Discours de Gaëtan Bruel en ouverture de la journée CNC « Comment agir pour une IA responsable dans la filière de l’image animée ? »

Discours de Gaëtan Bruel en ouverture de la journée CNC « Comment agir pour une IA responsable dans la filière de l’image animée ? »

07 octobre 2025
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Gaëtan Bruel
Gaëtan Bruel lors de l'ouverture de la journée CNC « Comment agir pour une IA responsable dans la filière de l’image animée ? » CNC

Discours prononcé le 7 octobre 2025 à l'occasion de la journée de rencontres et d’échanges, autour des enjeux de l’intelligence artificielle dans le domaine de l'image animée pour mieux appréhender les défis liés à celle-ci et identifier les bonnes pratiques pour son usage responsable.


Mesdames, Messieurs,
Chers amis,

Au nom de toute l’équipe du CNC, je suis très heureux de vous accueillir ce matin, et d’ouvrir avec vous cette nouvelle journée de réflexion et d’échanges que nous avons voulu consacrer à un sujet si important qu’il est devenu l’un des marqueurs de notre époque : l’Intelligence Artificielle.

En quelques mois seulement, l’IA a quitté le champ des promesses ou des expérimentations, pour entrer dans nos usages quotidiens comme dans nos pratiques professionnelles. Un chiffre illustre à lui seul cette bascule : 700 millions - c'est le nombre d’utilisateurs hebdomadaires de ChatGPT en août 2025, c’est quatre fois plus qu’il y a un an.

Ce constat, nous pouvons tous le faire : l’IA a déjà changé notre façon d’interagir avec le monde :

  •  les algorithmes de recommandation influencent nos choix de spectateurs ;
  • nous pouvons aujourd’hui produire des images de synthèse aussi rapidement qu’on prend une photo ;
  • les agents conversationnels sont devenus de vrais moteurs de recherche - ils commencent d’ailleurs à les remplacer - ils sont capables de donner des réponses complexes presque instantanément – capables aussi de nous faire écrire dans toutes les langues.

L’IA s’est imposée dans nos vies : on peut le déplorer, on peut s’en réjouir, mais on ne peut plus l’ignorer.

Dans nos secteurs, l’apparition de l’IA est bien antérieure à ChatGPT. Cela fait au moins 10 ans qu’elle est déjà bien ancrée dans trois domaines clés pour toute la filière : la lutte contre le piratage, la recommandation éditoriale et les effets visuels numériques.

La nouveauté avec l’IA Générative, c’est que tout le monde peut désormais utiliser ces outils, avec des usages personnels qui recoupent nécessairement des usages professionnels.

Les chiffres sont éloquents : selon le baromètre des usages de l’IA lancé par le CNC en 2024, les 2/3 des professionnels de la filière ont déjà eu recours à l’IA - c’était moins de la moitié un an auparavant - et 28 % s’en servent tous les jours ou presque. Toutes les professions sont concernées, et 70% des utilisateurs s’en disent satisfaits, même si ces outils sont jugés perfectibles, et que les inquiétudes sont croissantes.

Il ne s’agit donc plus de se demander si on est « pour » ou « contre » l’IA : l’enjeu aujourd’hui est de déterminer comment nous souhaitons l’utiliser, dans quel cadre et avec quelles garanties.

C’est à cela que nous allons réfléchir ensemble tout au long de cette journée. Pour ce propos introductif, je voudrais simplement vous dire la méthode que le CNC entend suivre pour analyser ces défis, les convictions qui nous animent dans ce travail, enfin la stratégie que nous avons adoptée pour y répondre.

  • 1. Sur la méthode, tout d’abord.

Je crois que tout le monde en est conscient ici : l’IA apparaît à un moment de bouleversements inédits pour la filière. Les usages évoluent à un rythme accéléré, les grands équilibres bougent, le contexte international est particulièrement instable.

