Les enjeux des séries feuilletonnantes pour enfants

Les enjeux des séries feuilletonnantes pour enfants

28 novembre 2019
Séries et TV
Lucy Lost
Lucy Lost Xilam Animation
Si les séries d’animation pour enfants étaient, ces dernières années, composées d’épisodes indépendants permettant aux chaînes de les diffuser et rediffuser sans contraintes d’ordre, plusieurs projets misant sur une narration feuilletonnante ont été présentés au dernier Cartoon Forum qui s’est tenu en septembre dernier. Mais quel est l’intérêt de ce format moins adapté à la diffusion sur le petit écran ? Eléments de réponse avec Marc du Pontavice (Xilam Animation), producteur de Lucy Lost, série pitchée lors du Cartoon Forum 2019.

Le 30e Cartoon Forum, qui a eu lieu du 16 au 19 septembre 2019 à Toulouse, a mis en lumière une évolution du paysage des fictions animées jeunesse. Alors que les épisodes « bouclés » et indépendants les uns des autres étaient la norme ces dernières années, le feuilleton revient en puissance. Un changement de cap qui correspond à « un désir de sortir de la contrainte très formatée sur le plan narratif du format qui gouverne la télévision en animation depuis 30 ans », souligne Marc du Pontavice, producteur et fondateur du studio d’animation Xilam.

Le rôle des plateformes

La montée en puissance des plateformes n’est pas étrangère à cette nouvelle tendance de narration. Ces dernières « modifient considérablement la façon dont le spectateur regarde la vidéo et consomme le programme, poursuit le producteur de Lucy Lost. Les plateformes se sont rendu compte que les enfants avaient aussi un désir de regarder plusieurs épisodes à la suite, comme les adultes. Tant qu’à leur offrir ça, autant leur proposer une histoire plus complète ».

Pensé notamment pour correspondre à une consommation délinéarisée, le feuilleton animé jeunesse est également de plus en plus recherché par les créateurs français qui anticipent ainsi le lancement de Salto, prévu au premier semestre 2020. Cette plateforme nationale SVOD réunira M6, TF1 et France Télévisions, les principaux diffuseurs de programmes jeunesse en France sur la TNT : en 2016, France 4 a ainsi diffusé 32% du volume total de l’animation jeunesse, France 3 11%, France 5 8%, TF1 6%, M6 4% ou encore 6ter 2%. La chaîne Gulli, qui vient d’être rachetée avec Tiji et Canal J par le groupe M6, affichait pour sa part 31%.

Impossible donc, pour les producteurs de séries d’animation jeunesse, de ne pas prendre en compte ce service qui devrait proposer aussi bien des programmes présents dans les catalogues des chaînes que du contenu acheté pour le numérique. « Les grands diffuseurs nationaux dans le monde comme la BBC, la ZDF ou France Télévisions se dotent de leur plateforme : ils ont donc besoin de programmes qui soient adaptés au mode de consommation, notamment cette demande feuilletonnante. Lucy Lost peut être une réponse à cette demande en offrant un programme présentant un angle d’intérêt pour les parents et enfants », confirme Marc du Pontavice.

Fidéliser le public

Loin d’être une réelle nouveauté, les séries animées jeunesse feuilletonnantes étaient présentes en nombre sur le petit écran dans les années 1980-1990, notamment grâce aux mangas japonais tels que Dragon Ball Z ou Sailor Moon. « Il y avait à l’époque une offre beaucoup plus limitée de programmes donc il y avait une continuité de consommation d’un épisode à l’autre. Aujourd’hui, dans la manière où les enfants consomment la télévision, tout est très fragmenté », explique Marc du Pontavice pour qui le feuilleton est une manière aujourd'hui de « fidéliser » un public très sollicité par de nombreux écrans et supports. « Il permet de garder l’attention et le lien du spectateur avec la chaîne et la plateforme qui le diffusent ».

Ce « marché exploratoire » qu’est le feuilleton animé pour enfants demande un travail particulier au niveau de la narration afin d’offrir des épisodes avec des « cliffhangers », ces moments de suspense et tension destinés à créer une attente auprès du public. « Nous ne sommes pas du tout dans la même démarche d’écriture, celle-ci est assez nouvelle dans le domaine de l’animation même si elle est déjà à l’œuvre dans la fiction. Il y a un investissement plus lourd au départ car toutes les arches narratives doivent être cohérentes et le travail des personnages est plus complexe car nous devons les suivre sur une durée plus longue. Il ne faut pas être dans la répétition d’un motif ». Le travail d’encadrement des scénaristes est donc plus complexe selon Marc du Pontavice qui a rassemblé, pour Lucy Lost, de jeunes auteurs connaissant bien le format du feuilleton qu’ils ont beaucoup consommé.

Une double ambition

Adaptée du roman Le Mystère de Lucy Lost de Michael Morpurgo, la série Lucy Lost a été imaginée pour être visionnée aussi bien par des adultes que par des enfants. Elle répond également à l’envie de feuilleton qu’éprouvait son producteur. « Je me suis dit : ‘Si les adultes ont envie à un moment de consommer du feuilleton, il n’y a donc pas de raison pour que les enfants et les familles ne soient pas dans cette tendance-là' », explique Marc du Pontavice.

Avec cette fiction au format de 10 épisodes de 26 minutes, Xilam vise aussi bien le numérique que la télévision traditionnelle : « C’est un programme qui peut fonctionner de manière événementielle, avec une diffusion en prime time. » « On doit pouvoir chercher des budgets plus élevés que pour la télévision traditionnelle. Pour y arriver, on peut produire des œuvres qui ont une très grande valeur de catalogue et à l’exportation », ajoute Marc du Pontavice qui annonce avoir déjà « enregistré des intérêts de financement, notamment à l’étranger », pour cette série qui n’en est pour l’instant qu’au stade préparatoire (la production devrait commencer à l’automne prochain pour une livraison fin 2021).

LE MYSTERE LUCY LOST

L’action du Mystère de Lucy Lost, écrit par le Britannique Michael Morpurgo, se déroule en mai 1915. Le roman suit notamment la découverte, par un pêcheur et son fils de l’archipel des Scilly, d’une jeune fille blessée qui ne prononce qu’un seul mot : Lucy. Personne ne sait d’où elle vient, même si certains affirment qu’elle est une sirène tandis que d’autres pensent qu’elle est une espionne pour les Allemands. A New York, le paquebot Lusitania quitte le port emportant avec lui Merry, une jeune fille qui, avec sa mère, part en Angleterre retrouver son père, blessé sur le front.