Dominique Farrugia : « Un seul mot, l’équité »

Dominique Farrugia : « Un seul mot, l’équité »

21 novembre 2023
Professionnels
Dominique Farrugia (c) Astrid di Crollalanza
Dominique Farrugia, producteur et réalisateur, président du 2e appel à projets "Les uns et les autres" Astrid di Crollalanza

En marge de l'édition 2023 de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées (SEEPH), le producteur et réalisateur Dominique Farrugia nous parle de son engagement en faveur de l’inclusion des personnes en situation de handicap dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel et des industries techniques. L’occasion de revenir sur son rôle de président du 2e appel à projets « Les uns et les autres », initié par le CNC en partenariat avec l’Agefiph.


Vous avez présidé le jury de l’appel à projets « Les uns et les autres » en juillet dernier. En quoi cette question de l'accès à l’emploi des personnes en situation de handicap est fondamentale ?

Dominique Farrugia : Elle est primordiale. Je me souviens de discussions avec des jeunes souffrant de handicap mental qui me disaient : « Le travail me donne une raison de me lever le matin et de sortir de chez moi. Je fais quelque chose et je sers à quelque chose ». Je suis chanceux car on s‘est toujours adressé à moi comme à une personne qui avait des idées et non pas comme à quelqu’un qui avait des difficultés à se mouvoir. C’est en me retrouvant coincé en fauteuil que j’ai compris ce que signifiait vraiment le handicap. J’ai naturellement accepté de présider cet appel à projets car pour la première fois, il était question de réunir une représentation très collégiale de nos secteurs (réalisation, production, exploitation…) autour de cette question essentielle : comment faire travailler des personnes de tous handicaps dans nos métiers du cinéma, de la télévision, de l’exploitation, du jeu vidéo et de l’animation ? « Je ne mérite pas plus que les autres ni moins, je mérite autant », c’est l’idée que l’on doit défendre quand on parle d’emploi et d’inclusion. Encore une fois, j’ai la chance d’être privilégié et de pouvoir exercer mon métier de producteur. Si je prends la parole sur le handicap, c’est que je partage les difficultés des personnes handicapées, mais je ne souhaite pas être considéré comme un porte-parole. Je pense également que lorsqu’on a reçu beaucoup comme c’est mon cas, il faut rendre. Et rendre, c’est aussi élever la voix. Il est important que l'on puisse tous partager la même expérience dans l’accès à l’emploi. Je ne demande pas l’égalité, je demande l’équité.

À quoi avez-vous été attentif dans la sélection des projets ?

Nous avons choisi de mettre en valeur des initiatives qui incluent tous les types de handicap avec les autres jurés [Stéphanie Pillonca, réalisatrice, Louise Lebecq, présidente, CPNEF – AV, Erwan Escoubet, directeur des affaires réglementaires et institutionnelles, FNCF, Carla Ballivian, responsable du service accompagnement solidaire et social, Audiens, et Véronique Bustreel, directrice innovation évaluation et stratégie, Agefiph – ndlr]. Je pense au travail mené par la société de production Fédération Studios sur la série Toulouse-Lautrec [diffusée sur TF1 et renouvelée pour une saison 2 – ndlr] qui déploie un dispositif spécifique pour intégrer au tournage des adolescents en réelle situation de handicap. Je pense également au projet de pôle cinéma et culturel porté par la fondation Perce-Neige dont l’objectif est de monter un théâtre-cinéma exploité par des personnes en situation de handicap lourd ou léger, ou encore à celui de l’association Ciné Sens qui souhaite intégrer des personnes handicapées en tant qu’intervenants-encadrants dans les formations sur l’accessibilité aux salles de cinéma. Sur cette question d’ailleurs, les exploitants ont fait de grands efforts. Le cinéma Pathé Beaugrenelle, où j’ai l’habitude de me rendre car il est situé près de mes bureaux, est un bon exemple. Un travail formidable a été fait à la fois dans l’accueil des personnes en situation de handicap que dans la configuration de l'espace puisque les places handicapées se situent au milieu de la salle. Vous n’êtes donc pas relégué tout en haut ou tout en bas des gradins. Ils travaillent aussi à proposer des séances audiodécrites. Soulignons donc les avancées réalisées, des avancées dont nous avons largement besoin dans notre secteur.

