« BADH » : les secrets de fabrications d’un thriller efficace

« BADH » : les secrets de fabrications d’un thriller efficace

04 août 2025
Cinéma
« BADH » réalisé par Guillaume de Fontenay
« BADH » réalisé par Guillaume de Fontenay Pan Distribution

Tourné en vingt-huit jours au Maroc, BADH est un thriller d’action sous haute tension, où authenticité et hyperréalisme priment sur les artifices. Entre méthode artisanale, caméra à l’épaule et préparation millimétrée, le réalisateur Guillaume de Fontenay dévoile les coulisses d’un film où les contraintes deviennent une force de création.


Vous avez opté pour une approche très épurée avec la caméra épaule. Pourquoi ce choix ?

Guillaume de Fontenay : Quand on m’a proposé ce scénario, j’ai immédiatement pensé à une approche dans l’esprit de la saga Bourne – sachant que leur équipe disposait de 85 millions de dollars contre nos 7 millions d’euros ! Mais peu importe le budget : pour moi, c’était la seule façon imaginable de réaliser ce film. L’objectif : rendre l’expérience la plus immersive possible en déambulant dans des lieux réels et en assumant cet hyperréalisme. D’ailleurs, il n’y a aucun décor construit dans le film. Prenez la maison à Raqqa : les escaliers font 90 cm de large. Avec une caméra, le son et l’équipe, c’était un défi technique énorme. Mais cette authenticité donne au film une urgence permanente, ce sentiment qu’on suit le personnage de Marine (Vacht) au plus près.

Cette contrainte budgétaire a-t-elle été finalement libératrice ?

Oui, paradoxalement. Avec seulement trente jours de tournage, nous avons dû rationaliser chaque minute. Mais la démarche était d’abord créative. Chaque matin, on se retrouvait sur le lieu de tournage avec l’équipe pour prévisualiser le plan, comme des sportifs avant un match : « La caméra part de là, tu te déplaces ici… » Pas de temps perdu, tout le monde savait ce qu’il avait à faire. Pierre Cottereau et Romain Perset ont réussi à traduire cette urgence à l’image. Les contraintes ont finalement ouvert des pistes créatives qu’on n’aurait peut-être pas explorées avec plus de moyens.

Votre approche du personnage passe beaucoup par le physique. D’où vient cette méthode ?

Je viens d’une école théâtrale où le corps exprime tout. C’est ce qui fait qu’un acteur est juste. Avec Marine, la question était simple : comment une femme de 1m72, 53 kilos, peut-elle se battre ? Son physique impose une rapidité absolue – elle ne peut pas laisser l’adversaire intervenir. On a développé avec Alexandre Vu, notre régleur cascade, un mélange d’arts martiaux où elle devient létale en très peu de temps. Marine avait des bases en judo et danse classique, donc une excellente mémoire corporelle. Elle a suivi cinq mois d’entraînement : armes, moto, déplacements tactiques.

Marine Vacht a-t-elle vraiment exécuté toutes ses cascades ?

Quasiment toutes. Dans la scène du hammam, c’est 100 % elle. La seule exception, c’est le saut sur la gorge de l’adversaire, trop risqué car le cascadeur tombait contre un vrai mur de tuiles. Marine s’est vraiment investie, physiquement et émotionnellement. On a développé une vraie complicité pendant ces mois de préparation, un peu comme je l’avais fait avec Niels Schneider sur Sympathie pour le diable.

Comment s’organise un tournage si serré au Maroc ?

C’était un vrai défi. Deux jours à Paris pour les scènes de la DGSE, puis vingt-huit jours au Maroc pour tourner tout le reste : Syrie fictive, Casablanca, Essaouira, Marrakech… Chaque séquence devait être planifiée au millimètre. Pour la scène du train, par exemple, nous n’avions que quarante-cinq minutes sur un Marrakech–Casablanca, en plein changement de lumière jour/nuit. On avait privatisé deux wagons, grâce au soutien des autorités marocaines, afin d’anticiper le moindre changement de lumière. Idem pour la course-poursuite à Essaouira : entre les véhicules, les motos et les passants, il fallait un assistant de production dans chaque ruelle pour éviter le moindre accident. La régie marocaine a réalisé un travail incroyable, et nous avons réussi à terminer sans incident.

 

À quoi correspond ce périple géographique ?

Initialement, tout se passait à Essaouira. Mais j’ai préféré imaginer cette déambulation d’Essaouira à Marrakech puis Casablanca. Ce voyage enrichit la narration et l’expérience spectateur.

On voit de plus en plus de femmes héroïnes d’action. Mais comment éviter les clichés du film d’action au féminin ?

Je ne voulais surtout pas d’un regard masculin ou voyeur. Aucune scène de douche, aucune nudité : Marine devait être filmée comme Matt Damon dans Bourne, juste une professionnelle qui fait son boulot. Ce qui m’intéressait, c’est sa complexité intérieure, sa solitude, ses doutes. Elle et moi venons de parcours familiaux compliqués, on s’est retrouvés là-dessus. Travailler clandestinement use psychologiquement, et je voulais qu’on sente ce poids, sans le souligner de façon artificielle.

Cette méthode de travail vous semble-t-elle reproductible sur d’autres projets ?

Chaque scénario commande son approche. J’ai des projets beaucoup plus contemplatifs en cours. L’approche technique répond toujours à la narration : comment la servir au mieux ? Mais il y a une constante dans mon travail : cette volonté d’hyperréalisme. Avec Mathilde Van De Moortel au montage – une dentellière exceptionnelle retrouvée après Sympathie… – on évite le classique « champ-contrechamp ». On choisit des prises longues, coupes à 30° ou 45°. Plus vivant, plus déroutant. Sur Sympathie…, certains ont cru voir un documentaire.

Quel était votre objectif principal avec BADH ?

Créer une expérience qui dépasse la narration pour devenir pulsation. Audrey Ismaël a travaillé la musique dans ce sens. Si chaque collaborateur participe à cette narration sensorielle, peut-on générer une expérience quasi physique ? J’ai consulté des gens de la DGSE, des journalistes spécialisés, des documentaristes pour rester juste. C’était un rapport de fidélité indispensable, sinon ça devient indécent. Pour moi le cinéma c’est de l’artisanat pur : il faut fabriquer sans ego, faire que chacun serve au mieux une scène, un moment. On s’est investi avec le cœur pour qu’une fois tous les ingrédients réunis, on ait un film qui tienne et qui dise quelque chose. Même dans un genre codifié, on peut insuffler une âme.
 

BADH

Affiche de « Badh »
BADH Pan Distribution

De Guillaume de Fontenay
Écrit par Matt Alexander
Produit par Monkey Pack Films, M.E.S. Productions
Distribué par Pan Distribution, Ginger & Fred (International), WTFilms (international)

Soutien sélectif du CNC : Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025)