Comment reconstitue-t-on une séance de cinéma des années 1910 ?

Comment reconstitue-t-on une séance de cinéma des années 1910 ?

N'oublions jamais (La Rescapée du Lusitania)
N'oublions jamais (La Rescapée du Lusitania) Leonce Perret - DR

Dans le cadre du festival Toute la mémoire du monde, l’Auditorium du Louvre, en partenariat avec la Cinémathèque française, propose la reconstitution d’une séance de cinéma des années 1916-1919. Les explications de l’historien Laurent Véray, qui a conçu ce programme extraordinaire.


Comment est née l’envie de proposer cette séance de cinéma en forme de voyage dans le temps ?

Du travail d’un groupe de recherches qui s’appelle CINE08-19 et qui regroupe des universitaires et des institutions patrimoniales. L’idée est de travailler sur une période un peu délaissée de l’histoire du cinéma français, allant de 1908 à 1919. Il existe beaucoup de sources, de films, d’archives papier, de programmes, de plaquettes, de matériel publicitaire, qui ne demandent qu’à être étudiés. L’axe central, c’est l’étude de l’évolution du spectacle cinématographique à cette époque. L’organisation d’une séance de cinéma varie beaucoup au cours de la période. Les séances sont longues, de 2h30 à 3h30, avec beaucoup de films au programme. Vers 1918-1919, on se rapproche du « grand film », de la séance organisée autour d’un long métrage.

Quels films voit-on alors ?

Des bandes comiques, des drames, des serials, des dessins animés, des films scientifiques, des vues d’actualités, des vues documentaires, de voyages… C’est un éventail assez riche.

Peut-on reconstituer aujourd’hui ces séances à l’identique ?

Non, c’est quasiment impossible. En revanche, on peut en retrouver l’esprit. Plus qu’une reconstitution, c’est un dispositif que nous proposons, qui cherche à donner au public d’aujourd’hui une impression relativement proche de ce que pouvait être les séances d’alors. Il faut d’ailleurs noter qu’elles variaient d’une salle à l’autre, selon qu’on était dans un quartier bourgeois ou populaire, à Paris ou en province, etc. Nous souhaitons donner une idée de la grande variété et de la richesse qu’il y avait dans les séances de l’époque. On ne se concentre pas sur une séance type – par exemple une semaine précise de 1916 – mais on donne une impression d’évolution, de ce qu’on pouvait voir entre 1916 et 1919.

Il n’y avait pas seulement des films, mais aussi des chansons, des numéros d’acrobatie…

Oui, il y avait parfois du spectacle vivant. Pas systématiquement, mais le Gaumont Palace de la Place de Clichy, par exemple, en proposait quotidiennement, à toutes les séances. Les cinémas des Grands Boulevards en proposaient aussi. Il y aura trois numéros de spectacle vivant dans notre séance au Louvre : un numéro d’acrobatie, un numéro de jongleurs et un trio jazz band à l’entracte, comme ça commençait à se faire en 1917 – c’est le moment où le jazz arrive en France. Pour donner du liant à tout ça, il y aura un bonimenteur – un conférencier comme on l’appelait alors. Le bonimenteur/conférencier est représentatif des années 1915-1918. Selon les salles, il pouvait être soit le directeur de la salle, soit un employé. Il donne des informations, fait la présentation des films et des numéros… L’avantage d’avoir recours au bonimenteur-conférencier, c’est qu’il permet au spectateur d’aujourd’hui de se repérer. C’est un fil conducteur, un intermédiaire, qui permet de décrypter certains aspects de ces séances plus difficilement compréhensibles aujourd’hui.

Quelle place tient la musique ?

La forme privilégiée aujourd’hui pour les séances de cinéma muet, c’est le ciné-concert, avec un pianiste qui improvise sur les images. Or, ça ne correspond pas vraiment à la réalité de l’époque. L’improvisation n’était pas alors la forme la plus développée. La plupart du temps, il y avait des montages musicaux, faits par les metteurs en scène ou par les musiciens des salles : un vrai travail de composition et de montage à partir d’extraits du répertoire. On a retrouvé un certain nombre de ces montages. Pour N’oublions jamais, le film de Léonce Perret qui sera projeté au Louvre, on a retrouvé le montage musical complet d’époque – qui était conçu pour 200 musiciens ! Il faut savoir que la grande salle parisienne de Pathé accueillait 150 instrumentistes et 50 choristes. Nous avons fait une adaptation pour piano et violon. Nous proposerons alternativement des partitions d’époque et des improvisations – notamment sur un Chaplin et un film comique français, La Concierge est mobilisée. Là, ce sera de l’impro pure. Les comiques et les premiers burlesques américains se prêtaient très bien à l’improvisation.

Pourquoi avoir choisi N’oublions jamais, de Léonce Perret ?

C’est un film intéressant car à la fois français et américain. Tourné par un Français aux Etats-Unis, avec des moyens dont il ne disposait pas jusqu’alors, destiné autant au public français qu’au public américain. Et l’idée de montrer un film sorti au début de l’année 1919, donc il y a tout juste cent ans, était séduisante.

A l’Auditorium du Louvre, le dimanche 17 mars à 15h.