Rencontre CNC-SACD : La représentation des personnages de femmes dans la fiction française

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Modératrice :

Carole Desbarats, agrégée de lettres, maître de conférences
 

Intervenants :

Pour l’équipe de Profilage (TF1) :
Sophie Lebarbier et Fanny Robert, créatrices de la série, auteures et productrices (Beaubourg Audiovisuel)
Pour l’équipe de Capitaine Marleau (France 3) :
Elsa Marpeau, créatrice de la série et auteure
Stéphan Guérin-Tillié, acteur, réalisateur et scénariste
Gaspard de Chavagnac, producteur (Bel Ombre Films)

Gabrielle Adjerad : Responsable du fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle au CNC
Compte rendu : Valérie Ganne

Julien Neutres, directeur du service de la création, des territoires et des publics au CNC ouvre la rencontre professionnelle de cette nouvelle saison, en remerciant les deux équipes de leur présence : Carole Desbarats pour la modération de ce débat, ainsi qu’Anne Tudoret et Elisa Fourniret, respectivement responsables du pôle des auteurs au CNC et de la Maison des Auteurs de la SACD et organisatrices de cette collection de débats depuis leur création voici dix ans. Il rappelle qu’un cocktail à la suite de ce débat permettra de poursuivre les discussions.

La modératrice, Carole Desbarats, commence par citer avec malice un extrait d’un Manuel général d’éducation primaire de 1879 : « Occupons-nous d’abord d’enseigner la natation aux garçons car le vêtement des femmes ne leur permet guère de secourir les autres dans l’eau ». « Nous n’en sommes plus là aujourd’hui et c’est tant mieux. Mais cela reste important de se demander entre professionnels comment faire avancer cette question de la représentation des personnages de femmes dans la fiction française, poursuit-elle. Dans les années 90, les femmes-flics étaient fortes et infaillibles, l’une d’entre elle s’appelait d’ailleurs Une femme d’honneur. Au cinéma, nous avons une véritable dette envers Josiane Balasko qui a réalisé Les Keufs en 1987. Puis, dans les années 2000, les personnages de femmes-flics sont devenues des professionnelles, elles ont acquis un savoir-faire : la série Julie Lescaut s’arrête en 2014, Candice Renoir arrive en 2013. On est loin de la victimisation ou de la fétichisation de ce type de personnage des films des années 50 ou 60. N’oublions pas que vers 1935 la première vague de femmes entrées dans la police française étaient des assistantes sociales. Avec le temps, notre réflexion s’est également enrichie grâce aux travaux sur le genre, particulièrement aux Etats-Unis : les personnages de femmes indociles et fortes qui arrivent dans les années 90 remplacent peu à peu les représentations de femmes soumises et serviles. Mais il ne faut pas pour autant négliger un problème majeur : une femme-flic porte la loi et dans notre société, la loi et le pouvoir sont entre les mains des hommes. Cela reste donc un véritable enjeu de narration. Nous allons aborder ces questions en alternance avec les deux équipes présentes à cette table, mais d’abord chacun va se présenter pour préciser d’où il parle. »

Fanny Robert raconte que la série Profilage est d’autant plus liée au sujet de ce débat qu’elle est née d’une rencontre et d’une amitié entre deux femmes. « Le personnage principal porte d’ailleurs le prénom de l’amie commune qui nous a permis de nous rencontrer, Sophie Lebarbier et moi. Mon parcours est simple : j’ai toujours voulu écrire, j’ai donc d’abord été journaliste, puis script doctor pour la société IMCA, où j’ai rencontré Sophie. Quand elle est partie comme directrice littéraire chez Beaubourg Audiovisuel, elle s’est intéressée à l’un de mes projets sur lequel nous avons commencé à travailler ensemble : c’était l’ancêtre de Profilage. Je suis alors devenue scénariste salariée chez Beaubourg Audiovisuel. Nous étions toutes deux auteures, en liaison étroite avec le producteur Stéphane Marsil, et c’est sous son impulsion que nous sommes nous-mêmes devenues productrices artistiques. » A son tour Sophie Lebarbier résume son parcours : « J’ai commencé par des études d’Histoire et Sciences-Po, avant de travailler dans l’édition et le conseil média chez IMCA où je suis restée cinq ans. Le temps de rencontrer Fanny. Aujourd’hui je travaille à 100 % sur Profilage, série que nous avons toutes deux signée chez TF1 en octobre 2006. La diffusion de la sixième saison démarre cette semaine. »

Elsa Marpeau voulait écrire des romans policiers. « Après des études de lettres et l’agrégation, j’ai été professeur à la faculté de Nanterre en Théâtre et Cinéma. Et puis j’ai commencé à écrire un scénario de polar et j’ai été happée par ce monde. Aujourd’hui je travaille pour plusieurs chaînes et notamment pour France 3 avec Capitaine Marleau ». Carole Desbarats ajoute qu’Elsa Marpeau a obtenu le prix de la meilleure fiction 2016 à La Rochelle pour Le secret d'Elise » (TF1).

Stéphan Guérin-Tillié a eu beau rater l’entrée au TNS et au Conservatoire de Paris, il a persévéré dans la carrière d’acteur grâce à la classe libre du cours Florent. « Comédien est une place magnifique quand on joue, mais douloureuse quand on attend des rôles. Comme j’ai toujours écrit, j’ai commencé à écrire des courts métrages que j’ai réalisés, puis un long métrage que j’ai réalisé mais dans lequel je n’ai pas joué. L’écriture est devenue un moyen d’expression naturel, pour le théâtre puis pour Capitaine Marleau dont j’ai écrit deux épisodes avec bonheur. » La modératrice ajoute que Stéphan Guérin-Tillié a joué également dans La Journée de la Jupe et Le fils de l’épicier sur petit et grand écrans, ainsi qu’au théâtre dans L’Addition, qui se donne actuellement et jusqu’à fin octobre à la Gaité Montparnasse.

