Comment Gaumont valorise son patrimoine en vidéo

Comment Gaumont valorise son patrimoine en vidéo

14 mai 2020
Cinéma
Le Franciscain de Bourges de Claude Autant-Lara
Le Franciscain de Bourges de Claude Autant-Lara Société Nouvelle des Établissements Gaumont - SOPAC - Gaumont
Conversation avec Maxime Gruman, directeur Vidéo et VOD chez Gaumont, autour des collections Gaumont Classiques, Gaumont Découverte DVD et Gaumont Découverte Blu-ray.

Pouvez-vous d’abord nous expliquer les spécificités des trois collections Gaumont : Classiques, Découverte DVD et Découverte Blu-ray ?

Maxime Gruman : La collection Gaumont Classiques est la plus ancienne des trois. Elle existe depuis 2009 et regroupe des films que l’on considère comme faisant partie du patrimoine cinématographique, que l’on a restaurés et que l’on sort simultanément en DVD et en Blu-ray. Les films sont systématiquement édités avec des sous-titres pour sourds et malentendants ainsi que des sous-titres en langue anglaise, et accompagnés d’un supplément inédit, plus ou moins long. Elle regroupe 130 titres, qui se sont écoulés depuis sa création à 740 000 unités (sources GFK). La collection Gaumont Découverte DVD, qui à l’origine s’appelait Gaumont à la demande, a quant à elle été lancée fin 2010. Le but était de proposer au public des œuvres rares ou inédites dans le meilleur matériel disponible. Une grande partie des films de la collection ne bénéficient pas d’un master restauré. Sa spécificité, ce sont ces boîtiers slims, clairement identifiés en termes de charte graphique grâce à leur jaquette rouge – Bertrand Tavernier l’avait d’ailleurs affectueusement baptisée « la petite collection rouge », une expression que nous continuons d’employer en interne ! Les films sont tous équipés de sous-titres pour sourds et malentendants, mais sans accompagnement éditorial. On en est à 452 titres édités et 430 000 unités écoulées (sources GFK). Enfin, la collection Découverte Blu-ray, la plus récente, a été lancée en juin 2014, elle comporte 205 films édités et s’est vendue à près de 180 000 unités (sources GFK). On y trouve notamment des classiques de la comédie française, mais que nous ne jugions peut-être pas suffisamment patrimoniaux pour les faire rejoindre la collection Classiques. Tous les films y sont restaurés, équipés de sous-titres pour sourds et malentendants et de suppléments.

Les films des collections « Découverte » sortent systématiquement par vagues de 4 ou 5 titres…

Oui, ça permet au consommateur de s’intéresser à des films vers lesquels il ne serait pas allé spontanément, grâce aux mécaniques promotionnelles. Les films coûtent dix euros si on en achète deux ou trois. Il faut donc quelques « locomotives » pour aider des titres moins connus. Dans la collection Gaumont Découverte Blu-ray, on a sorti des films comme La Chèvre ou Oscar, qui existaient déjà en DVD depuis longtemps – depuis que le DVD existe, en fait ! Mais ils étaient inédits en Blu-ray… On musclait ainsi la collection avec des titres forts, mais qui ne sont pas considérés comme des classiques patrimoniaux, au sens où le sont les grands films de Duvivier, de Renoir ou d’Autant-Lara.

Quels sont les titres qui se vendent le mieux ? Pouvez-vous nous donner le « top 5 » de chaque collection ?

Dans la collection Gaumont Découverte Blu-ray, on trouve surtout des comédies en tête de liste. C’est très net. Les cinq premiers sont La Chèvre, Hibernatus, Le Grand Blond avec une chaussure noire, Oscar et Ni vu, ni connu d’Yves Robert, avec Louis de Funès – notons que c’est un film en noir et blanc, un peu moins célèbre que les autres. Dans la collection Gaumont Découverte DVD, voici le top 5 : Ni vu, ni connu, L’Assassin habite au 21, Les Copains d’Yves Robert, Le dernier des six, de Georges Lacombe, et Le Franciscain de Bourges de Claude Autant-Lara. Soit uniquement des films en noir et blanc, et pas forcément des comédies. Enfin, dans la collection Gaumont Classiques, alors qu’on aurait pu s’attendre à ce que le numéro 1 soit Les Tontons Flingueurs (sans doute le titre le plus emblématique de notre catalogue), c’est en réalité La Traversée de Paris qui arrive en tête. Viennent ensuite La Beauté du Diable, Huit et demi, Don Giovanni et La Guerre des Boutons. C’est un top 5 très éclectique, avec des films en noir et blanc, et même un opéra. On est parfois surpris par les choix du public. Le succès du Franciscain de Bourges était inattendu, par exemple. On pense parfois que ce sont les films qui passent le plus à la télé qui se vendent le mieux, mais ce n’est pas systématique.