Dans un moment aussi incertain, il serait tentant de faire de l’IA la cause de tous les maux ou, au contraire, d’y placer tous nos espoirs en y voyant, notamment face aux pressions sur les modèles de financement, une solution miracle.

Je crois que l’urgence, au contraire, est de garder la tête froide, d’examiner la situation avec calme et rigueur, pour nous poser les bonnes questions.

C’est ce que nous nous attachons à faire au CNC avec l’Observatoire de l’Intelligence artificielle, qui fait un travail de fond qui n’a pas d’équivalent. L’idée est de constituer un espace de ressources pour vous, professionnels, à travers des études approfondies, pour vous permettre de comprendre ce qui est en train de se jouer dans vos secteurs. Nous organisons également des rencontres, des échanges autour des différents enjeux, qui sont captées et disponibles sur notre site internet et donc consultables par tous, comme le sera cette journée.

Face à une révolution qui se produit sous nos yeux, dans nos mains, il ne s’agit pas de définir une doctrine figée qui risquerait de devenir obsolète en quelques mois. Il s’agit d’abord d’observer, de comprendre, de prendre la mesure de ce sujet complexe et en constante évolution. Et il s’agit, surtout, de le faire collectivement.

Je veux rappeler ici que notre action s’inscrit dans plusieurs cadres :

  • Un cadre européen, d’abord, avec la négociation et l’adoption du règlement sur l’Intelligence Artificielle (AI Act), avec sa mise en œuvre, les interrogations qu’il suscite encore aujourd’hui au Parlement Européen, et qui me semblent très légitimes. Il est un peu facile d’afficher une ambition, mais de ne pas la concrétiser au moment où il s'agit précisément de la rendre effective. Pour l’IA dans la création, nous avons besoin d’une ambition qui ne soit pas que de façade. Nous avons la chance d’avoir notamment avec nous aujourd’hui Alexandra Bensamoun qui a effectué un important travail, pour proposer des recommandations ambitieuses et précises, sur les conditions de mise en œuvre  de l’AI Act. Merci Alexandra d’être avec vous aujourd’hui.
     
  • Notre action s’inscrit ensuite, bien sûr, dans un cadre national, avec la feuille de route gouvernementale issue du rapport « IA, une ambition pour la France » dont les travaux ont été co-dirigés par Philippe Aghion et Anne Bouverot. Mais aussi avec les missions successives du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) confiées à Alexandra Bensamoun et à Joëlle Farchy que je remercie également de sa présence parmi nous. Je veux citer également la mission de concertation entre développeurs et ayants droit lancée par les Ministres Rachida Dati et Clara Chappaz – son responsable Maxime Boutron est ici pour nous en parler. Je pense enfin à la mission d’information du Sénat sur « L’IA et la création », qui a donné lieu à un excellent rapport publié au mois de juillet à l’initiative des sénateurs Laure Darcos, Pierre Ouzoulias et Agnès Evren.
     
  • Notre action s’inscrit enfin dans la feuille de route du ministère de la Culture, voulu par la ministre, « Agir pour les intelligences artificielles culturelles et responsables », qui fixe un cap très clair en matière éthique.
     
  • 2. Ce travail que nous avons initié, est animé par quelques convictions qui ne sont pas que de façade.

Car s’il est trop tôt pour figer une doctrine, on ne peut avancer sans des principes clairs, et notamment sans nous poser la question essentielle qui doit être posée devant toute révolution technologique : « Quelle est la fin, dont l’IA ne doit être que le moyen ? »

Et la réponse que nous apportons collectivement, c’est celle que la France a apporté à chaque nouvelle révolution dans nos secteurs, notamment à travers son bras armé qu’est le CNC : la finalité, le cap, la boussole, c’est la diversité et le renouvellement de la création, autant que la diversité et le renouvellement de ses publics.

C’est le choix de toujours du modèle français, même et surtout au cœur des plus grandes mutations technologiques : avant-hier face à l’arrivée de la télévision, hier face à l’éclosion des plateformes numériques. Nous le ferons face à l’IA.

