Les présentations :
Introduction par Pascal Rogard, directeur général de la SACD et Raphaël Keller, directeur de l’innovation, de la vidéo et des industries techniques au CNC
Les applications de la blockchain par Aurore Tual, Bureau des Usages du Numérique, DGE, ministère de l’Economie
La mission du CSPLA sur les chaînes de blocs par Maître Jean Martin, co-président de la mission
Le projet de blockchain SACEM-ASCAP/PRS for Music par Xavier Costaz, directeur de projet blockchain, SACEM
L’application test de blockchain du groupe Média TFO au Canada (Glenn O’Farrell, président de Groupe Media TFO n’ayant pu être joindre la conférence par liaison Skype)
Les ateliers
Atelier 1 « Dans quelle mesure les contrats d’auteurs peuvent-ils être traduits en smart contract (contrats intelligents exécutables de manière automatisée) »
Animé par Maître Jean Martin (CSPLA) et Caroline Jeanneau, (CNC/RCA)L’atelier a permis de rappeler les fonctionnalités des smart contracts et de poser quelques pistes de réflexion pour un recours à cette procédure automatisé pour les contrats de cession de droits. Si les smart contracts ont pour Me Martin une valeur juridique incontestable sous réserve de respecter les accords de la profession, ils doivent cependant pour les participants intégrer des données exactes et exhaustives pour permettre une remontée de recettes efficace et l’exactitude des redditions de compte. L’intervention réglementaire ne semblerait pas indispensable si la blockchain est fiable, l’intervention ou l’accompagnement du CNC pouvant permettre cette garantie. Une expérimentation dans un cadre fermé et à petite échelle est appelée de leurs vœux par les participants.
Atelier 2 « Si l’industrie audiovisuelle veut prendre une longueur d’avance sur la blockchain, quelles sont les actions prioritaires à mener au cours des trois prochaines années ? »
Animé par Benoit Defamie consultant BlockchainLes trois caractéristiques principales de la blockchain qui peuvent faire penser à des cas d’usage dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel sont rappelées : le transfert de valeur (cf les crypto-monnaies, les jetons, etc.) dans le cadre d’échanges pair à pair ; la base de données d’autorité (permettant la décentralisation et l’accessibilité en temps réel aux données) ; et les « smart contracts », contrats dématérialisés avec exécution automatisée des clauses.
Si la transparence des transactions et l’automatisation du retour de recettes sur les différents modes d’exploitation d’un film - dont la vidéo à la demande et les exploitations à l’étranger – semblent à nombre de participants une réelle opportunité offerte par la blockchain, la réalité des conditions de production et de diffusion aujourd’hui renvoie plutôt à une opacité souhaitée par certains professionnels.
Face à la proposition de mettre en place une « blockchain test » entre professionnels (producteurs et diffuseurs volontaires) et organismes professionnels (CNC, SPRD, Unifrance) qui en assurerait conjointement la gouvernance (blockchain de consortium) et interviendrait soit sur une partie de la chaîne de cession de droits soit sur l’ensemble de la chaîne des droits d’un film mais sur un nombre réduit de films, plusieurs écueils ont été évoqués – entre autres :
- le caractère encore non stabilisé juridiquement des smart contracts pour certains participants ;
- le risque de faire passer l’outil pour la solution, c’est-à-dire de penser que le recours à la blockchain résoudra les problèmes de gouvernance et de transparence du secteur pour les contrats, la remontée des droits, les diffusions en ligne etc.
- le recours peut-être abusif à la blockchain si celle-ci se concentre uniquement sur l’aspect contractuel et évacue l’aspect financier du système (remontée automatique de recettes, utilisation pour financement participatif à la production ave intéressement sur les retours, etc.), cet aspect étant un des critères d’attractivité pouvant faire participer des producteurs.
Les participants à l’atelier rappellent donc que la blockchain est avant tout une technologie mais que ce n’est pas elle qui créé la confiance mais bien sa gouvernance – celle-ci étant basée sur un référentiel commun de normes accepté par tous - et que tous y trouvent un avantage.