Gaspard de Chavagnac se présente comme un producteur par défaut, puisqu’il ne sait pas écrire mais seulement lire et compter. « J’ai commencé en 1985 à bonne école, chez Pierre Grimblat avec qui nous produisions trente films par an. J’ai également été directeur artistique chez Dargaud, producteur de longs métrages comme Le libertin de Gabriel Aghion, le dessin animé L’île de Black Mor ou encore Odette tout le monde. Je continue avec plaisir ce métier pour la télévision, avec ce Capitaine Marleau qui est un grand plaisir de producteur ».

 

Comment écrivent ces auteurs ?

« Votre position commune de travail sur Profilage correspond-elle au poste de show runner  à l’américaine ? » demande Carole Desbarats à Sophie Lebarbier et Fanny Robert. « L’auteur étant au centre du processus créatif, il est le mieux placé pour réfléchir aux aspects artistiques de la série, lui répond Fanny Robert : nous choisissons les réalisateurs, les autres auteurs qui travaillent avec nous, les acteurs, les monteurs, les costumiers, les compositeurs… » Sophie Lebarbier ajoute que leur duo est plutôt un trio, avec le directeur de production José de Hita. « Très concrètement, dès que nous commençons à écrire un épisode, nous en discutons avec José. S’il est d’accord, on se lance dans l’écriture, sinon, on cherche d’autres idées. Avant d’écrire, il vaut mieux discuter avec lui d’éventuelles restrictions budgétaires. Nous écrivons, produisons et post-produisons 12 épisodes par an, donc nous avons vraiment besoin de quelqu’un doté de compétences financières pour nous épauler. Ce directeur de production donne également son avis en salle de montage parce qu’il est investi, mais ça ne fait pas partie de ses responsabilités officielles. De même, lorsqu’une version écrite validée par la chaîne part en tournage, c’est lui qui calibre le minutage et nous négocions ensemble de coupes de production. »

« Nous faisons tout à deux, nous sommes dans le même bureau, ajoute Sophie Lebarbier. Nous concevons les histoires ensemble, nous les structurons ensemble. Ensuite, lorsque nous arrivons à l’étape des dialogues, nous séparons le texte en deux, nous travaillons sur deux actes chacune, avant de nous les échanger à nouveau. Et nous coécrivons avec des auteurs qui nous proposent des épisodes, deux à trois par saison. Nous devons écrire les séquenciers avec eux car sinon nous manquerions de temps pour réécrire. »
Carole Desbarats demande ensuite à Stéphan Guérin-Tillié et Elsa Marpeau s’ils travaillent ensemble sur les épisodes de Marleau.

Elsa Marpeau travaille seule face à son ordinateur. « C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi ce métier, pour avoir peu de contacts avec cette réalité financière (rires). Mon producteur Gaspard de Chavagnac est mon lien avec la réalité : pour lui tout a l’air possible et simple… » « J’ai écrit seul les deux épisodes, complète Stéphan Guérin-Tillié, mais c’est Elsa Marpeau qui m’a initié au personnage du Capitaine Marleau, qu’elle a créé. J’avais tourné en 2014 dans Entre vents et marées de Josée Dayan, deux téléfilms d’une heure et demi réunissant Nicole Garcia, Muriel Robin et Corinne Masiero. C’est d’ailleurs ce rôle qui a fait naitre l’idée de la série chez Josée Dayan, Gaspard de Chavagnac et Elsa Marpeau. Je suis arrivé plus tard mais j’avais l’avantage d’avoir tourné dans ces deux épisodes et de connaître Corinne Masiero comme comédienne. C’était fantastique d’écrire pour elle, c’est une actrice sort vraiment des sentiers battus. » Le producteur Gaspard de Chavagnac raconte que Pierre Grimblat lui disait : « "Je ne te refuserai jamais une note de frais si c’est pour inviter un auteur à déjeuner" : C’est tellement évident : j’adore entendre des histoires et de temps en temps en produire. J’achète des droits de livres, je prends des options sur des pitchs de scénaristes… »

 

Chloé, héroïne décalée de Profilage

Un extrait de Profilage est projeté et ses auteures reviennent sur ce personnage principal. « Elle s’appelle Chloé saint Laurent, commence Sophie Lebarbier. Elle n’est pas femme-policier mais psycho-criminologue, c’est une consultante. Son personnage est né de la réunion de deux passions communes entre Fanny et moi : la psychologie et le polar. Dans chaque épisode, ce qui nous intéresse c’est moins le coupable que les motifs de son passage à l’acte et ses motivations. Le développement a été long : il nous a bien fallu deux ans pour trouver "notre" série. Au départ nous avions inventé une équipe de criminologues où chacun avait sa spécialité. Mais soudain nous avons découvert une série américaine qui avait exactement le même concept et nous avons dû repartir de zéro. En tous cas, la volonté de choisir une héroïne féminine a toujours été délibérée, même en sachant que cela ne nous rendrait pas forcément service. Parmi nos nombreuses sources d’inspiration, on peut citer la série anglaise Wire in the Blood (La fureur dans le sang sur Canal+) dont le personnage principal est un homme un peu border line. Mais c’est plus difficile pour un personnage féminin.» « Dans The Mentalist, explique Fanny Robert, le héros fait parfois des choses un peu folles et on le trouve charmant. En revanche, on reproche tout de suite à Chloé, notre personnage principal dans Profilage, d’être hystérique. Quand Docteur House dit des choses dures ou crues, on lui passe tout. Quand c’est Chloé, c’est moins bien perçu. »

« Est-ce que ce personnage a été écrit pour la comédienne Odile Vuillemin ? » demande Carole Desbarats. « Pas du tout. Nous avons rencontré une centaine de comédiennes, se souvient Fanny Robert. Nous avions envie de quelque chose de fou dans son regard, d’étrangeté, mais aussi de féminité. Ce n’est pas parce que Chloé est une femme dans un milieu d’hommes qu’elle ne doit pas être féminine. Nous lui avons construit une enfance traumatique : elle croit que son père a tué sa mère sous ses yeux quand elle était adolescente. Elle est davantage enfant que femme, elle est souvent habillée comme une petite fille, avec des couleurs vives. »

