Disparition de la réalisatrice Jocelyne Saab, précurseur d’un nouveau cinéma libanais

Disparition de la réalisatrice Jocelyne Saab, précurseur d’un nouveau cinéma libanais

14 janvier 2019
Professionnels
Portrait de Jocelyne Saab
Portrait de Jocelyne Saab DR

Jocelyne Saab s’est éteinte le 7 janvier 2019. Reporter de guerre devenue cinéaste, elle a réalisé des documentaires bouleversants sur Beyrouth au moment de la guerre. Son style cinématographique radical et novateur, son art de l’analyse et sa faculté à questionner son époque ont marqué l’histoire du cinéma.


Née à Beyrouth en 1948, Jocelyne Saab étudie les sciences économiques à La Sorbonne, à Paris. De retour au Liban, elle entame une carrière de journaliste aux côté de la poétesse américano-libanaise Etel Adnan, qui l’embauche au journal as-Safa. En 1973, elle devient reporter de guerre au Moyen-Orient pour plusieurs chaînes de télévision internationales. Elle couvre ainsi la guerre d’Octobre en Egypte, celle d’Irak, le Kurdistan, le Golan, avant de se tourner vers le documentaire. Jocelyne Saab raconte : « Que ce soit en Égypte, en Libye ou ailleurs, j’ai rencontré de nombreux chefs d’État. Il y avait peu de femmes à l’époque, donc j’intéressais en tant que journaliste ces grandes personnalités politiques. Elles ne m’impressionnaient pas particulièrement, mais elles m’ont permis de mieux saisir certaines situations. J’ai eu la chance d’avoir pu rendre compte de certains nœuds de l’histoire, ce qui me donnait une conscience encore plus forte de ce que je devais donner à travers les images que je filmais ».

Une nécessité de raconter son époque en images
Dès lors, l’image apparaît comme une façon de raconter son époque tout en suscitant la réflexion. En 1975, la guerre civile éclate au Liban. Jocelyne Saab réalise son premier documentaire pour raconter la violence dans laquelle son pays bascule. Le Liban dans la tourmente sort en salles à Paris, mais est censuré au Liban. La cinéaste s’engage alors à témoigner de la réalité de la guerre, qui va déchirer son pays pendant quinze ans. Avec Beyrouth, jamais plus (1976), Lettre de Beyrouth (1978), Beyrouth, ma ville (1982), elle couvre la guerre au jour le jour, risquant parfois sa vie pour restituer la réalité du terrain. De ce triptyque éloquent, réalisé dans un style novateur et audacieux, Etel Adnan écrit : « Jocelyne a saisi d'instinct, grâce à son courage politique, son intégrité morale, et sa profonde intelligence, l'essence même de ce conflit. Aucun document sur cette guerre n'a jamais égalé l'importance du travail cinématographique que Jocelyne a présenté dans les trois films qu'elle a consacrés au Liban ».

