formation dans un lycée agricole, et met en lumière la complexité des enjeux du monde agricole et rural d’aujourd’hui et de demain, avec humour et loin des clichés. Ce projet [soutenu financièrement par la Région Bretagne, ndlr] est important pour la structuration de la filière, car il emploie un maximum de professionnels bretons.

Parce que les retombées se font aussi dans les emplois…

Exactement ! Et ce sujet constitue une partie prépondérante de notre travail au quotidien. Inciter les productions à engager des professionnels de la région, qu’ils soient techniciens, comédiens ou prestataires. Nous disposons de plusieurs outils que nous mettons à jour régulièrement où sont référencés les professionnels : Film France Talents pour les techniciens et les comédiens et un annuaire de prestataires en ligne sur notre site. Au total, ce sont plus de 900 professionnels qui y sont référencés et que nous pouvons valoriser auprès des porteurs de projets.

La réussite se lit aussi en termes de sélection dans les festivals ?

Oui, tout ce qui se passe ces derniers temps est vraiment positif. Ce qui me permet de parler de l’animation, un secteur de plus en plus fort en Bretagne grâce, entre autres, à deux très importantes sociétés de production basées à Rennes, spécialistes notamment de la stop motion. Leurs films, régulièrement sélectionnés à Annecy, ont décroché de nombreux prix : JPL Films, à qui l’on doit notamment Louise en hiver de Jean-François Laguionie, et Vivement lundi ! qui a fait le tour du monde avec Flee de Jonas Poher Rasmussen, nommé à trois reprises aux Oscars – du jamais vu ! [film d’animation, documentaire et film étranger, ndlr]. Mais je pourrais aussi citer o2o Studio, basé, lui, à Saint-Malo. Leur talent et leur savoir-faire sont désormais reconnus au niveau international. À Cannes, ce fut une année record pour la Bretagne avec la présence, toutes sections confondues, de huit films soutenus par la région, longs et courts métrages, animation et fiction : Le Temps d’aimer de Katell Quillévéré, Rien à perdre de Delphine Deloget, Rosalie de Stéphanie Di Giusto, Le Sexe de ma mère de Francis Canitrot, Electra de Daria Kashcheeva, Margarethe 89 de Lucas Malbrun, Nome de Sana Na N’Hada et Les Silencieux de Basile Vuillemin. Début juillet au FID de Marseille, deux films bretons ont été récompensés, L’Île de Damien Manivel et Le Sentier des asphodèles de Maxime Martinot. À la fin de ce mois d’août, quatre des onze films présentés en compétition dans le festival du film francophone d’Angoulême seront bretons. Ces prix et sélections sont pour nous des signes qui prouvent que la stratégie mise en place porte ses fruits. Tout cela nous rend très fiers !