Nous le ferons parce que c’est hautement souhaitable : vous aborderez aujourd’hui les enjeux éthiques et juridiques fondamentaux que soulève l’IA, comme le respect – ou malheureusement trop souvent le non respect - du droit d’auteur, la reconnaissance du travail des créateurs et plus largement, la juste répartition de la valeur.

Mais nous le ferons aussi – pardon – parce qu’au-delà de cette dimension éthique, qui est fondamentale, c’est plus largement notre intérêt bien compris, pour nous faire réussir collectivement.

On entend parfois qu’il faudrait mettre en sourdine certains de nos principes pour gagner en compétitivité. Comme si la protection des droits, la reconnaissance du travail artistique, ou la rémunération équitable des acteurs de la chaîne de création, étaient des freins à la performance et à l’innovation. C’est un contresens profond : elles en sont au contraire la condition. Et la France en est la meilleure preuve.

Notre pays a traversé toutes les révolutions technologiques sans jamais rien lâcher de l’ambition et de l’exigence qu’il attache au soutien qu’il apporte aux créateurs, et les résultats sont là : nos films rayonnent dans les plus grands festivals internationaux, ils sont plébiscités par le public et notamment le public français ; nos séries s’exportent plus que jamais avec d’excellents chiffres sur l’export de la fiction audiovisuelle depuis 10 ans et ces deux dernières années en particulier – en dépit d’un contexte de récession internationale - ; bref, nos industries sont puissantes, résilientes, innovantes. Il est clair qu’elles résistent mieux aux crises qu’ailleurs.

Certains nous diront que cette révolution, celle de l’IA, n’est pas comme les autres, qu’elle rebat les cartes de façon inédite, qu’elle interroge ce qu’est l’acte même de créer. Deux réponses à cela.

En premier lieu, la création est et restera toujours profondément, irréductiblement humaine. L’IA peut imiter, elle peut assister, elle peut accélérer, elle peut inspirer. Elle produit des résultats spectaculaires. Mais parfois ce sont surtout des résultats spectaculairement décevants. Car la promesse théorique de pouvoir faire mieux, correspond trop souvent, et en vérité de plus en plus, à la réalité de faire moins bien. Parce que l’IA ne remplacera jamais la singularité d’une intention, d’une vision, d’une expérience humaine. « Créer, c’est vivre deux fois », a écrit Albert Camus : il faut donc avoir vécu au moins une fois.

Oui, l’IA ouvre des horizons, oui, elle démultiplie le champ des possibles, oui elle permettra sans doute de faire des films à grand spectacle sans les budgets hollywoodiens et ce sera une nouvelle corde à notre arc. Mais l’horizon de la création, ce n’est pas seulement d’être dopée aux effets spéciaux.

Il faut être honnête sur le fait que l’IA nous promet une révolution artistique, qui est surtout, à ce stade, une révolution économique, dans un contexte de pressions sans précédent sur les modèles de financement de la création, parce que les audiences vont de plus en plus sur les plateformes gratuites, parce que la piraterie est de retour avec l’IPTV - si tant est qu’elle avait disparu.

Mais même sur ce front, celui de la compétitivité, il faut rappeler qu’en France, nous n’avons pas attendu l’IA pour faire mieux avec moins : c’est même notre signature, depuis la Nouvelle Vague. Ces derniers jours, il y a un peu d’émoi autour d’un projet de film d’animation soutenu par OpenAI. La révolution, à les écouter, serait de faire un film d’animation pour 30 millions de dollars seulement !

Il faut respirer et boire frais, et leur rappeler qu’avec Flow, pour un budget de moins de 4 millions d’euros, sans IA, on peut remporter l’Oscar  et faire une oeuvre qui aura marqué l’histoire de l’animation.

En second lieu, du point de vue des technologies elles-mêmes, penser que l’on peut se passer des créateurs est absurde, et dangereux.

