Thomas Lilti : "Je retrouve sur un plateau ce collectif que j’ai tant aimé à l’hôpital"

Thomas Lilti : "Je retrouve sur un plateau ce collectif que j’ai tant aimé à l’hôpital"

13 avril 2021
Séries et TV
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Bouli Lanners dans Hippocrate saison 2
Bouli Lanners dans "Hippocrate" saison 2 31 Juin Films/Canal+
Thomas Lilti revient avec la saison 2 de sa série médicale. Le créateur d’Hippocrate nous décrit ses techniques de tournage, son envie de créer du romanesque crédible et la façon dont son équipe a vécu l’arrivée de la Covid.

Combien d’épisodes aviez-vous tournés avant que le premier confinement ne vienne interrompre les prises de vues ?

On ne peut pas vraiment compter en nombre d’épisodes, mais j’avais déjà filmé pendant huit semaines quand on a été confinés en mars 2020. En tout, le tournage a duré vingt-cinq semaines, donc j’avais tourné moins d’un tiers de la série. Et seuls six épisodes sur huit étaient écrits au moment du début des prises de vue.

Les premiers épisodes n’ont donc absolument pas été modifiés ?

Non. Enfin, beaucoup de choses ont changé, mais c’est lié à ma façon de travailler : le scénario ne cesse de se transformer, de se réécrire au fur et à mesure du tournage. Mais la crise sanitaire n’a pas influé sur les premiers épisodes, seulement sur la fin de la saison. 

Pourquoi avez-vous décidé de laisser de côté la Covid, qui n’est que très peu abordée dans cette saison 2 et uniquement vers la fin ? Par manque de recul ?

Déjà, parce que c’est techniquement compliqué quand on a tourné huit semaines, on ne va pas tout remettre à zéro ! Il faut croire en ce qu’on raconte et mon but n’a jamais été de faire une série d’actualité. Ce n’est pas non plus un documentaire sur l’hôpital : je fais une fiction, romanesque, avec des choix d’intrigues qui ont nécessité presque deux ans d’écriture. En revanche, quand la Covid est arrivée, je me suis interrogé sur la direction que prenait le propos de la série : faisait-il toujours sens par rapport à ce qu’on était en train de vivre ? Il m’a semblé que oui, plus que jamais. D’ailleurs, l’accueil de la série démontre que je ne me suis pas trompé. Je raconte un hôpital qui va de catastrophe en catastrophe, dont on ne prend pas assez soin. Si ça continue comme ça, il y aura à chaque fois une catastrophe plus grande que la précédente. L’actualité ne m’a pas contredit ! Mais quand la crise est arrivée, il restait deux épisodes à écrire et je me suis dit qu’à la fin, il fallait absolument marquer le coup. Qu’on comprenne bien qu’on est à la veille de l’épidémie de Covid, pour créer cette ironie dramatique qui était un peu inattendue.

Finalement, ce qui se passe dans le monde réel donne encore plus de force à la série…

Karim Leklou et Zacharie Chasseriaud 31 Juin Films/Canal+

Oui, bien sûr. Mon objectif n’est pas d’instrumentaliser la situation. L’épidémie de Covid, en soi, ça ne m’intéresse pas tellement de la traiter, parce que j’ai l’impression qu’elle appartient à tout le monde et pas tellement aux créateurs ou aux gens qui racontent des histoires romanesques. J’ai l’impression qu’on est tous concernés dans notre vie quotidienne, humainement ou socialement. Je n’ai pas envie de jouer ou d’écrire là-dessus pour le moment. Ça viendra peut-être un jour, quand on aura plus de recul. Mais ça donne un regard nouveau sur la série, effectivement. Ce qui est arrivé au mois de mars 2020, c’est que tout le monde a pris conscience que l’hôpital allait mal. Alors que c’est ce que j’essaie de raconter depuis un moment à travers la série et mes films.

J’ai l’impression que le monde de la santé est rentré dans le quotidien des gens désormais, ils ont un regard plus aiguisé, plus affûté. Moins dans une curiosité de découvrir un monde qu’ils ne connaissent pas. Ils sont certainement encore plus en empathie avec les histoires de soignants que j’essaie de raconter.

Vous êtes redevenu médecin quelques semaines, durant le pire de la crise. Est-ce que cette redécouverte de votre premier métier vous a donné envie de tourner différemment les derniers épisodes ?