A l’issue des ateliers 1 et 2, les professionnels présents ont convenu de poursuivre leurs travaux de réflexion et d’échanges sur le sujet, notamment sur l’opportunité de s’engager ou non sur « blockchain test ». Le CNC organisera ces rencontres dès la rentrée.
Atelier n°1 – dans quelles mesures les contrats d’auteurs peuvent-ils être traduits en « smart contracts » (contrats intelligents exécutables de manière automatisée) ?
Introduction (Hubert Tilliet, SACD)
1/ Première piste : au moment de la création d’une œuvre lorsqu’il y a des co-écritures de scénarios, il peut y avoir des revendications d’auteurs ayant participé à l’écriture. La blockchain peut donner la faculté de suivre l’écriture et d’en déduire la part des co-auteurs (moyen de preuve).
2/ Deuxième piste : Calcul de la durée de protection des œuvres.
Les modélisations du calcul de la durée de protection des droits sont pour l’instant impossibles. La Blockchain peut-elle aider dans ce domaine ?
3/ Troisième piste : l’exécution automatique des contrats. La blockchain peut garantir la fiabilité des informations au niveau de la chaîne des droits et de l’exploitation.
Le but est que le paiement des droits fonctionne de manière automatique et fiable sur toute la chaîne des droits (Auteurs/ producteurs/ distributeurs/ diffuseurs/ exploitants).
4/Quatrième piste : l’intermédiation des organismes de gestion collective (OGC) entre le perçu de la chaîne TV, l’œuvre, les coauteurs. Dans ce segment maitrisé par la SACD, l’apport de la blockchain reste à prouver.
Des questions se posent :
- Comment opérer la reddition des comptes ?
- Comment gérer les contrats conclus dans le passé ?
- Comment assurer la pérennité de l’archivage car le temps de la propriété littéraire et artistique est un temps long ?
Discussion
- Le smart contract est un contrat et le droit reconnait sa validité (Maître Jean Martin).
- Le producteur délégué ou l’auteur peuvent être à l’initiative du premier smart contract autour duquel va s’agréger l’arborescence des smart contracts suivants (Celluloid Dreams et SACD).
- Le smart contract permet une exécution automatique de tout ou partie des clauses d’un contrat. La vertu de la blockchain pourrait être de faire rentrer les informations sur les exploitations par les exploitants finaux eux-mêmes – chaînes de TV, salles, plates-formes de VàD, etc. (SACD).
- La reddition de comptes est très complexe en ce qui concerne les ventes internationales, dans un marché qui s’est considérablement accéléré. La blockchain a du sens si elle intervient à ce niveau (Celluloid Dreams).
- En cas de fausse information, l’inscription d’un autre contrat ou d’un jugement du tribunal permettra de rétablir la vérité. Il est probable que la blockchain fera émerger un besoin nouveau de remédiation - conciliation et médiation (SACD). La réversibilité est indispensable. Avec ce système on prend le risque d’exécuter automatiquement un contrat qui comporte des informations incomplètes ou erronées.
- La Blockchain devra respecter le cadre réglementaire (par exemple l’obligation de dépôt qui n’est actuellement pas possible dans ce type de configuration).
- En cas de blockchain privée, il faudra déterminer des éléments de sécurisation et de pérennité. S’assurer de l’endroit où sont conservés les smart contracts, les preuves.
- La question du coût vs avantages doit être traitée précisément.
- L’importance de la gouvernance et/ou de la régulation publique est pointée (question des contrats cadres organisant la blockchain).
- Blockchain partner préconise d’ouvrir une blockchain groupe par groupe et de commencer petit. Plusieurs types de blockchain existent allant du public au semi public jusqu’à la blockchain privée.
- Si l’on prend le cas d’une plateforme VàD, l’enjeu de la mise en place d’une blockchain est d’automatiser les versements vers les ayants droit pour des coûts de serveurs minimes (Filmoline).
- Le smart contract ne présente d’intérêt pour les auteurs que s’il respecte les accords interprofessionnels du secteur (SACD) ; de ce point de vue la blockchain n’a évidemment pas vocation à se substituer à la négociation mais à en permettre une exécution efficace.