On sait qu’une IA qui ne s’alimenterait plus que de contenus générés par d’autres IA accentuerait sa tendance à produire du prévisible, du standard, et finirait par s’effondrer sur elle-même. Si l’on veut des intelligences artificielles performantes et compétitives, il faut d’abord protéger et encourager la créativité humaine. C’est là que tout se joue.

L’innovation passe donc par l’indépendance et le renouvellement de la création, et l’IA apparaît comme une opportunité historique de conjuguer les deux mondes, celui de la technologie et celui de l’art.  C’est le modèle français et européen que nous portons. Embrasser l’innovation au service de la création humaine : voilà notre cap.

  • 3. A partir de là, comment agir très concrètement ?

Le CNC s’est emparé de ces enjeux depuis longtemps dans le cadre de son soutien à l’innovation. Mais l’irruption des logiciels d’IA générative a accéléré notre mobilisation et nous avançons actuellement sur trois chantiers : la responsabilisation de nos commissions, l’accompagnement des créateurs et l’évaluation de l’impact social et environnemental.

Le premier chantier, c’est la responsabilisation de nos commissions.

Vous le savez, ces commissions sont le cœur du CNC. Il en existe 45, animées par plus de 1000 professionnels experts dans leurs domaines. Ils sont les gardiens du Temple. Leur exigence est notre meilleur garde-fou contre l’appauvrissement de la création et la dégradation de la qualité technique.

Le constat qui est fait aujourd’hui dans ces commissions, c’est que l’IA s’invite de plus en plus souvent dans les dossiers qui leur sont présentés - parfois de manière assumée, mais pas dans la majorité des cas. D’où la nécessité d’un cadre clair et, surtout, de transparence s’agissant du recours à l’IA par les porteurs de projets.

Pour poser ce cadre, nous nous sommes appuyés sur l’expérience de la commission de l’aide aux moyens techniques qui a, dans ce domaine, une longueur d’avance puisqu’un tiers des projets techniques qu’elle examine repose sur l’IA. Avec les équipes du CNC, les experts de cette commission ont élaboré une grille d’analyse des dossiers présentés qui tient compte des risques inhérents à l’IA et qui exige des porteurs de projets une vigilance particulière dans son utilisation. Cette grille permet à chacun – les porteurs de projet d’une part, les membres de la commission d’autre part – de se poser les bonnes questions et d’imposer des pratiques vertueuses. 

J’ai donc souhaité que toutes les commissions, sans exception, adoptent des modalités d’instruction semblables.

Ainsi, dans ces prochaines semaines, deux exigences s’imposeront aux porteurs de projets :  

  • tout d’abord, la transparence : toute utilisation significative de l’IA, que ce soit pour la rédaction du dossier ou dans le processus de production, devra obligatoirement être mentionnée ;
  • ensuite, lorsque l’IA façonne sensiblement l’œuvre, dans sa conception ou sa fabrication, une note d’intention sera exigée. Cette note devra justifier le recours à l’IA d’un point de vue artistique, mais aussi indiquer les outils utilisés, évaluer les enjeux juridiques et anticiper l’impact potentiel sur l’organisation du travail et plus largement sur la stratégie de production.

Et parce que nous ne pouvons pas exiger la transparence si nous ne sommes pas transparents nous-mêmes, nous allons clarifier également les règles concernant l’usage éventuel de l’IA par les experts de nos commissions qui analysent les dossiers — notamment les lecteurs chargés de la présélection.

Je sais que certains porteurs de projets se sont inquiétés à l’idée que leur travail puisse être lu, voire évalué par des algorithmes. Qu’ils soient rassurés : il n'en est absolument pas question, et nous allons être très vigilants à ce sujet.

