Ariane Ascaride : « Quelque chose de fraternel s’est tissé entre nous au cours des années »

Ariane Ascaride : « Quelque chose de fraternel s’est tissé entre nous au cours des années »

27 novembre 2019
Cinéma
Ariane Ascaride dans Gloria Mundi
Ariane Ascaride dans Gloria Mundi EX NIHILO 2019
Pour la sortie de Gloria Mundi, l’actrice Ariane Ascaride, qui a reçu à la dernière Mostra de Venise un Prix d’Interprétation féminine, évoque l’esprit de bande si cher au cinéma de Robert Guédiguian.

Le cinéma de Robert Guédiguian se caractérise par le trio que vous formez à l’écran avec Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan. A-t-il toujours été facile de trouver sa place au sein de cet univers masculin ?

Au milieu de ces machos, vous voulez dire !  Disons les choses comme elles sont. Sur les tournages de Robert, j’ai toujours été considérée comme « l’emmerdeuse », celle qui parle, qui répond, qui met son grain de sel. Je suis un garçon manqué donc une fille réussie. Pour exister dans la société, une femme se sert de la séduction. Implicitement une jeune fille est en effet programmée de la sorte. C’est culturel. Or, je ne suis jamais passée par ce chemin-là. Ce côté masculin a sans aucun doute facilité mes rapports avec Robert, Gérard et Jean-Pierre.
 
Ce machisme dont vous parlez est-il pesant ?

Il l’est de moins en moins. Le temps passe, ils vieillissent et se tiennent à carreau. S’ils ont fait des progrès, vous ne pouvez pas changer des garçons nés dans les années 50 dans un quartier populaire de Marseille. Ils sont porteurs de ce que la société, leur quartier voire leur maman, leur ont inculqué. Cela n’empêche pas que j’aime leur intelligence, leur générosité, leur attention mais il y a en eux cette idée que le monde est pour les hommes. C’est moins vrai avec Jean-Pierre qui a un côté plus féminin.

Avez-vous toujours eu conscience de cette domination ?

Toujours. Ça vient peut-être de mon éducation. Pour ma mère, j’étais celle qui a fait des choses qu’elle n’a jamais pu faire en tant que femme. Je la vengeais un peu. Et puis, mon caractère est comme ça. L’autorité ne me dérange pas si les bases sont solides mais on peut difficilement m’imposer quelque chose si je ne comprends pas le sens de ce que l’on me demande.

Comment s’est faite votre rencontre avec Robert, Gérard et Jean-Pierre…

Je rencontre d’abord Robert à Marseille pendant mes études de sociologie à la faculté. Une semaine après, il me présente Gérard. Ils étaient inséparables. Ce sont des amis d’enfance. L’un n’était jamais loin de l’autre. Une fois à Paris, lors de mon entrée au Conservatoire, j’ai fait la connaissance de Jean-Pierre. Nous étions dans la même classe. Le courant est vite passé. Lorsque Robert a tourné son premier long métrage, Dernier été (1981) avec Gérard et moi, nous avions invité Jean-Pierre à une projection. Je me souviens qu’à l’issue de la séance, on ne le voyait pas sortir de la salle. Avec Robert, on se demandait ce qu’il pouvait bien fabriquer. Il était prostré sur son siège, en larmes. Il pleurait beaucoup, je m’en souviens. Il nous disait : « Tout ce que j’ai vu sur cet écran, je le comprends, je le ressens ! » Même s’il venait de Courbevoie et Robert, de Marseille, ils parlaient le même langage. Il a vraiment intégré la troupe au troisième long métrage, Ki lo sa ? (1985) pour ne plus nous quitter.

Dès vos débuts vous étiez tous les quatre portés par cet esprit de bande…

On faisait des films d’une manière clandestine, avec des bouts de ficelle entre deux spectacles, car personne ne voulait de nous. Nous avions plutôt de bonnes critiques dans la presse mais nous étions considérés comme des joyeux drilles, des clowns. Nous étions à contre-courant d’une société qui dans les années 80, a vu le retour de la bourgeoisie. C’était d’un cynisme dégoûtant. Or nous proposions des films comme Ki lo sa ? où des jeunes gens ne se retrouvent pas dans ce monde-là. C’était assez mal perçu. Il a fallu attendre Marius et Jeannette (1997) pour qu’il y ait un vrai point de rencontre.

Dans La villa (2017), Gérard Meylan et Jean-Pierre Darroussin incarnent vos frères…

C’est la première fois que nous formions à l’écran une vraie fratrie. Ce n’est pas rien. Je ne sais pas si on aurait pu le faire avant, en tout cas pas avec cette force-là. Quelque chose de fraternel s’est tissé entre nous au cours des années. C’est naturel et sain.  

Dans Gloria Mundi aujourd’hui, il y a une séquence au bord de l’eau où vous êtes avec Gérard Meylan. Il n’y a quasiment pas de dialogue, juste un jeu de regard. Il joue votre ancien amant qui revient au monde après des années de prison…

… Et elle a refait sa vie avec un autre. C’est très beau en effet. Gérard se déshabille et se met dans l’eau les bras en croix tel Jésus. Je le regarde et dans mes yeux tout doit passer.  Elle a connu ce corps-là, elle l’a aimé, pris dans ses bras. Elle a aussi vécu des choses terribles avec lui. Alors oui, elle est heureuse de le voir même si elle en aime un autre. Tout est là, tout est dit, sans un mot. On a tourné ça, sans forcer… Je suis arrivée de Paris le matin même. Arrivée sur le plateau, je dis bonjour à Gérard, on parle de la famille, de choses et d’autres… Et puis « Moteur »… Les choses se mettent en place naturellement. C'est le privilège de la complicité… On a tous confiance les uns envers les autres. Même dans des séquences d’une impudeur extrême comme celle-là, je n’ai pas peur de me laisser aller.

Il n’y a jamais eu de jalousie entre vous ?

Je suis schizophrène. C’est mon métier. Quand je tourne Marius et Jeannette ou Marie Jo et ses deux amours (2002), je suis amoureuse de Gérard le temps de la prise puis, j’entends « Coupez !» et ça y est, je ne suis plus amoureuse.

Avez-vous les mêmes méthodes de jeu avec Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan ?

Non, les chemins pour parvenir au but sont différents mais l’intensité est la même. Avec Gérard, c’est très instinctif. S’il réfléchit beaucoup à ses personnages, il ne dit rien. Avec Jean-Pierre qui est comme moi un comédien professionnel, nous sommes plus dans la virtuosité. Dans Marie-Jo et ses deux amours, il y a une séquence où je danse le rock’n’roll avec lui. Ça définit très bien les choses, avec Jean-Pierre c’est du rock’n’roll, avec Gérard, de l’art brut.

Gloria Mundi, en salles le 27 novembre a bénéficié de l’aide au programme éditorial vidéo.