« Je ne mérite pas plus que les autres ni moins, je mérite autant », c’est l’idée que l’on doit défendre quand on parle d’emploi et d’inclusion.

En tant qu’employeur, comment vous-même vous saisissez-vous du sujet dans votre société de production ?

Nous devons pouvoir accueillir tout le monde dans nos métiers. J’essaie d’y travailler en tant que chef d’entreprise en sensibilisant mon groupe Banijay à former de plus en plus d’étudiants et d’alternants en situation de handicap. Ils doivent pouvoir appréhender nos métiers de la meilleure façon possible et se rendre compte s’ils sont plutôt faits pour se diriger vers la production, le plateau, la post-production. J’ai mis du temps à comprendre à quoi je voulais me destiner. J’ai commencé comme standardiste à Europe 1 puis j’ai jonglé entre différentes casquettes (auteur, monteur, réalisateur…) avant de comprendre que la production et la mise en scène étaient mes métiers de prédilection. Nos sociétés et entreprises doivent s’ouvrir davantage à l’accueil de jeunes en situation de handicap. Coopérons en ce sens avec les établissements de formation dont les établissements spécialisés dans le cadre de handicaps plus lourds. Créons de la synergie. Quand on parle d’inclusion, il faut aussi mentionner la question de l’accessibilité à cet emploi, un sujet qui concerne aussi directement nos filières. Je produis en ce moment une série, et certains décors me sont encore totalement inaccessibles. Comment rendre les bâtiments accessibles ? Les studios de mixage ? Les studios de tournage ? Je soulignais plus haut les efforts déjà réalisés dans le secteur de l’exploitation. Là aussi, nos industries sont en train de changer. Le CNC en est d’ailleurs le moteur avec le plan de relance La Grande Fabrique de l’image. De nouveaux studios sont en construction, d’autres en cours de rénovation. Tous répondront aux normes d’accessibilité. Un changement de paradigme est en train de s’opérer avec la création de grands studios accessibles et inclusifs sur l’ensemble de notre territoire.

Nos métiers doivent s’ouvrir davantage à l’accueil de jeunes en situation de handicap. Coopérons en ce sens avec les établissements de formation dont les établissements spécialisés dans le cadre de handicaps plus lourds.

Comment poursuivre en ce sens ?

De manière générale, la France est en retard sur les questions de handicap et d’accessibilité. Le regard que l’on peut porter sur le handicap est un problème : nous préférons donner et ne pas regarder. Il y a tellement d’aspects à repenser sur la question. Nous avons parlé de l’accès à l’emploi, de l’accessibilité aux salles de cinéma, aux bâtiments et aux studios, mais à quoi bon disposer d'un bureau ou d'un plateau de tournage adapté si vous ne pouvez pas vous y rendre ? L’accessibilité est un sujet universel qui touche tout le monde : le grand âge, les accidentés de la vie, les parents avec poussettes… Au-delà de l’inclusion dans nos métiers, réfléchissons aussi à une ville et à des transports accessibles. Réunissons-nous et trouvons les moyens pour répondre concrètement à l'ensemble de ces problématiques.

les laurÉats du 2e appel À projets « les  uns et les autres »

 
  • Ciné Sens
  • EXTRA
  • Je suis Alice, trisomique et normale et ordinaire
  • La Belle étincelle
  • Le Caméraman
  • Les Inséparables
  • L’Orchestre des sourds-doués
  • Lycée Toulouse-Lautrec – Saison 2
  • Malo fait du vélo
  • Non conforme
  • Perce-Neige Live !