Comment raconter le harcèlement scolaire à hauteur d’enfant ?

Comment raconter le harcèlement scolaire à hauteur d’enfant ?

02 février 2022
Cinéma
Maya Vanderbeque et Günter Duret dans « Un monde » de Laura Wandel.
Maya Vanderbeque et Günter Duret dans « Un monde » de Laura Wandel. Tandem
Dans son premier long métrage, Un monde, Laura Wandel explore la brutalité des cours de récréation à travers le regard d’une fillette, petite sœur d’un élève de primaire pris violemment pour cible par ses camarades. La cinéaste raconte le processus de fabrication de ce film découvert en juillet dernier à Cannes, à la Semaine de la critique.

Pourquoi avoir choisi de traiter la question du harcèlement scolaire dans votre premier film ?

Tout est parti de mon envie de filmer la cour de récréation. Elle représente à mes yeux le premier lieu où l’on se retrouve confronté aux autres en sortant du cocon familial. Quelque chose qui ne nous quittera plus, consciemment ou non, se construit à ce moment-là. On peut s’y épanouir ou y souffrir, mais je trouvais ce temps de l’apprentissage de l’intégration à une communauté passionnante à raconter et à filmer.

Vous vous êtes appuyée sur des souvenirs personnels pour écrire cette histoire ?

J’ai essayé, en tout cas, de les convoquer. Mais Un monde se nourrit d’abord et avant tout d’un travail d’observation à l’intérieur de ces cours de récréation, par nature fermées au monde des adultes et donc propices à tous les questionnements, les cauchemars voire les angoisses des parents. Je me suis glissée dans une de ces cours d’école durant tout mon processus d’écriture qui a duré quatre années. J’ai observé, j’ai pris des notes… et les enfants, forcément curieux de voir une adulte autre que leur instituteur, sont venus me poser des questions. Ce qui m’a permis tout naturellement de leur en poser en retour et de me nourrir de leurs confidences.

L’idée de filmer cette histoire à hauteur d’enfants – en l’occurrence celui de Nora, la petite sœur du garçon qui se fait harceler – est née à ce moment-là ?

Oui, j’ai eu très tôt cette intuition de rester tout le temps au niveau de Nora et de son point de vue. Avec cette idée qu’on ne verrait la tête des adultes que lorsqu’ils se baisseraient pour lui parler. Je voulais ainsi permettre aux futurs spectateurs de ressentir physiquement ce récit qui s’inspire de ce que j’ai pu observer et entendre de la part des enfants mais aussi des adultes. Car pour nourrir mon écriture, je suis aussi allée à la rencontre de parents dont les enfants avaient été victimes de harcèlement. Et ces échanges m’ont confortée dans l’idée qu’on se retrouve forcément perdu et désarmé dans ces cas-là. On tente de colmater les brèches faute d’avoir le temps de traiter les problèmes à la racine.

Filmer le récit à hauteur d’enfant permettait de montrer par ricochet la détresse des parents face à un phénomène qui les dépasse.


Concrètement, cela se passait comment sur le plateau ?

Mon directeur de la photo Frédéric Noirhomme (Paul Sanchez est revenu !, Docteur ?) avait harnaché une caméra autour de sa taille et suivait Maya Vanderbeque, l’interprète de Nora, partout où elle se déplaçait. La caméra s’adaptait à ses mouvements pour aller au bout de ma logique de mise en scène. Je ne voulais pas que les adultes que nous étions interfèrent avec ses mouvements spontanés. C’est aussi pour cette raison que le choix de l’école où nous allions tourner était primordial. J’avais une idée très précise de ce que je souhaitais : un établissement avec de très longs couloirs dans lesquels Nora allait déambuler comme elle explorerait un monde décidément trop grand pour elle jusqu’à donner l’impression de s’y perdre. Ce qui prédominait dans ma réalisation, c’était de construire un ressenti physique de l’angoisse vécue par ces enfants. Cela passait aussi par tout un travail sur le son où on devait entendre en permanence le brouhaha d’une cour de récréation dont le côté assourdissant crée aussi ce sentiment de menace.

Comment dirige-t-on des enfants dans des situations aussi violentes que celles vécues par les personnages d’Un monde ?

Avec une responsabilité forcément décuplée pour ne provoquer chez eux aucune souffrance, pour ne rien abîmer. Et ce dès le casting qui va s’étaler sur plusieurs mois et où j’ai vu plus d’une centaine d’enfants. Je ne leur ai pas fait jouer de scènes. Mon approche a consisté à leur demander de dessiner leur cour de récréation et de m’expliquer ce qu’ils y faisaient avec leurs camarades. Puis à un moment surgissent des évidences. À commencer par Maya Vanderbeque. Je n’oublierai jamais la première phrase qu’elle m’a dite : « Je veux donner toute ma force à ce film. » Maya a fondamentalement modifié la vision que je m’étais faite de son personnage au fil des quatre années d’écriture. J’ai travaillé avec elle comme avec tous les autres enfants. Je ne leur ai jamais donné le scénario à lire, juste raconté les grandes lignes. Et j’ai fait appel à deux coachs avec lesquels, tous les week-ends pendant trois mois, on a construit chaque scène selon le même principe : je donnais aux enfants le début de la situation, je leur demandais comment ils réagiraient dans la « vraie » vie et petit à petit, je les amenais, à partir de ce qu’ils me confiaient, vers la situation que j’avais écrite. Grâce à ce processus, ils pouvaient se la réapproprier. Et je terminais chaque exercice en leur demandant de dessiner la scène en question. J’ai réuni ces dessins dans un cahier qui a été notre référence sur le plateau, avant de débuter chaque scène. Le but était de transformer tout ce travail en jeu d’enfants. De les éloigner de la brutalité de la situation. Le tournage a duré vingt-cinq jours. Sans ces trois mois de répétition, tenir les délais aurait été matériellement impossible.

UN MONDE

Réalisation et scénario : Laura Wandel
Directeur de la photo : Frédéric Noirhomme
Montage : Nicolas Rumpl. Production : Dragons Films, Lunanime, Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie, Voo- BEE TV
Distribution : Tandem
Ventes internationales : Indie Sales