Christian Gasc, tissus et merveilles

Christian Gasc, tissus et merveilles

18 janvier 2022
Cinéma
Christian Gasc après sa consécration à la cérémonie des César 2013 pour son travail sur « Les Adieux à la Reine ».
Christian Gasc après sa consécration à la cérémonie des César 2013 pour son travail sur « Les Adieux à la Reine ». Vimeo Académie des César
Costumier pour le théâtre, l’opéra et le cinéma, quatre fois césarisé, Christian Gasc était une référence incontournable pour les metteurs en scène et les comédiens. Il est décédé à l’âge de 76 ans. Portrait.

« Le costume est porteur d’émotion. Il doit tout raconter. Pourquoi cette personne porte-t-elle du jaune ? Du vert ? », s’interrogeait Christian Gasc en 2021 dans le cadre du documentaire Tarn-et-Garonne… Et cinéma ! « Je sais pourquoi, et je peux le dire au metteur en scène… » On ne peut être plus explicite. Entre et sur les lignes se dessine autant un amour du « métier » que l’intelligence qu’il suppose. De fait, lorsque pour Les Adieux à la reine de Benoît Jacquot, Christian Gasc décide d’habiller Marie-Antoinette d’une robe « ivoire et bleue », créant ainsi un ton sur ton avec la tenue de Louis XVI dans la cour ensoleillée de Versailles, « l’émotion » produite par le costume est d’une subtile évidence. Gasc a d’ailleurs obtenu pour ce film son quatrième César, en 2013. 

Benoît Jacquot, fidèle parmi les fidèles (Les Ailes de la colombe, Corps et Biens, Sade, Tosca, Au fond des bois, sans oublier les fictions pour la télévision, l’opéra et le théâtre), savait que les choix de son costumier viendraient soutenir son inspiration et donc sa mise en scène. « Avec Benoît, c’est une affaire de confiance », expliquait Christian Gasc dans les colonnes de Ouest France en 2010, en marge d’une exposition à la Cinémathèque française. « L’essentiel étant basé sur l’échange avec à chaque fois une vraie proposition à laquelle vous croyez. Par exemple, pour Sade (…), j’ai imaginé un costume rouge : nous étions pendant la Terreur et le sang coulait à flots. » Christian Gasc, décédé il y a quelques jours à son domicile parisien à l’âge de 76 ans, aura donc été un raconteur « d’histoires » au service du grand récit d’un film, d’une pièce ou d’un opéra. Un homme de goût et de couleurs.

« Le ton juste »

Tout a débuté dans une petite salle de cinéma, L’Apollo, à Valence d’Agen dans le Tarn-et-Garonne. Christian Gasc a 8 ans, sa mère, couturière, l’emmène tous les jeudis et les vendredis voir des films. C’est l’éblouissement. « De retour chez moi, je dessinais ce que j’avais vu sur l’écran. » Arrivé à l’adolescence à Paris avec des rêves plein la tête, il est dessinateur industriel le jour et cinéphile à la nuit tombée. La Cinémathèque française est un temple et un lieu de rencontres. Liliane de Kermadec, amie et cinéaste, lui propose de se lancer. Ce sera Aloïse, en 1975, autour d’une figure emblématique de l’Art brut internée pour aliénation au début du XXe siècle. Le scénario est signé André Téchiné qui débute comme cinéaste la même année avec Souvenirs d’en France. Sur ce tournage, Christian Gasc rencontre celle qu’il considérera toujours comme « l’amour de sa vie », Marie-France Pisier. La comédienne, ravie de son travail sur le film, lui enverra une photo encadrée où elle figure avec son costume. Elle y joindra une lettre pour le remercier de son « inspiration » sans laquelle elle n’aurait su trouver le « ton juste ». 

Le fameux cadre trônait en bonne place au domicile de Christian Gasc, entouré des quatre César obtenus pour Madame Butterfly (1995), Ridicule (1996), Le Bossu (1997) et Les Adieux à la reine (2012), ainsi que du Molière reçu pour L’Éventail de Lady Windermere, joué au théâtre du Palais-Royal en 2003. À la cérémonie des César en 2013, Christian Gasc, statuette en main, aura un mot pour Marie-France Pisier, décédée deux ans plus tôt. C’est grâce à la comédienne que le costumier avait notamment croisé la route de François Truffaut. Il passera à côté de L’Histoire d’Adèle H. (1975) faute de temps, mais fera La Chambre verte (1978).

 Grand écart 

« L’humour, je dors avec ! » avait coutume de répéter Christian Gasc qui se méfiait des modes (rien de paradoxal là-dedans) et savait se détacher avec malice des figures trop imposées. Ainsi, il avait fini par devenir un personnage lui-même, toujours habillé avec l’élégance d’un dandy du XIXe siècle. Son visage traversé continuellement d’un sourire, éclatant ou en attente de l’être, était surmonté d’une crinière blanche coiffée en arrière. Sa filmographie marque cet art du contraste et de la surprise, aussi à l’aise avec des figures de la modernité (Marguerite Duras, Juliet Berto, Claire Denis, Jean-Luc Godard…) que les tenants d’un classicisme assumé (Patrice Leconte, André Téchiné, Philippe Le Guay…).

Voir sans être vu ou au contraire crier sa présence. Un costume, à l’instar d’une bande originale, doit composer avec les humeurs du film. La discrétion est une politesse qui peut être transgressée. Pour parler de son travail, Gasc revenait souvent à ses débuts, à l’amie Marie-France Pisier. Dans Souvenirs d’en France, récit d’une famille bourgeoise dans les années 30, le personnage interprété par l’actrice se rend au cinéma comme d’autres iraient à l’opéra ou au théâtre, en tenue de soirée. « J’ai choisi une belle robe mais sobre, d’une couleur grise », précisait le costumier dans son portrait issu du documentaire Tarn-et-Garonne… Et cinéma ! « Pas de couleurs criardes, je ne voulais surtout pas faire hollywoodien ! » Gasc ou l’art de cultiver sa différence, loin des temples et des chapelles.