Nous allons modifier les règlements intérieurs de nos commissions pour y inscrire trois limites, qui sont évidentes, mais cela va toujours mieux en les formulant, et en les inscrivant dans les textes qui régissent notre fonctionnement :

  • la première limite, c’est la confidentialité des données : les éléments contenus dans les dossiers sont strictement confidentiels et les partager avec une IA qui ne garantit pas leur sécurité – comme c’est souvent le cas pour les outils gratuits –, constituera une faute qui engagera la responsabilité de son auteur ;
  • la deuxième limite, c’est le consentement : les ayants droit pourront s’opposer à ce que leur création soit analysée par un traitement automatique ; c’est une garantie issue du droit européen que nous assurerons ainsi, mais c’est pour nous une évidence ;
  • le troisième limite, c’est que toute décision prise sur un dossier devra rester le fait d’un être humain : c’est précisément par le débat contradictoire et la confrontation d’idées que les commissions parviennent à formuler une recommandation collégiale : là encore un processus irréductiblement humain !

Le deuxième chantier, au-delà du cadre que nous nous donnons pour nous-mêmes, c’est l’accompagnement des créateurs.

Je le répète : l’IA peut représenter une formidable opportunité créative, et le fait de définir un cadre éthique à son utilisation n’est en aucun cas une façon de freiner les expérimentations. Simplement, nous ne voulons pas subir l’IA, nous voulons la tester, l’explorer, la maîtriser. Nous voulons donner à nos créateurs toutes les chances d’explorer ce nouveau continent et nous voulons qu’ils puissent le faire dans les meilleures conditions.

C’est pourquoi, à la suite de l’annonce faite par la ministre de la Culture au festival de Cannes, le CNC lance un appel à projets destiné à financer des « résidences de création IA ». En s’appuyant sur des résidences de création au meilleur standard, avec des experts au meilleur niveau, l’idée est de permettre aux créateurs de bénéficier d’espaces de travail pensés pour les accompagner dans l’exploration du plein potentiel de l’IA, dans un cadre vertueux, avec notamment le soutien d’acteurs de l’industrie et de laboratoires de recherche.

Cet appel à projets est doté de 320 000 €. Il est publié aujourd’hui même et les propositions, pour armer de telles résidences, sont attendues fin janvier 2026. Les modalités précises vous seront présentées cet après-midi, à l’occasion de cette journée.

Troisième chantier, à ce stade, pour le CNC, que je souhaite évoquer ce matin : l’évaluation de l’impact social et environnemental de l’IA.

Je le disais à l’instant : cette révolution se fait sous nos yeux. Pour ne pas céder au vertige ni aux fantasmes face à ces mutations, il faut prendre du recul et évaluer précisément son impact dans nos secteurs, branche par branche, métier par métier.

C’est l’objet des travaux récents menés conjointement par la Direction des Etudes et de la Prospective du CNC, Audiens et l’AFDAS, au sein de « l’Observatoire des métiers dans la culture et les médias à l’heure de l’IA », créé à l’initiative d’Audiens. Cet observatoire analyse chaque trimestre une famille de métiers que l’on suppose particulièrement exposée aux transformations liées à l’IA.

La première note, publiée en mai dernier, a été consacrée à la situation des storyboarders. Au regard des éléments quantitatifs et qualitatifs produits dans le cadre de cette étude, cette étude n’a pas permis de conclure à un impact de l’IA sur ce métier éminemment créatif, à ce stade en tout cas du développement de l’IA. Je me permets d’insister sur le fait que l’étude publiée en mai, a travaillé sur des éléments relatifs aux mois qui ont précédé, or nous savons que nous sommes sur un sujet très évolutif. C’est donc une photographie à date, qui est rétrospective, plus que prospective.

La seconde note de conjoncture, publiée aujourd’hui même, est consacrée aux comédiens doubleurs. Elle propose une analyse de référence qui est, je le sais, particulièrement attendue. Là encore, aucune corrélation n’a pu être établie entre l’IA et l’évolution révente de l’activité, dont la baisse est plus vraisemblablement imputable à la contraction de la demande de doublage. La situation est toutefois très évolutive, avec des risques à plus ou moins court terme sur certains segments d’activité. Elle demande donc toute notre vigilance, et nous allons continuer d’observer cette question de l’impact avec la plus grande attention.