- La modélisation du contrat peut se faire pour la chaine de droit (segment statique) et l’exploitation de l’œuvre via la modélisation des recettes. Il s’agit de faire le pont entre la chaine de droits et les recettes d’une œuvre avec une validation par le consensus qui va être garante de la sécurisation du processus (Movie Chainer).
- La réflexion « blockchain » est exclusivement bipartite dans le domaine du cinéma et de l’audiovisuel à chaque étape (maillage et arborescence). Les recettes remontent dans une matrice nécessitant de rapidement lier la chaine de droits au waterfall afin d’accélérer la distribution sur l’ensemble de la chaine de droits (Logical Pictures). En fin de cycle (faillite ou cession de catalogue), l’information devrait remonter rapidement dans la blockchain.
- La blockchain permet enfin la circulation de l’information à toute personne intéressée et ce à grande échelle (Celluloid Dreams).
- Se pose alors la question de l’organisation de la gouvernance et la gestion des droits versus le secret des affaires. Il est à noter que pour les œuvres cinématographiques, le RCA rend transparent les pourcentages de rémunération mais pas les assiettes.
- Consensys France fait part de son expérience de blockchain dans la musique qui permet avec 12 intermédiaires de payer en 14 secondes les ayant droit au lieu de 12 mois et ainsi de savoir où passe la valeur (réplication entre les pairs, téléchargement de l’œuvre associée à la licence, stream et décompte précis). Leur solution est un opensource gratuit dans la mesure où l’Ethereum est gratuit et libre d’utilisation et que l’Ether prend ainsi de la valeur.
- La blockchain permet une signature et un horodatage automatique qui pose la question d’une validation par la puissance publique. Est-ce nécessaire ? (DGE). Il est possible de s’en passer pour les blockchain privées (Consensys France).
- Le rôle de l’Etat pourrait être d’assurer la pérennité des données pour les systèmes qui reposent sur des tiers.
- En ce qui concerne la gestion collective chargée de percevoir et répartir mais également de négocier les contrats entre acteurs et diffuseurs, la blockchain permettra probablement de se lier aux OGC étrangères mais également entre les membres d’une même OGC pour la répartition des droits. Mais la blockchain doit être évaluée au regard de la réglementation applicable en matière de données personnelles, protection de la vie privée et secret des affaires(SACD). Les problématiques réglementaires comme le secret des affaires et le droit à l’oubli ont déjà des solutions techniques via l’encryption : le contenu peut être exploité par la blockchain sans pour autant être visible de tous, seuls les possesseurs de la clé d’encryption y auront accès (Consensys). Il est très important de ne pas lier dans la blockchain l’information sur le pourcentage de rémunération et l’assiette sur laquelle est assise ce pourcentage. Il est à noter que le détail des données personnelles du public utilisateur peut intéresser producteurs et diffuseurs/ distributeurs mais pas nécessairement les sociétés de gestion collectives car il n’y a a priori pas d’incidence sur la rémunération des membres de ces dernières (SACD).
Synthèse
- Les smart contract AV ont, pour tous les participants, une valeur juridique incontestable sous réserve de respecter les accords de la profession.
- Il permet une meilleure remontée des recettes et l’accélération de la répartition des droits et ainsi que l’exactitude des redditions des comptes à condition que soit fournie une information exacte et exhaustive.
- Il n’a pas été identifié d’enjeu réglementaire à ce stade, cependant un accompagnement de la part du CNC serait utile pour faire mûrir la réflexion et apporter les garanties nécessaires sur la fiabilité de la technologie.
- De l’avis général, la technologie blockchain peut être utile au fonctionnement de la gestion collective.
- Elle présente également un intérêt particulier pour les plates-formes de vidéo à la demande.
- L’expérimentation dans un cadre fermé et restreint pour commencer est appelée des vœux des participants à cet atelier.
- Le CNC souhaite poursuivre la réflexion sur ce sujet à la rentrée.
