Coup de projecteur sur « Schirkoa, la Cité des Fables », film d’animation franco-indien

Coup de projecteur sur « Schirkoa, la Cité des Fables », film d’animation franco-indien

08 janvier 2025
Cinéma
Schirkoa-V2
« Schirkoa, la Cité des Fables », film d’animation franco-indien Dissidenz Films

Ce premier long métrage de l’Indien Ishan Shukla, réalisé avec des techniques hybrides d’animation et les voix de Golshifteh Farahani, Asia Argento, Gaspar Noé, SoKo ou encore Lav Diaz, a été produit côté français par la société Dissidenz Films. Sa productrice, Bich-Quân Tran, en raconte les coulisses. 


Vous avez créé la société de distribution Dissidenz Films en 2012. Quelle en était la ligne directrice ?

Bich-Quân Tran : Auparavant, j’avais créé et dirigé pendant dix ans la société d’édition vidéo Blaq Out. Société qui, progressivement, avait élargi son champ d’action en distribuant des films en salles. En 2012, j’ai voulu poursuivre dans cette voie. J'ai donc créé Dissidenz Films et laissé Blaq Out se recentrer sur l'édition vidéo. L’idée était de distribuer des films documentaires toutes nationalités confondues et des films asiatiques tous genres confondus. Parmi eux : Dior et moi de Frédéric Tcheng ; 25 novembre 1970, le jour où Mishima choisit son destin de Koji Wakamatsu ; Death in the Land of Encantos de Lav Diaz…

Nous voulions transcender le genre d’origine, l’animation, pour en faire un objet filmique inédit.

Pourquoi concentrer votre regard sur le continent asiatique en particulier ?

J’ai commencé chez Warner Home Vidéo où l'essentiel du catalogue était américain. Chez Blaq Out, j'ai beaucoup travaillé sur du cinéma français et européen. Avec Dissidenz Films, disons qu'en me consacrant au cinéma asiatique, j'ai opéré un retour aux sources ! Peu à peu, la société s’est diversifiée en développant ses activités de production. Tout a commencé avec le moyen métrage de Lav Diaz, Prologue to the Great Desaparecido (2013), prémisse de son long métrage A Lullaby to the Sorrowful Mystery, sur lequel j’étais productrice associée et qui a remporté l’Ours d’argent à la Berlinale en 2016.

À quand remonte votre rencontre avec Ishan Shukla, réalisateur indien du film d’animation Schirkoa, la Cité des Fables ?

À 2019, au Film Bazaar de Goa, le plus grand marché de coproduction d'Asie du Sud organisé par le National Film Development Corporation (NFDC), équivalent indien du CNC. Schirkoa, la Cité des Fables (dont le titre original est Schirkoa: In Lies We Trust) était l’un des projets sélectionnés. Le concept de l'histoire et l'univers d'Ishan Shukla, son réalisateur et créateur, ont immédiatement attiré mon attention. J'ai donc rencontré ce dernier, qui m'a pitché le projet, puis j'ai regardé son court métrage déjà baptisé Schirkoa (2016) – qui a inspiré ce long – pour lequel j'ai eu un coup de coeur. Lui et moi nous sommes rapidement découverts des affinités cinématographiques et avons décidé de travailler ensemble. J'ai très vite contacté Stephan Holl, distributeur et producteur allemand – Rapid Eye Movies – pour qu'il se joigne à l'aventure en tant que coproducteur. Je connaissais Stephan depuis longtemps, étant moi-même initialement distributrice et partageant avec lui le même attrait pour le cinéma asiatique. L'existence du traité bilatéral de coproduction entre l’Inde et la France de 2010 nous a permis de solliciter des financements complémentaires (Sofica) et plus tard d'obtenir l'agrément. Bien que peu familière du cinéma d’animation, je me suis lancée dans cette aventure, conquise par l’univers foisonnant, haut en couleurs, à la fois politique, poétique et philosophique du réalisateur, ainsi que par son esthétique bluffante, à mi-chemin entre le cinéma et un style d'animation très personnel. 