« C’est une comédienne qui a aussi travaillé avec Jean-Paul Civeyrac et Benoit Jacquot, ajoute Carole Desbarats. L’hystérie qu’on lui reproche parfois, comme le disait Fanny, ne viendrait-elle pas de son choix de jeu ? »

« Je ne pense pas, répond Sophie Lebarbier. Simplement le personnage de Chloé est devenu complètement Odile Vuillemin. Pendant huit ans de tournage, nous avons été trois, avec la comédienne, à nous partager l’âme de son personnage. Elle a apporté ses moues, ses vêtements colorés, son côté imprévisible et fantaisiste : on ne l’avait pas écrite comme ça. » « Dans la séquence que nous venons de voir, Chloé est dans la compassion, dans une recherche de compréhension de l’autre, remarque Carole Desbarats. Elle sait faire un pas de côté par rapport à elle-même. Avez-vous travaillé particulièrement sur cette empathie ? » « Cette empathie est spécifique à sa fonction de criminologue et à son rapport aux enquêtes, mais pas au fait qu’elle est une femme » souligne Sophie Lebarbier. « Nous partons du principe que Chloé est à la fois la fille de la victime et de l’assassin, ajoute Fanny Robert. Dans les deux premières saisons de Profilage, elle se mettait physiquement à la place de l’assassin et de la victime : tout cela a disparu de la mise en scène mais reste présent dans les dialogues. » « L’empathie fait partie de son métier pour comprendre aussi bien la victime que l’agresseur, reconnait Carole Desbarats, mais la compassion est un trait de caractère différent, dont elle fait preuve aussi . » « L’empathie est un outil technique suite à ses études de psycho-criminologue, outil qu’elle met au service de sa compassion naturelle, résume Sophie Lebarbier. Elle va essayer de dépasser son traumatisme personnel : c’est en cela que Chloé est résiliente et qu’elle est une héroïne. Elle met ses compétences au service d’autrui pour dépasser son trauma. »

« Chloé est peut-être une héroïne décalée aussi à cause de l’interprétation des personnages autour d’elle » suggère une personne dans l’assemblée.
« Le regard que l’on porte sur elle est très important, souligne Sophie Lebarbier. Au début elle était rejetée par une partie de l’équipe dans la série, mais aussi par le public. On a travaillé à ce que le regard des autres membres de son équipe soit beaucoup plus bienveillant : et pour que le public la voie comme nous, nous avons réécrit les personnages qui l’entourent. La série est devenue chorale, le sentiment de famille s’est développé. Après six saisons, la comédienne Odile Vuillemin a décidé de vivre d’autres aventures et nous l’a annoncé un an auparavant. Les prochains épisodes de la saison sept mettent donc en scène son départ et l’arrivée d’une autre héroïne. » « Une autre criminologue, présente dans la série depuis la saison quatre, va monter en puissance, précise Fanny Robert. Elle s’appelle Adèle et c’est elle qui prend le relais. »

 

Le Capitaine Marleau, naissance d’une héroïne

« La réalisatrice José Dayan et le producteur Gaspard de Chavagnac sont venus me proposer d’écrire pour un projet de deux épisodes de 100 minutes, Entre vents et marées, qui se déroulaient en Bretagne, se souvient Elsa Marpeau. Mon apport principal a été ce personnage de femme-policier, le Capitaine Marleau, interprété par Corinne Masiero. Je viens du polar et en tant que lectrice je ne supportais plus le trio habituel héroïne morte-flic-vamp. C’est pourquoi j’ai choisi de créer un personnage de femme drôle, qui manie le second degré et ne se prend pas au sérieux. Après Entre vents et marées, elle est devenue héroïne de sa propre série. On demande aux femmes d’être belles, sérieuses, d’avoir des enfants. J’ai choisi l’inverse : Marleau est rigolote, sans enfants, pas forcément classiquement belle et sans histoire amoureuse. » Carole Desbarats voit quant à elle un lien avec Frances McDormand, l’héroïne de Fargo des frères Cohen. « Peut-être, reconnait Elsa Marpeau, mais dans la série Fargo, j’aime surtout le personnage du policier qui n’est pas doué du tout mais réussit quand même. » « C’est drôle car ce personnage de policier dans Fargo est construit comme un cliché de femme, remarque Stéphan Guérin-Tillié : il est sensible, divorcé, il s’occupe de sa fille. Cela en fait un personnage très attachant car souvent à côté de la plaque pour résoudre une affaire. Pour en revenir à Marleau, la chapka qu’elle porte toujours sur la tête fait penser à Frances McDormand, mais nous nous sommes aussi inspirés de Colombo. Marleau a une façon de mener ses enquêtes toujours à côté de là où elle devrait être. Elle joue les idiotes sans l’être. C’est d’ailleurs aussi ce qui lui donne sa spécificité. C’est une gendarme sans uniforme, elle est en dehors des sentiers battus. Elle a un côté anarchiste libertaire, elle représente la loi tout en nous faisant croire qu’on peut la transgresser. Ces oppositions la rendent attachante. »

Carole Desbarats a choisi de montrer une séquence courte d’ouverture au cours de laquelle Marleau nage seule à la piscine, avec un petit bonnet de bain rose un peu incongru : « C’est selon moi une présentation réussie d’un personnage en moins d’une minute, car elle est soudain en décalage par rapport à tout ce que vous venez de dire, à l’image que le spectateur se fait de cette femme. »