En tout cas, ça m’a beaucoup ému. J’étais très chamboulé, parce que je ne m’attendais pas à retourner faire un jour de la médecine dans l’hôpital même où j’étais en train de tourner. L’impact a, je crois, été encore plus fort sur l’équipe de tournage, qui s’est sentie très concernée par ce qu’on était en train de raconter. Ça faisait beaucoup de sens pour eux, alors que jusque-là, ils m’accompagnaient pour raconter ces histoires, mais ils n’étaient qu’indirectement concernés. L’ambiance du tournage a changé, j’ai senti tout le monde beaucoup plus concentré. Et la toute fin de la série est très influencée par ce que j’ai vécu en arrivant à l’hôpital l’année dernière… Quand il y a une catastrophe, on s’organise. Le collectif est toujours plus fort pour essayer de trouver des solutions. Ce qui est puissant quand on est soignant à l’hôpital, c’est que ça ne s’arrête jamais.

C’est le propos de toute votre œuvre : qu’on soit étudiant en médecine ou médecin confirmé, il y aura toujours un obstacle de plus.

Il y a de ça. C’est l’essence même de l’hôpital d’être sur le pont. Le problème, ce sont les conditions de travail qui se sont beaucoup dégradées depuis maintenant quelques décennies. Et là, on arrive à un point très critique, avec des soignants en souffrance de ne pas pouvoir bien faire leur travail. Et c’est ce qui a sauté aux yeux de tous en mars 2020. Ça provoque beaucoup de souffrance et c’est au cœur même de ce que j’essaie de raconter sur les soignants.

Vous parliez du collectif qui triomphe à l’hôpital. Vous avez la même vision concernant Hippocrate ? C’est essentiel pour vous de créer un esprit de troupe, afin que la série ne soit pas l’œuvre d’un seul homme ?

Oui, parce que je retrouve sur un plateau ce collectif que j’ai tant aimé à l’hôpital. Notamment sur une série comme Hippocrate, où l’on vit ensemble pendant plusieurs années avec les personnages et les histoires. C’est aussi ça qui est au centre de mon travail : le collectif comme solution à tout problème, toute difficulté. Notamment à la violence du métier de soignant.

Cette violence s’incarne notamment à travers le personnage de Bouli Lanners, chef des urgences qui peut être très rude avec les internes. Vous dites que vous le voyez comme quelqu’un de très dur, alors que votre équipe pense qu’il est très sympathique…

Vous le voyez comment, vous ?

Disons qu’il est un peu les deux à la fois, mais sa violence verbale envers les jeunes médecins est parfois troublante.

Il est à l’image de beaucoup de médecins hospitaliers. La transmission du savoir se fait de manière très violente à l’hôpital, et les jeunes internes s’en plaignent beaucoup. C’est violent parce que le métier est dur et très hiérarchisé, et que les chefs ne ménagent pas les jeunes. Ils pensent qu’il faut les initier à une forme de brutalité. Et comme toujours, ça perdure parce qu’il y a une reproduction : les jeunes vieillissent et à leur tour, quand ils sont en responsabilité, ils ont tendance à reproduire cette brutalité. Ça m’a beaucoup fait souffrir, donc j’ai tendance à le raconter. Néanmoins, j’ai voulu m’éloigner des stéréotypes du médecin avec ce personnage. Cette sorte de bourgeois, de notable... J’ai voulu revenir au médecin urgentiste artisan de la médecine, au sens du métier manuel. Et Bouli Lanners a joué ça avec beaucoup d’empathie. C’est un personnage dévoué, qui relève les manches et qui va au charbon, comme on dit. Mais il roule à 200 km/h face à un mur et il oublie de freiner. Sûrement parce qu’il ne le peut pas. Ce qui m’intéresse, c’est qu’il est à la fois une victime du système et un de ses maillons. Je n’en peux plus d’entendre toujours : « Le problème, c’est le système. » Oui, sauf que le système, c’est vous et moi qui le faisons.

La saison 2 d’Hippocrate aborde de nouveaux thèmes. Il y a des choses que vous n’aviez pas osé traiter dans la saison 1 ?

