Noé Debré : « Parlement permet d'incarner les institutions européennes »

Noé Debré : « Parlement permet d'incarner les institutions européennes »

20 avril 2020
Séries et TV
Parlement
Parlement Jo Voets / France TV
Le scénariste de cette comédie politique, diffusée en ligne sur France.TV, explique comment il a imaginé cette satire grinçante se déroulant dans les coulisses de l'Union européenne.

La première question qu’on se pose en découvrant la série, c'est de savoir comment vous avez pu tourner dans l'enceinte de la Commission européenne de Bruxelles et dans celle du Parlement européen à Strasbourg ?

Noé Debré : En réalité, on a tourné à Bruxelles dans une institution annexe qui s'appelle le Comité des régions. Ils nous ont fait de la place et c'était indispensable pour pouvoir faire la série. Mais pour les derniers épisodes, on a tourné à Strasbourg dans l'enceinte du véritable Parlement.

Ce fut compliqué d'avoir les autorisations ?

Oui, bien sûr, parce que le Parlement européen est une grosse machine. Et notre série est plutôt impertinente, donc il a fallu convaincre et expliquer que, si le ton de Parlement est grinçant, la série peut quand même présenter un intérêt pour l'institution. Alors on a mené campagne, en quelque sorte. On a eu des soutiens politiques de tous les bords mais c'est l'administration européenne qui a tranché, et elle a accepté de prendre ce risque. Elle a compris ce qu’elle pouvait gagner avec cette représentation fictionnelle de l'institution, ce que cela signifierait dans l'imaginaire des spectateurs.

Quelles étaient vos impressions lorsque vous vous trouviez dans ces décors aussi chargés de sens ?

Je n'étais pas sur place au moment où les épisodes ont été réalisés, mais ce qui est amusant, c'est qu'on a écrit la série avec mes coauteurs (Pierre Dorac, Daran Johnson et Maxime Calligaro) dans les locaux du Parlement,. On s'est fait accréditer grâce à des amis assistants parlementaires, et on s'installait dans une salle de réunion libre pour écrire.

Cela vous a permis de mieux comprendre la machine européenne, avant de pouvoir l'utiliser comme décor ?

On a pu déjeuner avec beaucoup de monde sur place, discuter avec des assistants et effectivement, cela nous a appris beaucoup de choses et nous a beaucoup inspirés. Un de mes coauteurs était assistant parlementaire avant de devenir conseiller politique. L'autre est fonctionnaire au sein de l'institution. Ils connaissent donc très bien l'écosystème local... Au départ, j'avais monté ce projet seul, mais c'était très difficile d'écrire des scènes même en se faisant expliquer le fonctionnement de l'Europe. Ma chance a été de rencontrer ces deux coauteurs qui avaient déjà écrit de leur côté un polar se déroulant à l'intérieur du Parlement - Les Compromis, publié en 2019. Cette rencontre a vraiment permis de lancer Parlement, qui sans eux aurait été impossible.

L'approche de Parlement est très originale : il s’agit d'une comédie loufoque. Pourquoi avoir choisi cet angle ?

C'est un genre que j'aime et que je regarde beaucoup, que ce soit The Office ou encore Veep et The Thick of It. Je voyais bien le Parlement européen représenté sous la forme d'une comédie. Au fond, c'est une série qui raconte la complexité du monde et ça, ça génère toujours beaucoup de situations comiques.

Parlement Joe Voets/France TV

Le défi reste alors de garder un équilibre entre le réel et la comédie.

C'était l'ambition. Personnellement, j'écris des situations et je me demande ensuite comment les choses se passeraient en vrai. C'est un dialogue permanent entre ces deux idées. Et bien souvent, ce qui se passe dans la réalité est toujours plus intéressant et original que ce qu'on pourrait inventer.

Vous frappez fort sur l'incompétence de certains députés, notamment Michel, le Français, et Sharon, la Britannique pro-Brexit...

Pour moi, Michel ne représente pas forcément les Eurodéputés. D’ailleurs, ce n'est pas un modèle que j'ai pu croiser au Parlement. Michel est pour moi plutôt comme un spectateur, comme nous tous qui sommes là comme des passagers passifs du navire européen, nous qui arrêtons de nous poser la question de savoir comment ça marche parce que ça a l'air trop compliqué. Sharon, elle, est plus représentative parce qu'elle fait partie d'un mouvement qui rejette les institutions. Son absence de réaction et son apathie sont donc logiques.

Avez-vous eu des doutes en écrivant ces personnages ? Vous êtes-vous demandé si cela n'allait pas nuire à l'image de l'institution ?

Bien sûr, mais je crois vraiment que les spectateurs sont plus éclairés qu'on ne le suppose. Ce qui compte, ce n'est pas tellement la représentation au premier degré. Voir un député incompétent, c'est le papier peint. Ce qu'on montre profondément dans la série, c'est comment un jeune garçon, qui arrive en espérant pouvoir passer entre les gouttes, va finir par s'engager et tout donner pour un amendement. C'est là que se trouve le récit central de Parlement.

On se dit aussi en regardant la série que les institutions européennes sont difficiles à faire fonctionner...

C'est une certitude. C'est le cas. C'est compliqué mais pour de bonnes raisons. La question est de savoir ce qu'on en tire comme conclusion : est-ce qu'il ne faudrait pas que le Parlement ait plus de pouvoir pour lui faciliter la tâche ?

Au fond, on sent dans Parlement un attachement fort à cette Europe. Le discours d'Ingeborg, dans l'avant-dernier épisode, est très inspirant...

Effectivement, mais c'est amusant car ce discours a suscité des longues discussions avec la production et le diffuseur : dans cette scène, on fait en effet un tour de l'Europe en insultant tout le monde ! Je pense que si la série rencontre son public, Parlement permettra déjà - à terme - aux institutions européennes de résoudre leur plus gros problème aujourd'hui : l'absence. Plus que la désapprobation des citoyens, elles sont complètement désincarnées aujourd'hui. On ne sait pas qui sont ces gens au Parlement, on ne sait pas ce qu'ils font. Or, la série permet cela : incarner les institutions européennes, mettre des visages sur cet ensemble très lointain.

Qu'est-ce que vous avez envie que les gens retiennent de cette série ?

De la tendresse. Un attachement à l'Europe, mais aussi à nos personnages. Qu'ils aient envie de les retrouver.

La série a été soutenue par le CNC et a bénéficié du Fonds d'aide franco-allemand au co-développement de séries audiovisuelles de fiction.