« C’est le deuxième épisode et son ouverture silencieuse est très réussie, précise Elsa Marpeau. La réalisatrice Josée Dayan a décidé d’ajouter cette séquence, qui n’était pas écrite. Elle l’a montée à part. Elle montre vraiment que Marleau est un personnage à côté, en marge. C’est d’ailleurs sa définition. » « Ce n’est pas contradictoire, souligne le producteur Gaspard de Chavagnac : on la met dans des situations où elle est femme, mais sans enfant, sans homme, comme dans cette séquence. Elle est sportive, elle nage. Mais avant tout c’est un personnage sans limite. » « On a envie de la mettre dans des situations déstabilisantes, ajoute Elsa Marpeau. Mais on n’y parvient pas, elle est à l’aise partout ! » A ce propos, Carole Desbarats cite un épisode dans lequel le Capitaine Marleau va infiltrer une boite de nuit, maquillée et en robe panthère : « Elle y est très belle et très crédible ». Puis elle propose un nouvel extrait, du début d’une enquête cette fois. C’est l’occasion pour Elsa Marpeau de préciser qu’il y a dans cet extrait un exemple d’une réplique inventée par la comédienne : « Vous savez pourquoi on dit de moi que je suis moche comme un pou ? Parce que c’est vrai, quand je m’accroche, je ressemble à un pou et je ne lâche pas. » « Effectivement, Corinne Masiero s’empare de temps en temps des dialogues, c’est jouissif de les écrire pour elle. Ça donne un ton au personnage » ajoute Stéphan Guérin-Tillié. « On coupe beaucoup, on ne garde qu’un quart de ce qu’elle propose, avoue le producteur Gaspard de Chavagnac, mais il y a des moments magiques. »

 

La vie privée de Marleau

« Marleau est une héroïne très attachante, souligne Carole Desbarats. Et pour elle, on se pose bien sûr la question de l’existence ou non d’une vie privée. »

« Mon intention de départ à l’écriture, était que Marleau soit une voyeuse, explique Elsa Marpeau. Elle n’est ni mère, ni amoureuse parce qu’elle n’est pas dans le réel : elle observe, elle a du mal à se projeter. Elle est dans l’empathie, elle essaie de comprendre les interactions humaines. Cette quête est intéressante : par exemple elle est fascinée par les feuilletons à l’eau de rose. » « Dans le spin off de la série Entre vents et marées, elle ne voulait jamais manquer un épisode des Feux de l’amour à la télévision, rappelle Stéphan Guérin-Tillié. Ce qu’apporte également Corinne Masiero, c’est le côté populaire du personnage. On a tout de suite de la sympathie pour elle, sans avoir besoin de connaître son passé. Et puis on ajoute des détails à chaque épisode, comme récemment qu’elle s’est fait virer de tous les lycées de Douai. » « Ou qu’elle ne couche que le premier soir » ajoute Gaspard de Chavagnac (rires). Carole Desbarats en profite pour faire projeter deux nouveaux extraits mettant en scène la Capitaine Berthaud d’Engrenage (Caroline Proust) et l’héroïne de The fall (Gillian Anderson), deux femmes de loi qui couchent sans façon le premier soir. « J’en profite pour signaler qu’une adaptation de The Fall est en cours pour TF1, écrite en ce moment par Virginie Brac. Pour revenir à Marleau, est-ce donc une poor lonesome cow girl » ?

« Marleau n’est pas tout à fait dans cet état d’esprit, elle ne couche QUE le premier soir, précise Gaspard de Chavagnac en souriant. C’est une réplique à la fin du premier épisode, elle répond ça à un médecin légiste de 80 ans interprété par Jean-Claude Drouot à qui elle n’est pas indifférente. » « Dans sa vie privée, elle est toujours à côté, comme dans ses enquêtes, reprend Elsa Marpeau. C’est un personnage du détour. Elle ne peut donc pas vraiment entamer de relation amoureuse. Elle est plutôt du genre à regarder ça à la télévision, par procuration. »

 

L’âge de Marleau

Une personne prend la parole dans le public pour souligner à quel point Marleau est un personnage révolutionnaire : « Ce n’est pas une jeune femme, elle a la cinquantaine. Pourquoi est-ce si compliqué et si rare de voir une femme de son âge dans les fictions françaises ? Nous savons qu’en France depuis 2016, une femme majeure sur deux a plus de 50 ans. Ma première question est donc : est-ce que les personnages de femmes de cette tranche d’âge vont se développer ? Et ma deuxième question sera : pourquoi est-ce que dans ces fictions, les personnages de femmes sont souvent entourés d’hommes ?

« Pour moi, le problème n’est pas l’âge, répond Elsa Marpeau. Une femme d’honneur et Julie Lescaut étaient déjà des héroïnes un peu âgées. C’est surtout l’impératif de beauté qui est ennuyeux et agaçant. A bas la beauté obligatoire, à bas ces femmes apprêtées et lissées ! Nous sommes fières que notre héroïne ait 50 ans et ne soit pas maquillée. D’ailleurs Josée Dayan filme beaucoup de femmes de sa génération. Et j’ai bon espoir pour la fiction télévisée puisque son public a en moyenne 60 ans ! Je suis davantage choquée par les méchantes dans les contes pour enfants, les sorcières qui sont toujours de vieilles dames aux cheveux blancs. »

Carole Desbarats cite la série Orange is the new black dans laquelle tout un groupe de femmes ont en moyenne 65 ans et forment toutes des personnages très réussis.

Gaspard de Chavagnac ajoute que « le Capitaine Marleau a vingt ans dans sa tête, elle a l’exaltation de la jeunesse. Mais les chaînes françaises confrontées au vieillissement de leur public nous demandent de ne surtout pas proposer de héros vieux. » Il cite le contre-exemple d’une série anglaise très réussie, Les enquêtes de Vera, dont l’actrice principale est âgée. « Pour Marleau, on a tenté et France 3 a accepté. » Sophie Lebarbier souligne que « cet âge n’est possible que parce que c’est Josée Dayan qui réalise et Corinne Masiero qui joue. Pour répondre à la deuxième question sur la part des femmes dans nos histoires, Profilage est vraiment égalitaire en termes de sexe des personnages et de genre. Dans chaque épisode on trouve autant d’hommes que de femmes, qu’il s’agisse de figurants ou de personnages secondaires. »

« Corinne Masiero est dans le burlesque, analyse Carole Desbarats. La simple façon dont elle marche est souvent très comique. Dans Profilage, avez-vous dû lutter pour que votre personnage puisse être original, toujours un peu à côté, elle aussi ? »

