Comment Villefranche-de-Rouergue a accueilli un tournage-événement

Comment Villefranche-de-Rouergue a accueilli un tournage-événement

30 octobre 2023
Séries et TV
 Toute la lumière que nous ne pouvons voir
« Toute la lumière que nous ne pouvons voir » Netflix

Pour les besoins de la mini-série américaine Toute la lumière que nous ne pouvons voir, diffusée sur Netflix, la cité médiévale de Villefranche-de-Rouergue, en Aveyron, s’est fait passer pour le Saint-Malo des années 1940, à l’aide d’Occitanie films. Décryptage.


Adaptée du roman d’Anthony Doerr (publié en France en 2015), Toute la lumière que nous ne pouvons voir est une minisérie en quatre épisodes qui raconte le destin de deux enfants, dont l’une est aveugle, à Saint-Malo, durant la Seconde Guerre mondiale. L’adaptation, réalisée par Shawn Levy (Stranger Things), a été tournée en studio à Budapest (Hongrie), mais le Saint-Malo des années 1940 a été reconstitué en juillet 2022 à Villefranche-de-Rouergue, dans l’Aveyron. Comment cette commune du Sud Ouest de la France (où André Malraux a tourné des scènes de L’Espoir en 1938-1939) a-t-elle pu être transformée en cité bretonne ? C’est ce que nous explique Marin Rosenstiehl, responsable de la commission du film chez Occitanie films, structure qui a permis le tournage dans la région.

Comment le tournage de Toute la lumière que nous ne pouvons voir s’est-il installé à Villefranche-de-Rouergue ?

Travailler avec des productions internationales comme celle de Toute la lumière que nous ne pouvons voir est une opération beaucoup plus complexe qu’avec une production nationale. Il arrive parfois que des productions étrangères nous sollicitent spontanément, mais elles sont la plupart du temps en lien avec l’équipe du service attractivité du CNC qui s’occupe de ces dossiers. Tout s’est joué grâce aux décors. La production a engagé des recherches très en amont, dans toute la France, pour trouver son lieu de tournage : la série était évidemment prédestinée à se tourner à Saint-Malo puisqu’une bonne partie de l’histoire se déroule là-bas, et il y avait eu des repérages dans la région. Mais la ville a subi de nombreux dégâts durant la Seconde Guerre mondiale et ne correspondait plus aux besoins de la série. C’est à ce moment-là, un an ou deux avant le début du tournage, que nous avons été contactés : toutes les commissions des agences régionales avaient reçu une demande pour rechercher un village style « années 40 » avec une église. Nous avons envoyé une sélection de lieux qui correspondaient au cahier des charges, avec des photos anciennes et récentes. Il se trouve que le chef décorateur de la série, Simon Elliott, est anglais et qu’il était venu séjourner en vacances pas très loin d’ici, dans le Tarn, près de Villefranche-de-Rouergue. C’est une très jolie ville avec un beau marché en extérieur, et il s’est rendu compte que la place principale ressemblait à ce qu’avait pu être Saint-Malo à l’époque, surtout au niveau de la couleur de la pierre.

Quels sont les défis d’un tournage de cette ampleur ?

C’est un tournage pour lequel tout un centre-ville devait être privatisé. Nous devions impérativement travailler en étroite collaboration avec les habitants. La mairie a été extrêmement dynamique et investie dans l’implantation logistique : un tel tournage transforme complètement la vie d’une petite ville. À Villefranche se tient le plus grand marché de toute la région, chaque samedi, qu’il a fallu déplacer. Mais c’est formidable de pouvoir travailler avec des équipes qui ont d’aussi gros moyens et un modèle de travail à l’anglo-saxonne. Par exemple, il y a un régisseur qui est uniquement chargé des décors. Son travail est de connaître les propriétaires de chaque boutique et de chaque maison afin de faciliter les prises de vues. Des rues entières ont été reconstituées, avec des boutiques d’époque, mais il fallait aussi créer les décors après les bombardements. L’objectif était de recréer et réinventer une ville. Il fallait des immeubles effondrés, des chars qui brûlent… En pareil cas, la participation de la population et des riverains est cruciale. Sans cela, malgré la beauté du lieu, ça n’aurait pas fonctionné. 400 figurants locaux ont été recrutés. C’était un moment très fort pour eux puisque l’on reconstitue la libération de la France. C’est pour cela que le travail en amont avec les habitants – ici, on parle de six à huit mois avant le tournage – est indispensable. Nous sommes dans un pays où il y a un certain nombre de règles, nous avons une administration qui demande de respecter des contraintes et des obligations. Ça prend du temps, mais cela permet d’emmener dans un projet toute une ville afin que cela soit vécu comme un événement pour la population plutôt que comme quelque chose d’astreignant. Un événement artistique mais aussi économique, qui va générer de larges retombées sur toute la ville. Un tournage de cette ampleur est honnêtement assez exceptionnel. Une aussi grosse équipe signifie réserver tous les hôtels à 100 kilomètres à la ronde pendant trois semaines. Il fallait donc trouver tous les hébergements disponibles !