 

Combien de titres sortez-vous par an en tout ?

Les « grosses » années, nous sortons 10 ou 11 vagues de 4 titres, et les années plus « compliquées », 6 ou 7 vagues de 4 titres. Quand je dis « compliquées », ce n’est pas économiquement parlant, mais c’est parce que nous arrivons au bout de l’exercice consistant à trouver des œuvres pour lesquelles la chaîne de droits a été « clearée » et pour lesquelles on dispose de matériel exploitable. Le niveau d’exigence des consommateurs a monté, on ne ferait pas obligatoirement aujourd’hui le choix d’éditer certaines choses qu’on a pu éditer il y a dix ans, afin de ne pas décevoir le consommateur. Si un film est trop abîmé, présente des cassures ou des trous de sons, on préfère le mettre de côté et attendre de voir si on peut le restaurer. A noter également qu’en 2019, Gaumont a fait l’acquisition du catalogue Roissy, de près de 300 titres, auprès de la société EuropaCorp. En 2020, nous commençons à les éditer au sein de nos collections.

Quelles sont vos ambitions dans le domaine de la 4K UHD ?

C’est un marché compliqué, dominé par les blockbusters américains récents. Même dans le domaine du patrimoine, les Américains n’y font pas des scores phénoménaux. Eux ont la capacité de sortir des films de patrimoine en 4K – je pense à Warner avec les films de Stanley Kubrick par exemple – car ils sont dans une économie différente, où ils mutualisent leurs coûts sur plusieurs territoires, y compris pour le packaging et le pressage. Nous, nous ne pouvons pas faire ça. Nous avons fait un test avec Les Tontons flingueurs. Il a été restauré avec l’aide d’Eclair et de Celluloid Angels, dans le cadre d’un crowdfunding. On disposait d’un master restauré 4K UHD, on a fait un authoring 4K, et on a sorti le film sur support UHD. C’était le premier film en noir et blanc à sortir en 4K en France, et peut-être même dans le monde. Même si les ventes ne sont pas nulles – nous avons passé la barre des 1500 exemplaires – elles restent limitées. Le bilan qu’on en tire, c’est qu’il n’y a pas de marché 4K sur le cinéma de patrimoine français. C’est malheureux, car on souhaiterait sortir le meilleur matériel disponible. Les restaurations sont très souvent en 4K. L’année dernière, on a ainsi restauré Toni, de Jean Renoir, en 4K, qui a été présenté à Cannes Classics. On le sort cette année dans la collection Gaumont Classiques mais c’est un Blu-ray standard. Il est issu du master 4K, mais il n’est pas UHD car on sait qu’on aura du mal à l’écouler. Peu d’éditeurs français se lancent dans le film de patrimoine en 4K.

Quels sont les titres phares du line-up 2020 ?

On fête cette année le centenaire de Michel Audiard. Nous sortirons six films dialogués par Audiard et interprétés par Jean Gabin dans la collection Gaumont Classiques : d’abord trois en juin, réalisés par Henri Verneuil (Un Singe en hiver, Mélodie en sous-sol et Le Président) et trois autres en octobre, au moment du Festival Lumière, réalisés par Gilles Grangier (Le Gentleman d’Epsom, Les Vieux de la vieille, Le Cave se rebiffe). Nous sortirons également Les Félins de René Clément, avec Alain Delon, qui existait déjà en vidéo mais qui n’avait jamais été restauré, et Toni, donc, restauré en 4K. Des comédies qui existaient déjà chez EuropaCorp ont rejoint notre catalogue : Les Sous-doués, Les Sous-doués en vacances, Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages… En juin, trois films d’André Cayatte sortiront en versions restaurées : La Fausse Maîtresse, Justice est faite et Piège pour Cendrillon. Toujours de Cayatte, A chacun son enfer sortira en DVD. Des Fernandel rejoignent également notre catalogue : Le Couturier de ces dames, Honoré de Marseille, Heureux qui comme Ulysse. Il y aura aussi des titres moins connus, comme La Petite de Montparnasse, signé Hanns Schwarz en 1932, un film rare sur lequel on peut espérer une bonne surprise. C’est une année assez riche !