Comment travaille un vendeur international pour l'animation ?

Diffusée en France sur France 3 et France 4, la série Grizzy & les Lemmings est également disponible en Allemagne sur Super RTL, au Danemark sur DR TV ou encore dans le monde entier grâce à Boomerang. Cette diffusion répond à une stratégie mise en place par un vendeur international officiant au sein d’une société de distribution. « Le vendeur doit faire en sorte que le programme soit le mieux exposé et voyage le plus possible dans le monde, explique Adeline Tormo, directrice de la distribution au sein de Hari International, la filiale de Studio Hari, spécialisé en animation. Il peut gérer également la distribution des produits dérivés (jouets, aliments etc…). Ce n’est pas obligatoire, mais dans notre cas, nous gérons tous les droits du programme ».  « C’est bien d’avoir des vendeurs spécifiques pour les produits dérivés. Mais je connais également ce marché, ce qui me permet d’avoir une vision d’ensemble de l’exposition du programme. En animation, il est très important de voir le programme à 360 degrés : il est essentiel de se dire qu’il va être sur tous les supports de visionnage, qu’il va se retrouver dans les magasins… », poursuit-elle.

Cette connaissance des marchés, essentielle pour pouvoir exercer ce métier, nécessite un « travail quotidien » avec les acheteurs pour « connaître leurs besoins, leurs grilles de programmes et ce qui fonctionne sur leur chaîne ». « Avec le temps, nous avons plus ou moins de bonnes relations avec les acheteurs. Nous savons donc ce qui va marcher avec eux ou pas. Nous nous déplaçons souvent au cours de l’année pour les rencontrer et connaître les tendances », souligne Adeline Tormo. Ce « travail de mise à jour » est « le nerf de la guerre » pour elle. Il permet d’ailleurs au vendeur de définir les objectifs de vente « en accord avec les producteurs ». « Je propose des estimations qui me paraissent cohérentes par rapport à l’état du marché et on en discute. Personnellement, j’essaie d’être réaliste : je ne veux pas faire miroiter des ventes incroyables alors que je sais pertinemment que ce n’est pas ce qu’attend le marché ou que le programme n’est pas adapté à certains pays ».

Cette stratégie de diffusion internationale joue un rôle très important dans la naissance d’un projet animé. « Financer de l’animation coûte cher. L’international est donc indispensable au moment du développement de la série. Pour Grizzy & les Lemmings, Turner (un groupe audiovisuel appartenant à Warner ndlr) a acheté très en avance les droits monde pour les chaînes payantes, alors que la série n’était pas produite. C’est ce qui a permis de boucler le financement, auquel participait déjà fortement France Télévisions, et de lancer la production ». Avoir l’assurance d’une « diffusion mondiale » dès le départ  est « assez rare », précise Adeline Tormo. « Nous avons souvent des gros pays européens comme l’Angleterre, l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne qui investissent lors du développement. Ensuite, nous travaillons zone de vente par zone de vente. »

Un métier de prospection

Pour devenir vendeur à l’international, il faut savoir faire preuve « d’écoute, d’analyse, savoir organiser la prospection et avoir envie de voyager ». Il est essentiel également d’être « très rigoureux pour assurer un suivi sérieux et quotidien avec les acheteurs », notamment dans l’animation qui est un milieu à forte concurrence. « Si on perd le fil avec un acheteur, ce dernier va vite trouver autre chose avec l’offre énorme qui existe, confirme Adeline Tormo. Le Studio Hari a la spécificité de produire uniquement des programmes en 3D avec un vrai parti pris éditorial, beaucoup de cartoons non dialogués, de la pure comédie. Je suis partisane d’avoir un ADN dans le catalogue ce qui permet de se démarquer. Certains acheteurs peuvent venir nous voir car ils ont des besoins spécifiques et se disent qu’ils les trouveront chez nous ».

Faire preuve de « persévérance, de patience et d’opiniâtreté » est également indispensable dans ce secteur d’activité : « On décroche parfois des contrats deux ou trois ans après avoir semé les premières graines.» Arrivée il y a trois ans chez Hari international, Adeline Tormo a aidé à créer la structure lancée en se « concentrant sur Grizzy et les séries futures ». Pour marquer les esprits en tant que nouvel entrant sur le marché, malgré le peu de moyens et de visibilité au départ, Hari international a misé sur des marchés de professionnels, organisant notamment une avant-première au MIPCOM Junior (Marché International des Programmes de Communication). « Nous avons dévoilé les trois premiers épisodes de la série et nous avons créé un livre promotionnel pour mettre en avant la fabrication et les équipes, car tout est fait en France. Ce livre a été offert à tous les acheteurs présents. Nous avons ainsi pu toucher un large public et Grizzy a été le programme le plus vu par les acheteurs. Cette stratégie a bien fonctionné. Pour les produits dérivés, c’est plus long. Il est indispensable d’avoir alors une exposition quasi mondiale car la série doit être vue et revue pour servir de relai ».

Les bouleversements de la profession

« Il y a des gens de tous les horizons : d’écoles de commerce, de fac de gestion… Il faut avoir de l’appétence pour l’audiovisuel et des qualités de vente ». Après des études en gestion marketing, Adeline Tormo s’est spécialisée dans la gestion des nouveaux médias et a décroché un stage chez Alphanim, une société rachetée par Gaumont qui l’a transformée en Gaumont Animation. « Je suis arrivée un peu par hasard dans la vente internationale. J’étais dans la branche marketing mais je me suis très bien entendue avec l’équipe de vente. Je ne m’étais jamais demandé comment les programmes arrivaient dans notre télé et j’ai trouvé ça assez intéressant et stimulant… Et ils m’ont surtout proposé un emploi », confie-t-elle en souriant.

Si elle souhaitait au départ évoluer dans l’univers des produits dérivés, elle s’est rapidement épanouie dans le monde de la vente de créations animées. « On vend un univers graphique, des histoires qui touchent un peu à l’intime, à des choses de l’enfance chez les acheteurs. Ce qui n’est pas le cas de la fiction où on vend le nom d’un réalisateur, d’un casting, des producteurs… Le discours n’est pas le même », précise-t-elle en évoquant l’une des particularités de l’animation : le temps de production. « Entre le moment où on présente un projet à l’état de développement et celui où on va livrer un premier épisode, il peut se passer plusieurs années. Il faut réussir à tenir au courant l’acheteur tout en faisant en sorte que le programme ne paraisse pas vieux. Vendeurs et acheteurs doivent se projeter sur plusieurs années ».

Depuis ses débuts, Adeline Tormo a vu plusieurs changements bousculer « ses habitudes de vendeuse », notamment l’essor de la SVOD. « Nous sommes contraints de repenser complètement la chaîne de droits : une vente SVOD peut intervenir avant celle télé. Il faut prendre en compte cette dimension et réussir à négocier davantage les droits avec les acheteurs pour se laisser la possibilité de vendre sur plus de supports ». Autre changement notable, la baisse continue des prix : « il faut faire en sorte que les acheteurs soient moins flexibles sur les droits pour qu’ils les bloquent le moins longtemps possible afin de faire voyager davantage les programmes ». Enfin, un nouveau marché s’est ouvert avec l’arrivée de la Chine qui, avec d’autres pays, vient « contrebalancer les territoires moins rémunérateurs qu’avant » tels que l’Espagne et l’Angleterre.