 

Quelles sont les fonctions d’Occitanie films ?

Elles se répartissent en deux grandes activités, qui sont des travaux de fond. La première, c’est une valorisation du territoire : il s’agit d’identifier tous les lieux possibles de tournage, en recensant les sites publics et privés. Ce sont des maisons individuelles, des villages, des lieux singuliers… Cela permet d’alimenter filmfrance.net, la base de données des décors de tournage du site du CNC. La seconde, c’est une identification, un référencement et un accompagnement de tous les intermittents, techniciens, et comédiens sur l’ensemble de la région, soit environ 1 500 techniciens et 800 comédiens professionnels. Des gens qui travaillent sur des longs ou des couts métrages, des séries, des unitaires… Cela va des jeunes tout juste sortis de l’école jusqu’aux chefs de poste aguerris, qui peuvent travailler autant sur des productions nationales que sur des productions internationales. Ces deux fichiers sont constamment mis à jour. Ils constituent un point très important de l’attractivité du territoire. Le « beau décor », ce n’est pas suffisant. Aujourd’hui, on choisit de s’implanter sur un territoire pour les talents et les compétences. Il se tourne entre 30 et 35 films par an sur le territoire : au fil des années, celui-ci possède ainsi une bonne exposition. Les nouvelles productions françaises arrivent beaucoup plus spontanément en Occitanie parce qu’elles ont pu voir un film tourné ici, et parce qu’elles connaissent les gens qui ont travaillé dessus. C’est un cercle vertueux. À l’ère où l’on valorise le tournage en studio avec des écrans LED, de la postproduction et des effets spéciaux, les Américains comprennent eux aussi que tourner en décors naturels reste très intéressant. Ils ont été très satisfaits du tournage de la série : en remerciement, les deux premiers épisodes ont été projetés en avant-première à Villefranche, lundi 30 octobre. 

Occitanie films comprend également deux autres structures, Ciné 32 et Gindou Cinéma...

L’Occitanie est presque aussi grande que la Suisse, et plus grande que l’Irlande ! C’est un territoire très vaste et très varié, avec la mer, la montagne, des campagnes ardues, la garrigue… Si Occitanie films est l’agence régionale du cinéma, qui s’occupe des productions nationales et internationales, deux structures locales sont aussi à l’œuvre : Ciné 32 s’occupe du Gers, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées et de l’Ariège ; Gindou Cinéma du Lot et du Tarn-et-Garonne. Ces acteurs de terrain de proximité sont indispensables qui peuvent dénicher un lieu improbable que l’on n’avait pas imaginé ou auquel on n’avait pas pensé.

Quels sont les projets notables actuels ?

L’an dernier, la série Monsieur Spade avec Clive Owen (qui a bénéficié du crédit d’impôt international du CNC) a été tournée en Occitanie. C’était une belle aventure puisque le réalisateur Scott Franck (Le Jeu de la dame) et son scénariste Tom Fontana avaient simplement écrit dans leur script que l’intrigue se passait dans un village quelconque d’Aveyron. Le tournage s’est déroulé à Bozouls pendant une dizaine de jours, puis dans le Gard et l’Hérault. Et en ce moment, se tourne Olympe, une femme dans la Révolution, une production française qui est coréalisée par Julie Gayet sur la vie de la féministe révolutionnaire Olympe de Gouges, originaire de Montauban. Le film se passe essentiellement à Paris, au XVIIIe siècle. Et la ville de Villefranche-de-Rouergue a été de nouveau utilisée pour reconstituer les rues de la capitale à l’époque.

toute la lumière que nous ne pouvons voir

Toute la lumière que nous ne pouvons voir
Toute la lumière que nous ne pouvons voir Netflix

Réalisation : Shawn Levy
Scénario : Steven Knight
Photographie : Tobias A. Schliessler
Musique : James Newton Howard
Production : 21 Laps Entertainment
Les quatre épisodes de la série sont disponibles depuis le 2 novembre sur Netflix.

Toute la lumière que nous ne pouvons voir a bénéficié du crédit d’impôt international (C2i).