Iris Brey : « Aujourd’hui, il est plus difficile d’écrire un rôle vraiment misogyne »

Iris Brey : « Aujourd’hui, il est plus difficile d’écrire un rôle vraiment misogyne »

08 juillet 2019
Séries et TV
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Spécialiste de la question du genre, Iris Brey s’est intéressée à la représentation de la femme dans les séries d’abord dans son livre, Sex and the séries (Editions de l’Olivier), qu’elle a ensuite décliné dans une série documentaire pour OCS. Rencontre.

Iris Brey Patrice Normand/DR

Comment voyez-vous le monde de la série aujourd’hui ?

C’est un terrain de jeu révolutionnaire car les séries sont désormais diffusées de manière mondiale. Et cette puissance de diffusion change la donne. L’impact d’une série crée désormais des mouvements qui ne sont plus liés au seul cinéma radical qui entendait transmettre des images percutantes. Mais, comme partout, on y trouve le meilleur et le pire. Certaines séries très populaires multiplient les représentations misogynes et, par exemple, filment les viols comme des actes érotiques. D’autres, au contraire, offrent une représentation de la femme que je n’avais jamais vue avant.

Quelles séries récentes ont changé la représentation de la femme selon vous ?

Big Little Lies, The Handmaid’s Tale, Fleabag. C’est agréable de voir des femmes qui se rebellent, des femmes qui prennent les armes. On représente enfin la violence des femmes, chose qui a été taboue pendant extrêmement longtemps.

Par rapport aux séries anglo-saxonnes que vous étudiez dans votre livre, qu’est-ce qui vous a le plus frappée ?

L’arrivée de nouvelles voix. Dans la série documentaire que j’ai réalisée pour OCS, je suis allée à la rencontre des créatrices, celles qui écrivent, celles qui réalisent et celles qui jouent pour mieux comprendre le processus de fabrication et ce qui se passe notamment aux Etats-Unis. Il y a un véritable renouvellement des artistes.

En quoi la question du genre est-elle importante dans l’audiovisuel ?

Ce qu’on voit sur l’écran a une influence sur nos vies. Il y a beaucoup de choses à repenser après le mouvement #MeToo et après l’affaire Weinstein. Bien sûr, on a fait du chemin depuis les premiers tests de Bechdel [test créé pour mettre en évidence le manque de personnages féminins dans les œuvres de fiction], il y a 20 ans, qui ont permis de se rendre compte que dans la plupart des films grand public hollywoodiens, les personnages féminins ne parlaient que des hommes. C’était le premier pas vers la conscientisation. Les habitudes changent en ce moment. Aujourd’hui, il est plus difficile d’écrire un rôle vraiment misogyne. Mais entre arrêter de toujours raconter la même histoire de femmes et en créer des nouvelles, il y a un énorme pas à franchir.

Quelle place occupe la France dans ce renouvellement ?

En France, ça bouge aussi, mais plus lentement. Il n’y a pas encore assez de place pour les nouveaux talents. On voit souvent les mêmes noms revenir aux génériques. C’est dommage parce que je suis sûre qu’il y a des voix françaises qui ont envie de raconter des choses sur notre culture. Ce qui m’attriste c’est qu’on se contente trop souvent de pâles « copier-coller » de séries étrangères. Il faut qu’on dépasse l’idée de l’adaptation. Les distributeurs et les chaînes doivent prendre des risques. Hippocrate, par exemple, est l’une des meilleures séries françaises de l’année avec des personnages masculins et féminins très forts qui sortent des représentations qu’on a pu voir jusqu’à maintenant.

Vous êtes très impliquée dans le mouvement 50/50, l’évolution vers la parité dans le milieu des séries se fait-elle au même rythme que dans le milieu du cinéma ?

Non, c’est très compliqué. C’est difficile de se poser des questions liées au pouvoir et à l’argent lorsqu’en France, dans la production sérielle, on a beaucoup de mal à réfléchir à la répartition du pouvoir entre celui ou celle qui écrit et porte la série et celui ou celle qui la réalise. Le rôle de showrunner n’est pas encore reconnu. Plusieurs postes viennent se croiser sur ce terrain : directeur d’écriture ou directeur artistique. Mais malgré tout, c’est le réalisateur ou la réalisatrice qui conserve le plus de poids par rapport aux scénaristes. Il va falloir commencer par établir des codes pour la création de la série française avant de vraiment pouvoir instaurer plus de parité.

Quel est votre espoir pour 2020 ?

Il faudrait que les personnes qui ont le pouvoir de décider quelles séries nous allons voir aillent faire un tour aux Etats-Unis et prennent conscience de ce qui a été mis en place pour faire bouger les choses. Ainsi en une année, John Landgraf, le président de FX, a transformé ses équipes de scénaristes majoritairement composées d’hommes blancs en équipes paritaires. Et l’audience de sa chaîne a augmenté. En France, j’aimerais qu’on aille au-delà d’une prise de conscience et qu’il y ait des actions fortes prises par les directeurs et les directrices de chaînes. Il faut arrêter d’être consterné, il faut agir pour que les femmes et les personnes racisées aient accès à l’écriture, à la caméra, à la création. Il faut juste leur laisser la place.

Iris Brey, Sex and the series. Editions de l’Olivier.