« On a préféré ne pas tenir compte des premiers retours des téléspectateurs, avoue Sophie Lebarbier. En ce moment, nous communiquons car la diffusion du premier épisode de la nouvelle saison approche. Dans ce cadre, on nous demande souvent si nous écrivons pour le public. Franchement ? Non ». « D’ailleurs le public n’est pas une entité homogène, il n’y a pas de recette » résume Fanny Robert. « Est-ce que la Chloé de Profilage est aussi décalée que le Capitaine Marleau ? » demande Carole Desbarats. « Elle est déstabilisante car elle a des réactions imprévues, lui répond Sophie Lebarbier, mais c’est parce qu’elle n’a pas les codes : elle découvre tout. Elle est atteinte d’une forme d’autisme social. »

 

Le choix des comédiennes

Jouant avec les nerfs du projectionniste, Carole Desbarats demande un nouvel extrait du tout début de la série The Fall (saison 1 épisode 1), où l’héroïne, Gillian Anderson, femme à la fois belle et tordue psychologiquement, nettoie à fond son appartement et fait sa valise. « La beauté obligatoire des actrices est un sujet important des fictions, commente la modératrice. Ici la névrose du personnage en sous-texte compense l’aspect trop lisse de l’actrice. On peut donc jouer avec la beauté. Pour Profilage, comment s’est fait le choix de l’actrice qui incarne Chloé ? »
« Notre producteur et nous  avons choisi Odile Vuillemin pour son talent de jeu et de vérité et non pour son physique, raconte Sophie Lebarbier. Il s’avère qu’elle n’est ni blonde, ni dotée d’une forte poitrine, ni jouant sur sa séduction et on en était vraiment fières, mais nous avions tous un peu peur par anticipation de la réaction de TF1. Il faut se souvenir que le canon de la beauté à l’époque, c’était Ingrid Chauvin. Or André Béraud, un canadien, qui était à la tête de la fiction de TF1, a tout de suite accepté notre choix. Il est resté peu de temps à TF1, juste le temps de valider notre production ! » (rires). » « Si nous n’avions pas été salariées de Beaubourg Audiovisuel, si nous n’avions pas été à cette place-là, nous n’aurions pas eu voix au chapitre, ajoute Sophie Lebarbier. Nous ne serions même pas entrées dans la salle pour suivre le casting ! »

« Est-ce que le personnage de Marleau a été écrit pour la comédienne Corinne Masiero ? » demande ensuite Carole Desbarats. « Il faut remonter à la rencontre entre Josée Dayan et Corinne Masiero, raconte Gaspard de Chavagnac. Josée voulait adapter à l’écran des romans de Fred Vargas pour lesquels elle cherchait une actrice très grosse. Corinne s’est présentée, grande et maigre, en disant : "je peux grossir". Et elle est revenue un mois après avec dix kilos de plus, en répétant : "je peux encore grossir" ! Josée l’a embauchée pour cette adaptation de Vargas, et elle l’a fait revenir pour ce rôle de gendarme dans Entre vents et marées qui a ensuite tout déclenché. »

« Josée Dayan prend beaucoup de place comme réalisatrice mais aussi comme productrice à travers sa société Passionfilms, reprend Gaspard de Chavagnac. Elle est impliquée dès l’écriture, même si les détails sur les textes ne l’intéressent pas. Elle ne vit que pour réaliser : si elle le pouvait, elle tournerait deux films, un le jour et l’autre la nuit. Elle est très organisée : ses journées commencent par une heure avec les acteurs, puis avec les techniciens. Une fois qu’elle a imaginé le film, ça va vite. » « Elle laisse une immense liberté aux auteurs, ajoute Elsa Marpeau. Elle est très respectueuse de notre travail. » Stéphan Guérin-Tillié confirme que la réalisatrice laisse également un champ d’action incroyable aux acteurs : « J’ai beaucoup tourné avec elle : et même si elle les dirige, les acteurs sont toujours heureux sur son plateau. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle fait tourner des acteurs de cinéma, qui sont demandeurs. »
Carole Desbarats demande si la chaîne France 3 a eu des réticences sur le choix de Corinne Masiero. « Aucune, répond Elsa Marpeau. Dès qu’ils ont vu Entre vents et marées dans lequel elle jouait, ils étaient enthousiastes. » « L’équipe de France 3 nous fait confiance a priori. Nous avons commencé par trois épisodes de Capitaine Marleau chaque année, précise Gaspard de Chavagnac, et avec le succès France 3 en demande davantage : nous allons passer à quatre ou cinq épisodes de 90 minutes, un rythme qui nous va très bien, ainsi qu’à Corinne Masiero qui souhaite aussi continuer de jouer pour le cinéma. »

En ce qui concerne Profilage, TF1 a également laissé beaucoup de liberté aux auteures : « Au départ, nous étions une petite série de six épisodes, plutôt confidentielle, rappelle Fanny Robert. Ce n’était pas encore un enjeu pour la chaîne. On nous a laissées très libres. Quand ça s’est enchainé avec 12 épisodes par an, la chaîne n’avait pas le temps et les moyens de trop intervenir ! C’est devenu une puissance de frappe. Notre conseillère de programme à TF1 est une brillante lectrice et même une troisième scénariste. Mais elle reçoit les épisodes directement dialogués, elle n’a pas le temps matériel d’intervenir dans les phases d’écriture. » « Nous sommes diffusées en prime-time, précise Sophie Lebarbier, un horaire auquel certaines choses ne sont pas possibles, il y a donc eu un peu d’autocensure de ce côté-là. Nous nous sommes vraiment senties à l’aise à partir de la troisième saison, dans la narration et le ton. Il nous a fallu ce temps pour nous trouver. ».