Dans les deux cas, storyboarders et comédiens doubleurs, cette première photographie sera donc le point de départ d’un suivi rigoureux et régulier.

S’agissant des inquiétudes exprimées par différentes professions, je voudrais dire deux choses :

  • D’abord, ces inquiétudes sont parfaitement compréhensibles, légitimes et doivent être entendues. Le rôle du CNC, c’est justement d’ouvrir un espace de dialogue régulier et d’examiner les faits de manière claire et objective.
  • Ensuite, je veux souligner que la maîtrise de ces enjeux passe par un dialogue interprofessionnel de qualité, car les solutions ne peuvent venir que des partenaires sociaux et des représentants des auteurs. Le CNC est disponible pour accompagner ce dialogue si les parties le souhaitent, mais il ne peut en aucun cas s’y substituer.

Enfin, outre cettedimension sociale, que nous suivons de très près, cette journée nous permettra aussi d’aborder un sujet qui est trop souvent un angle mort des réflexions sur l’IA : son impact environnemental. Faire une simple recherche en utilisant ChatGPT est tentant, mais c’est écologiquement bien plus coûteux que faire la même recherche sur un moteur de recherche classique. Cet impact environnemental se pose a fortiori pour les outils de production qui vont utiliser l’IA. Nous ne pouvons pas, d’un côté, nous préoccuper de l’empreinte environnementale de notre filière, et ignorer d’un autre côté le risque de dégradation de notre environnement, à une échelle assez vertigineuse, du fait de ces outils.

Vous le savez, le CNC s’est engagé depuis des années pour soutenir la transition énergétique de toute la filière et notamment l’écoproduction. J’ai donc tenu à ce que l’AFNOR soit présente cet après-midi pour présenter un référentiel portant sur l’IA frugale, qui formule des recommandations très précises à la portée de toutes les entreprises.

***

Mesdames et Messieurs,
Plus personne ne peut donc l’ignorer : l’IA est bien plus qu’une révolution technologique. Elle remet en jeu des principes aussi fondamentaux que le droit d’auteur et les droits de la personne. Elle met au défi notre conception de l’acte de créer. Elle met aussi au défi notre liberté de spectateur, de nous orienter dans l’offre pléthorique d’images désormais à notre disposition, et je crois qu’au-delà de ce que l’IA peut apporter, ou changer, à l’acte même de créer, il va nous falloir être également particulièrement attentifs à ce que l’IA peut apporter, ou changer, sur l’exposition et la circulation des œuvres, sujet existentiel pour notre filière.

Cela peut être une aide, et il faut réfléchir à fond – je crois encore plus que ce que nous faisons aujourd’hui - à ce que l’IA peut apporter pour renouveler les opportunités de rencontre entre les œuvres et les publics. Mais cela peut être aussi un risque, qui menace tout le monde, y compris ceux qui semblent triompher aujourd’hui. On s’inquiète aujourd’hui d’une bascule des audiences sur des plateformes gratuites, et je crois qu’on a raison de s’en inquiéter, car il n’y a pas de véritable création sans un modèle de financement robuste ; mais demain, ce sont aussi ces plateformes qui pourraient être challengées, voire menacées, si plutôt qu’aller sur l’une des 40 apps qui se trouvent sur notre téléphone, nous préférons confier à une IA le soin de choisir pour nous ce que nous allons regarder.
Et au final, ceux qui l’emporteront, c’est ceux qui n’auront jamais cédé sur l’ambition de faire des oeuvres, singulières, audacieuses ; jamais cédé non plus, sur l’ambition d’aller rencontrer tous les publics, partout où ils se trouvent.

Comme toute technologie – et d’autant plus s’agissant d’une technologie qui ne s’alimente et ne survit que du renouvellement de la création humaine – l’IA doit demeurer ce que nous déciderons collectivement d’en faire.

Je vous souhaite d’excellents échanges.