Ce n’est pas que je n’osais pas, les thèmes s’imposent à moi. Ce qui m’intéresse, c’est de traiter du soin, de ces métiers d’aide aux autres qui sont des choix de vie incroyables. La contrepartie, c’est l’échange avec les autres. Comment vivre cette violence, comment supporter ses incertitudes, accepter ses erreurs... Toutes ces thématiques m’intéressent. Et même le personnage que joue Bouli Lanners est obligé de se confronter à ses erreurs. Finalement, il se trompe. Quand le bateau sombre, il faut monter dans le canot de sauvetage, il faut s’enfuir, partir à la nage ! Sinon, on se retrouve au fond de l’eau. Et c’est ce qu’il fait sans s’en rendre compte.

On loue souvent votre direction d’acteurs, votre capacité à tirer d’eux des choses inédites. Comment êtes-vous sur un tournage ?

Je suis toujours au milieu des acteurs. Et puis je réécris tout le temps, je change les dialogues au fur et à mesure. Je parle beaucoup pendant que la caméra tourne et surtout je fais énormément de prises. C’est aussi ce qui permet de trouver la note juste avec les acteurs. Pour une même séquence, on peut refaire 100 prises ! Ce travail est éreintant, mais ça permet d’obtenir, je crois, que tout se mette parfaitement en place.

Ce qui est très dur pour les acteurs sur cette série, c’est qu’il faut qu’ils soient en même temps crédibles en tant que soignants. Il y a aussi toutes les contraintes du cinéma, les figurants, les acteurs qui jouent des malades... Il faut que tout ce monde joue ensemble, au même moment, sur la bonne note.

Il n’y a pas de magie : on travaille comme des forcenés, pendant des heures, avant de trouver ce qui marche. Ça me fait penser à ces vidéos sur Instagram ou YouTube, où quelqu’un tape dans un ballon qui percute une poubelle, puis une branche d’arbre et finit par rentrer dans un panier de basket : on se dit que le type est un génie, mais il a peut-être tenté son coup 5 000 fois avant que ça fonctionne ! Donc si on me dit que je suis un bon directeur d’acteurs et que les comédiens sont formidables, c’est juste parce que je mets les moyens pour qu’ils le soient ! Être un bon directeur d’acteur, c’est travailler, travailler, travailler.

En fait, vous les mettez dans le même état d’épuisement que les soignants.

C’est vrai. Ce qui fait sûrement qu’ils finissent par se rapprocher de la réalité.

Vous citez régulièrement Urgences quand on vous interroge sur Hippocrate. Qu’est-ce qu’il reste à piocher aujourd’hui dans cette série??

Si je cite souvent Urgences, c’est parce que les journalistes m’en parlent. Et à juste titre, ça reste la référence. Ce sont les premiers qui, dans les années 90, sont arrivés avec une série où le soin et le rapport médecin-malade étaient au cœur du récit. Là-dessus viennent se greffer d’autres histoires. C’est une coïncidence, mais Urgences a été diffusée en 1994 en France, au moment où je faisais ma première année de médecine. J’ai grandi en tant qu’étudiant en médecine en parallèle des diffusions d’Urgences à la télévision. Obligatoirement, la réalité et la fiction se sont nourries. Cette série m’a imprégné, bien malgré moi. Et ce qui me reste, c’est qu’on peut mélanger le romanesque, voire l’ultra-romanesque, avec un sentiment de réalité très fort et très prégnant. Après, ce que je fais avec Hippocrate est tout de même très différent. C’est beaucoup plus ramassé, car Urgences s’étalait sur 22 épisodes par saison.

Parfois, je lis des critiques de spectateurs d’Hippocrate, comme des infirmières qui écrivent : « C’est bien, mais c’est un peu exagéré. » Heureusement que c’est un peu exagéré, sinon je ferais un documentaire ! Évidemment qu’il arrive des choses extraordinaires à mes personnages. En l’espace de cinq jours, je leur fais vivre ce que certains soignants vont peut-être vivre durant toute une carrière. C’est ce qui m’intéresse : donner ce sentiment de documentaire mais pour faire encore mieux passer le romanesque. 

Hippocrate, saison 2

Une série créée par et réalisée par Thomas Lilti.
Scénario : Anaïs Carpita, Claude Le Pape et Thomas Lilti, avec la collaboration de Mehdi Fikri, Julien Lilti et Charlotte Sanson.
Produite par Agnès Vallée et Emmanuel Barraux pour 31 Juin Films, en coproduction avec Canal+, Les Films de Benjamin, Scope Pictures.
Hippocrate, saison 2, a été soutenu par le CNC et est disponible sur MyCanal.