Carole Desbarats remarque qu’il semble qu’une fois que le diffuseur a choisi les équipes d’auteurs et producteurs, la chaîne laisse beaucoup de liberté : « C’est donc un choix en amont. » « C’est exactement ça, acquiesce Gaspard de Chavagnac. Une fois qu’on a trouvé le concept, le ton et l’actrice principale, il n’y a aucune méfiance. »

 

Les séries anglo-saxonnes

« Avez-vous des exemples de personnages féminins de séries étrangères qui ne pourraient pas exister en France ? » demande Anne Tudoret du CNC.

Fanny Robert cite aussitôt How to get away with murder, série créée par Shonda Rhimes dont les personnages et le casting sont vraiment risqués. « L’héroïne a 40 ans, elle est noire, boiteuse, agressive, machiavélique et pas très jolie. Elle n’est pas sympathique mais c’est une avocate tellement intelligente qu’elle attire l’admiration. La série est chorale et l’héroïne géniale, mais je ne crois vraiment pas qu’on pourrait faire la même chose en France. » Elsa Marpeau rebondit sur le sujet : « La ligne de démarcation se situe vraiment là : il est difficile de faire passer un personnage principal de femme qui n’inspire pas soit la sympathie, soit l’empathie. C’est un impératif qui revient souvent. » Sophie Lebarbier tempère en précisant que la demande des diffuseurs est la même pour les personnages d’hommes : « Les héros antipathiques sont rares : et si c’est le cas il faut que cela soit justifié, par une épreuve énorme dans leur vie. »
Lorsqu’un participant dans le public cite à nouveau Orange is the new black, série américaine qui se passe en prison, où il n’y a quasiment que des femmes et beaucoup de femmes de couleur,  Elsa Marpeau répond que de nombreux projets sur les prisons de femmes se développent en France : « Mais cela fait vingt ans et pour l’instant aucun n’a vu le jour. »  « Nous nous posons depuis longtemps la question de créer une héroïne noire, ajoute Gaspard de Chavagnac. On cherche comment la vendre à une chaîne, comment convaincre les responsables de programmes, c’est quasiment une question de marketing. Mais j’ai le sentiment qu’en ce moment tout est possible : tout le monde est dans le doute et l’expectative. »

Un autre participant dans la salle cite également Happy Valley. « On rêve de créer des personnages comme dans cette série Happy Valley, qui mélange humour et gravité, approuve Fanny Robert. Mais parfois la censure ne vient pas que des chaînes : ainsi notre signature de scénaristes pour Profilage, c’est justement le mélange de tons. Mais à chaque épisode, nous ne retrouvons pas la scène de comédie que nous avions écrite. Les réalisateurs ont peur des scènes de comédie, ils ont peur de casser le rythme et ils coupent. C’est pour nous un combat quotidien. »

« Il semble qu’il soit encore difficile de mélanger humour et gravité en France, résume Carole Desbarats. Et encore plus quand le héros est une femme. C’est une sorte de double peine… Or il y a, notamment aux Etats-Unis, des stand up girls qui ont beaucoup d’humour. Ça peut débloquer des choses du côté de la fiction en France aussi. » « Une série qui a du succès outre-Atlantique rassure le marché français, remarque Sophie Lebarbier. Peut-être faut-il en passer par l’adaptation de certains formats, anglais par exemple, qui sont moins premier degré que ce que l’on produit en France ? Ce n’est pas seulement la responsabilité des diffuseurs, mais aussi des réalisateurs, des spectateurs, des comédiennes… C’est une représentation collective de la femme. » « Le mélange des genres est typiquement anglo-saxon, souligne Stéphan Guérin-Tillié, les frères Cohen le font très bien par exemple. En France peu de réalisateurs en sont capables, à part Pierre Salvadori qui en est un bon exemple. Sans doute parce que nous, Français, passons beaucoup par le verbe, le dialogue; et moins par le comique de situations. »

Carole Desbarats souligne qu’à partir du début des années 2000, les séries américaines ont évolué sous l’influence des Américains, plus précisément HBO et les chaînes sans publicité. « Les spectateurs ont appris à apprécier l’humour des anglo-saxons, leur utilisation de détails concrets et prosaïques, que ce soit dans la vie des personnages, leur travail ou leurs relations sociales. Nous avons été éduqués par The Wire et Les Sopranos, et forcément, maintenant nous attendons autre chose en France. »

« Mais les diffuseurs français nous répondent qu’ils n’ont pas vocation à couvrir 4% de la population, répond Elsa Marpeau, ce qui est le cas de HBO aux Etats-Unis. En France, à part Arte et Canal+, les chaînes ne peuvent pas se permettre d’atteindre un public de niche. Girls, créée par Lena Dunham, est l’exemple même d’une série qui change l’image des femmes et du corps des femmes : mais ce genre de série n’est pas possible en France sur une chaîne hertzienne grand public. »

 

La transformation des spectateurs

« Les diffuseurs français se rendent-ils compte qu’ils perdent le public jeune ? » demande une personne dans la salle. « Bien sûr, lui répond Fanny Robert. Ils s’en rendent très bien compte, c’est même la panique ! C’est toute une économie qui est en train de se transformer. Dans quelques années il n’y aura peut-être plus de télévision telle que nous la connaissons. Voici dix ans le replay n’existait pas, aujourd’hui Profilage est vu par 700 000 personnes en moyenne en replay. Nous n’avons plus peur du chiffre de l’audience du lendemain de la diffusion puisque le mode de consommation de la série a complètement changé. Mais il faut prendre en compte le fait que la fiction française fait perdre de l’argent aux chaînes. Pour la vendre aux annonceurs, il faut assurer un public large, et donc ne pas être "segmentant" comme on dit.  Après, tout dépend ce qu’on met derrière ce terme. » Sophie Lebarbier souligne que certains diffuseurs prennent des risques : « Au départ Profilage était une série bouclée. Marie Guillaumond, qui à l’époque était conseillère artistique à TF1, a pris un énorme risque en choisissant de passer la série au "feuilletonnant" : c’était interdit par la programmation de la chaîne ! Mais ça a payé en audience. Et depuis elle est devenue directrice de la fiction. Je dirai que la télévision est dans la situation du milieu du disque des années 90 et ses dirigeants en sont parfaitement conscients. »