Atelier n° 2 : Si l’industrie audiovisuelle veut prendre une longueur d’avance sur la blockchain, quelles sont les actions prioritaires à mener au cours des trois prochaines années
Modérateur : Benoit Defamie, consultant blockchainLes 3 caractéristiques de la blockchain
- Unités de compte virtuelles (cryptomonnaie, jetons, autres) : possibilité d’opérer des transactions de manière fiable en pair à pair (sans intervention d’un tiers, notamment d’une banque)
- Décentralisation des bases de données et accessibilité des données en temps réel (=> confiance « distribuée »)
- « Smart contracts » : possibilité d’exécuter des contrats de manière automatisée (donc accélérée) et fiable
Les principales opportunités qu’ouvre la blockchain dans le champ du cinéma et de l’audiovisuel
- Rendre la chaîne de droits et la remontée de recettes totalement transparente, et ainsi 1/ améliorer les relations entre les ayants droit entre eux et avec les diffuseurs, 2/ stimuler l’exploitation des œuvres, particulièrement à l’export
- Favoriser l’interopérabilité des bases de données des professionnels, en ce qui concerne le stock de contrats existants, notamment grâce à leur standardisation Ouvrir le secteur à de nouveaux publics : la blockchain simplifie et rend plus fiables et transparents les process et les transactions, réduisant les risques à intervenir dans le secteur. Des particuliers pourraient par exemple être incités à investir plus fortement dans la production. Autres usages nouveaux : le « minage » (calculs permettant la validation d’un bloc de transactions dans un chaîne de blocs) réalisé par un particulier sur le réseau et effectué contre rétribution, recourir à la blockchain en VàD pour le stockage des fichiers contre accès gratuit aux plateformes
- Pour le CNC, un enjeu particulier autour du registre du cinéma et de l’audiovisuel (RCA) : un recours éventuel à la blockchain pour opérer le dépôt des contrats pourrait contribuer à réduire les éventuels erreurs et retards de traitement qu’occasionne une gestion manuelle
Lancer une expérimentation sans tarder ?
Pour :- Préserver la place de la France au premier plan sur la propriété intellectuelle et la diversité culturelle. La France est également la première place de marché mondiale pour la vente de films : tâchons d’être leader sur la dématérialisation des cessions de droit.
- Favoriser l’essor de prestataires français de premier plan dans un secteur innovant, écarter le risque d’une dépendance à des opérateurs étrangers à moyen terme.
- « Ubérisons l’Etat ! Avant que d’autres ne s’en chargent »
- La technologie blockchain est complexe. Est-elle incontournable pour les usages identifiés ?
Rôle de la puissance publique
- Anticiper les évolutions futures
- Assurer que le développement de la blockchain soit favorable à la défense du droit d’auteur et de la diversité culturelle (cependant pas d’enjeu de régulation identifié à court terme)
- Donner une forte impulsion en pilotant une expérimentation ou laisser faire le marché ?
- Au moins standardiser les transactions et les données.
- Coordonner les initiatives à l’échelle européenne / internationale ?
Obstacles à lever, difficultés anticipées
- Mobilisation des parties prenantes. Quel est le degré de transparence sur les remontées de recette acceptables par l’écosystème dans son ensemble ? Comment la chaîne de droits s’organiserait-elle autour d’une blockchain (rôle des sociétés de gestion collective, des distributeurs, …) ?
- Capacité à segmenter l’ensemble des processus et à recenser et identifier l’ensemble des acteurs (ventes internationales, VàD, exploitation, diffusion TV, …)
- Capacité à standardiser les contrats pour les transformer en smart contracts
- Articulation entre les législations applicables (acteurs globaux, contrats internationaux, …)
- Traitement des œuvres orphelines des œuvres tombées dans le domaine public
- Capacité de la blockchain à traiter le volume des transactions
Les contours d’une expérimentation
- Exemple du projet TFO, exemple de la startup SCENSOTV dans le domaine du spectacle vivant
- Distinguer 2 blockchains ? une pour la production et une pour la diffusion.
Actions à mener
- Réunir régulièrement la filière afin de créer la confiance dans la technologie et dégager un projet commun
- Poursuivre la réflexion :
- Avons-nous vraiment besoin d’une blockchain ? Que voulons-nous faire ? Poursuivre le travail sur la définition des attentes et besoins.
- Quelle gouvernance ?
- Quelles données (transparence) ?
- Quel financement ?