Un style cinématographique radical
Observatrice téméraire et aguerrie, la cinéaste réalise plus d’une trentaine de documentaires, témoignant des grands bouleversements de la seconde moitié du XXe siècle. Derrière sa caméra, Jocelyne Saab capte au plus près les villes en guerre, les injustices, les populations meurtries et les résistances dans un style cinématographique radical, qu’il s’agisse du Liban, mais aussi de la Palestine (Femmes palestiniennes, 1973), du Sahara (Le Sahara n’est pas à vendre, 1978), de l’Iran (Iran, l’utopie en marche, 1980), de la Turquie (Imaginary Postcards, 2016), du Vietnam (La Dame de Saïgon, 1997), ou encore de l’Égypte, où elle a souvent vécu, (Les Almées, danseuses orientales (1989). Ses images saisissantes de vérité, tournées bien souvent dans l’urgence, traduisent une écriture documentaire pertinente et travaillée.
Elle tourne son premier long métrage de fiction en 1985, après avoir assisté le cinéaste Volker Schlöndorff sur le tournage duFaussaire en 1981. Une vie suspendue, l’histoire d’amour entre deux rescapés dans un pays en guerre, est sélectionné au Festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs. En 2005, Jocelyne Saab signe Dunia, une comédie musicale tournée au Caire qui dénonce l’excision, pratique fortement répandue en Egypte. Cet hymne aux femmes et à la liberté qui met à mal la société égyptienne fait scandale et lui vaut des menaces de mort par les fondamentalistes. Censuré en Egypte, le film remporte plusieurs prix internationaux, dont le Grand Prix du Jury du Festival du film de Sundance. Elle tente de retrouver la poésie d’un Liban en quête de son identité dans What’s going on ?, un film abstrait et surréaliste tourné en 2009 à Beyrouth.
Portée par un devoir de mémoire, Jocelyne Saab se lance en 1992 dans un projet de reconstitution de la Cinémathèque Libanaise. Elle parcourt le monde, parvient à rassembler plus de trois cent films qui évoquent le Liban et opère alors un immense travail d’archive. Elle se consacre par la suite à l’art contemporain et à la photographie.

Fondatrice du Festival International du Film de Résistance Culturelle
En 2013, elle crée le Festival International du Film de Résistance Culturelle au Liban, qui s’intéresse aux cinémas d’Asie et de la Méditerranée. Les films sélectionnés viennent questionner l’histoire et la situation de Beyrouth et amènent à réfléchir à la possibilité de la paix. Fondatrice, directrice artistique et déléguée générale du festival, Jocelyne Saab espère provoquer une réflexion, un échange politique, un débat entre les participants et les festivaliers. Elle met à contribution toutes les grandes universités du Liban, en organisant des séminaires exceptionnels avec de grands essayistes, critiques et professeurs de cinéma du monde entier (Nicole Brenez, Wassyla Tamzali, Daniel Guibert, Aruna Vasudev, Sam Ho, Philip Chea). Le festival, qui se déroule sur tout le pays (des projections sont organisées non seulement à Beyrouth, mais aussi à Tripoli, à Zahlé, à Tyr et à Saida), propose également une compétition d’écriture critique à l’attention des jeunes spectateurs sur la base des films projetés en festival.
Questionner sur sa carrière, l’artiste aux multiples facettes révèle : « Je crois que ce qui fait la spécificité de mon parcours est que j’ai toujours voulu rester cohérente ; je suis toujours restée prête à me battre pour défendre ce en quoi je croyais, pour montrer et analyser ce Proche-Orient en pleine mutation qui me passionnait. Pourtant vint le jour où je me suis lassée, ou plutôt, où mes yeux se sont lassés ; je ne voyais plus rien – trop de morts, trop de souffrance. Je suis alors passée à la fiction. Je voulais avancer, travailler l’image autrement. La troisième époque de ma carrière est née lorsqu’on m’a fermé des portes, notamment avec Dunia en Égypte qui fut censuré. Je me suis alors tournée vers la photographie. Une nouvelle manière de faire de l’image, seule, pour ne pas s’arrêter. Je reviens aujourd’hui aux images animées, au cinéma, à la vidéo. »
Le 18 décembre 2018, Zones de guerre(2018), son premier album de photographies reprenant l’intégralité de son travail à travers quelques images choisies, est publiée aux éditions de L’œil, avec la contribution du CNC.

Jocelyne Saab en quelques films :
Documentaires

Longs métrages

Quelques photos des films de Jocelyne Saab :

Les Femmes palestiniennes
Les Femmes palestiniennes : portrait
Les Femmes palestiniennes : discussion insouciante
L'Architecte de Louxor (1986)
Egypte, les coptes
Egypte, les coptes : portrait
Egypte, les coptes : architecture
Le front du refus ou les commandos-suicide (1974)
Les fantômes d'Alexandrie
Sud-Liban - Histoire d'un village (1976)
Lettre de Beyrouth (1979)