Une nouvelle question dans le public concerne la nature de l’audience de chacune des séries. « Profilage a un public féminin, la série est davantage regardée par des spectatrices » confirme Fanny Robert, quand Gaspard de Chavagnac explique que « le public de Marleau est aussi féminin, assez âgé, comme le public de France 3. Mais la série a aussi attiré des jeunes, ce qui nous a tous surpris. » « Pour faire venir les jeunes devant un écran de télévision, il faut proposer des personnages un peu différents, souligne Carole Desbarats. Avec d’autres représentations de l’âge, de la beauté, de la couleur… »

 

Proposer d’autres sujets aux diffuseurs

Carole Desbarats demande ce que l’on peut proposer en France pour changer cet état de fait.  L’acteur et scénariste Stéphan Guérin-Tillié estime que les choses changent déjà : « Nous venons de parler longuement de Profilage, de Capitaine Marleau : nous ne sommes pas dans un paysage médiatique sans héroïne féminine. Innocente, mini-série policière diffusée en ce moment sur France 3, a une véritable héroïne féminine. C’est un exemple de projet qui peut changer les choses. Il y a dix ans les diffuseurs étaient frileux mais grâce aux séries américaines, je remarque que les clichés sont en train d’exploser, les sujets changent. La catégorie de la "ménagère de moins de 50 ans" ne veut plus rien dire : aujourd’hui c’est le moment de proposer des sujets décalés et atypiques… On va se heurter à des résistances, mais j’ai malgré tout la sensation d’une brèche qui se crée dans les chaînes. Quand une web-série cartonne, il y a toujours un diffuseur pour aller la chercher ! La place de la femme n’est pas difficile qu’à la télévision, elle l’est aussi dans la société. La télévision n’est qu’une fenêtre, c’est la société qui va changer la télévision. »

Une scénariste dans la salle demande à qui proposer une histoire et des personnages qui sortent des sentiers battus ? Elsa Marpeau lui répond que le web, la chaîne OCS, mais aussi Netflix et Amazon, sont certainement des débouchés possibles. « Il faut continuer à proposer des choses qui changent des stéréotypes de genre, continue la scénariste. Les producteurs nous demandent d’écrire selon notre sensibilité quand on est une femme, de travailler la structure quand on est homme. Mais on peut faire l’inverse, proposer l’inverse ! Mais ça avance : il y a cinq ans, avec mon coscénariste, nous avons proposé aux chaînes une histoire d’amour entre deux femmes qui a été refusée, à moins de transformer un des personnage en homme (rires). Mais il y a deux ans, elle a été acceptée : ça sera Mystère à la Tour Eiffel, réalisée par Léa Fazer, avec deux héroïnes, une noire et une blanche, diffusée sur France 2 dans deux mois. Et ça ne pose plus aucun problème. » « Si nous, scénaristes, ne proposons rien de nouveau, ce ne sont pas les diffuseurs qui le feront, ajoute Sophie Lebarbier. C’est à chacun d’entre nous de faire que ça change en proposant des personnages féminins différents. » « Pourtant, ce que l’on aime dans les personnages, c’est la vérité humaine qu’il y a derrière. C’est leur sincérité, conclut Gaspard de Chavagnac. Je suis convaincu que plus ils sont proches de nous, avec leurs doutes et leurs défauts, mieux ça marche en fiction. »

« J’entends qu’il y a une brèche dans laquelle s’engouffrer, conclut Carole Desbarats. J’ai l’impression qu’une des choses les plus importantes dans l’évolution des séries, c’est l’apparition de la normalité : les personnages peuvent devenir complexes, pas caricaturaux, mélangeant qualités et défauts. Comme dans la vie. Ce n’est pas gagné, il y a encore beaucoup de travail. Mais prendre conscience du problème et en faire prendre conscience est déjà une première étape constructive. Vous en êtes l’exemple. Cependant, avant de clôturer cette rencontre, je laisse la responsable du fonds d’aide à l’innovation audiovisuelle du CNC vous le présenter ».

Gabrielle Adjerad rappelle que le FAI, créé en 2005, est l’un des fonds les plus récents du CNC, à la direction de l’audiovisuel. « Destiné aux auteurs et producteurs, il représente 3,5 M€ pour la fiction et l’animation. Il existe aussi en parallèle un budget pour les œuvres documentaires. Le CNC intervient en phase de création en amont de la production et pour le développement des projets. Notre but est d’accompagner le renouvellement des modèles sériels, d’aller vers de nouveaux formats et modèles, de soutenir l’émergence de talents. Comme son nom l’indique, ce fonds encourage l'innovation, la créativité, l’originalité et la prise de risque, comme les séries Tripalium (Arte) ou Irresponsable (OCS). L'innovation technique relève quant à elle plutôt du Fonds d'aide aux nouvelles technologies, et les formats délinéarisés sont orientés vers le Fonds de soutien aux nouveaux médias. La commission actuelle, co-présidée par le réalisateur Fabrice Gobert et la productrice Iris Bucher, comprend des membres très diversifiés : des scénaristes, des producteurs, des représentants des diffuseurs comme Pauline Morineau (chargée de programmes de fiction à Canal+) ou Carole Le Berre (de France 2). Nous demandons un dossier de 15 pages, clair et lisibilité, comprenant un premier synopsis. Les critères de jugement sont la force des personnages et leur mise en situation dans ce synopsis. Le choix du format est également important : il ne faut pas hésiter à choisir autre chose que du 52 minutes. Les 26 minutes et les formats courts sont tout à fait bienvenus. La prise de risque industrielle n’est pas un problème, un projet ambitieux n’est pas rédhibitoire, il suffit de l’identifier dans la note d’intention. Nous cherchons aussi à favoriser des genres différents, comme des projets d’anticipation, des comédies ou "dramédies". L’aide destinée aux auteurs pour solidifier la première phase de conception de leur projet peut prendre la forme d’une aide au concept (de 7 500 €) s’il y a des détails structurels à revoir, ou d’une aide à l’écriture de pilote (de 15 à 30 000 €) pour cinq mois de travail. Concernant les critères d’éligibilité, il faut au moins un diplôme d’école de cinéma ou d’art, avoir publié un roman, ou avoir écrit pour la télévision une fiction déjà diffusée. Si votre projet est plus abouti, il existe une aide à l'écriture avec un accompagnateur au scénario. Si votre projet est optionné par un producteur, il existe une aide au développement pour réaliser un teaser, commencer un casting, financer des repérages etc… Nous recevons de plus en plus de demandes, il y a donc une présélection par des comités de lecture composés d’un scénariste, un directeur littéraire et un réalisateur. Les dossiers sont anonymes, nous recevons en moyenne 200 projets à chaque session. Il faut l’accord de deux membres pour que le projet soit ensuite examiné par les membres de la commission plénière. Le taux de sélectivité pour 2015 était de 12% des projets reçus. Nous faisons des retours par téléphone aux personnes refusées à la première étape et une synthèse écrite pour ceux refusés en plénière. Le prochain dépôt est prévu début 2017 pour une commission qui aura lieu deux mois après. » La Rencontre se clôture après cette présentation et des applaudissements pour le courageux projectionniste et tous les participants.

 

Mini biographies


Carole Desbarats a enseigné le cinéma à l’université de Toulouse II, puis a dirigé les études à La Fémis, de 1996 à 2009. Elle a été ensuite Directrice de la communication et de la diffusion des savoirs à l’École Normale Supérieure. Elle anime également le groupe de réflexion des "Enfants de cinéma", l’association chargée de la coordination nationale du dispositif "École et cinéma". Elle est l’auteur de plusieurs essais sur Éric Rohmer, Jean-Luc Godard, Atom Egoyan et collabore au comité de rédaction de la revue Esprit. Bibliographie : Conte d'été, Éric Rohmer, Atom Egoyan, L'Effet Godard, The West Wing, au cœur du pouvoir, Coordination du dossier Puissance des images (Esprit, juin 2016).

Elsa Marpeau est une romancière et scénariste française. Ancienne élève de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm à Paris, elle est agrégée de lettres modernes et titulaire d'une thèse sur le théâtre du XVIIe siècle. Elle a vécu à Singapour, d'où elle a tiré son récit en forme d'autobiographie fictive L'Expatriée (2013, Prix Plume de Cristal). Depuis elle a publié Et ils oublieront la colère en 2015, roman noir autour du thème des femmes tondues lors de la Seconde Guerre Mondiale. En tant que scénariste, elle a co-créé la collection des Mystères pour France 2, co-adapté Le Secret d'Elise pour TF1 et crée la série Capitaine Marleau pour France 3. Elle a également écrit l'adaptation d'une série policière de 6 x 52 minutes, dont le tournage vient de s'achever.

Sophie Lebarbier est titulaire d’une licence d’histoire et du diplôme de Sciences Po. En 1999, elle intègre le cabinet de conseil audiovisuel IMCA. Pendant cinq ans, elle accompagne différents producteurs de flux et de fiction dans leurs problématiques de développement, en s’intéressant en particulier au genre du feuilleton quotidien. En 2005 elle rejoint Beaubourg Audiovisuel en qualité de directrice littéraire. L’année suivante, avec Fanny Robert, elle se lance dans l’écriture et crée la série Profilage. Depuis lors, elles assument ensemble l’écriture et la production artistique de la série qui s’apprête à diffuser sa septième saison.


 


Fanny Robert, titulaire du Master 2 Audiovisuel de la Sorbonne et diplômée de l’université de Canterbury, pige pour différentes publications avant de rejoindre IMCA en 2005 en tant que consultante spécialisée dans les contenus audiovisuels. Elle rejoint Beaubourg Audiovisuel en 2006. Cette même année elle crée Profilage avec Sophie Lebarbier. Ensemble elles partagent l’écriture et la production artistique de la série.

 



Gaspard de Chavagnac a été successivement directeur de Hamster Productions (1985-91), directeur de la fiction à France 2 (1991-92), et Pdg de Millésime Productions (1993-99). En 1997, Millésime rejoint le groupe Dargaud. Gaspard de Chavagnac est nommé conseiller audiovisuel auprès de la holding Media Participations et Dg de l’entité Dargaud-Marina (1999-2004). Depuis 2004, il dirige Bel Ombre Films et Gaspard and Co. En 2011 il devient également Président de Passionfilms, société qui produit tous les films de Josée Dayan.

Stéphan Guérin-Tillié. A la suite de sa rencontre avec le metteur en scène Pierre Romans, il entre en Classe libre au cours Florent et travaille avec Raymond Acquaviva et Isabelle Nanty. Il fait ses premiers pas au théâtre sous la direction de Françoise Petit et Thierry de Peretti. Les rôles à la télévision et au cinéma vont ensuite se succéder. Découvert par le grand public en 1997 grâce aux Quatre garçons plein d’avenir de Jean-Paul Lilienfeld, c’est la diffusion du téléfilm Juste une question d’amour en 2000 qui va le faire connaître. Ce téléfilm qui relate l’histoire d’amour entre deux jeunes hommes touche par sa justesse et émeut un large public lors de sa diffusion. Après avoir réalisé plusieurs courts-métrages, il passe à nouveau derrière la caméra pour mettre en scène Edy, son premier long métrage dont le rôle-titre est interprété par François Berléand. Film noir à l’humour caustique, ce film est aussi le dernier de Philippe Noiret. Depuis, on a pu le voir de nombreuses fois sur le petit écran dans Marie Octobre aux côtés de Nathalie Baye, La liste avec Eric Cantona ou Le secret d’Elise mais aussi au cinéma dans Tête de turc de Pascal Elbé, Le fils de l’épicier d’Eric Guirado… Parallèlement à sa carrière d’acteur, il signe aussi plusieurs mises en scènes aux théâtres Hébertot et Marigny. Scénariste, il travaille à la fois pour le cinéma et la télévision.