 

Après ce rendez-vous, vous décidez presque immédiatement de devenir productrice déléguée du film. Quels étaient les termes de votre engagement ?

Ishan n’avait jusque-là trouvé aucun producteur en Inde pour le suivre dans son aventure. Je lui ai donc suggéré de créer sa propre société de production. Ainsi il devenait le producteur délégué pour l’Inde et moi pour la France. J’ai vraiment agi sur un coup de cœur de façon presque naïve car je n’avais aucune expérience dans l’animation. De toute façon, je n'envisage jamais les films en fonction de leur genre. Ce que proposait Ishan, en mêlant différentes techniques d’animation – la 2D et l'effet peint à la main d'une part ; la 3D via la MoCap et le recours au temps réel grâce au moteur de jeu vidéo d'autre part – et son travail sur la profondeur de champ, les éclairages, apportait quelque chose de très cinématographique. C’est d’ailleurs pour cela que je lui ai suggéré d’utiliser des voix de personnalités du monde du cinéma issues d’horizons, de pays, de cultures et de disciplines différentes : Golshifteh Farahani, Asia Argento, Gaspar Noé, SoKo, Lav Diaz, Anurag Kashyap… Par ailleurs, toutes ces personnalités sont, par leur histoire personnelle, très engagées politiquement d'une façon ou d'une autre, à l'image de la réflexion proposée par le film et de ses thèmes universels sur la diversité, le pouvoir et l'acceptation de soi. Schirkoa : la Cité des Fables fait en effet écho aux turbulences contemporaines tout en étant un film qui se veut divertissant, jouant avec l’humour et l’imagination, y compris dans les situations les plus dramatiques. Au final, avec Schirkoa : la Cité des Fables, nous voulions transcender le genre d’origine, l’animation, pour en faire un objet filmique inédit. Le film a d’ailleurs été produit avec des financements autres que ceux habituellement dévolus à l’animation... En s’affranchissant des codes de l’animation traditionnelle, Schirkoa : la Cité des Fables revendique ainsi son caractère à la fois unique, hybride, foutraque et déroutant ! Pour preuve, il a été présenté début 2024 au Festival du Film de Rotterdam, où il a remporté un prix, puis a parcouru aussi bien les festivals généralistes prestigieux (Göteborg, Taipei, Munich, Edinburgh, Kerala etc.) que les festivals de films de genre populaires (BIFFF, NIFFF, BIFAN, Sitges, L’Etrange Festival etc.)… mais, paradoxalement, pas les festivals de films d’animation ! C’est que le film s'adresse pour moi, à un public éclectique et décloisonné, au-delà du public traditionnel de l’animation.

Comment avez-vous réussi à rendre le film possible ?

La principale difficulté rencontrée dans cette aventure a été le fait que le film soit rangé dans la catégorie "animation adulte", ce qui représente un risque commercial que beaucoup ne veulent pas prendre. Nous avons eu la chance de bénéficier de l’Aide aux cinémas du monde qui a véritablement tout impulsé. Ce label de qualité reconnu internationalement a permis de faire valoir la solidité de notre projet auprès d'investisseurs privés. Au final, outre la participation de Stephan Holl en tant que coproducteur, nous avons pu compter également sur l'accompagnement du vendeur international polonais, New Europe Film Sales, qui s’était déjà occupé du court métrage d’Ishan. Une aide complémentaire est venue de la Région Nouvelle Aquitaine – toute la motion capture du film a été, en effet, tournée à Angoulême – à laquelle il faut ajouter celle précieuse de la SOFICA Cofinova dirigée par Alexis Dantec qui est quelqu'un de très cinéphile, passionné de bande dessinée, de science-fiction et de cinéma asiatique… Côté indien, Epic Games, l'éditeur américain du logiciel Unreal Engine, le moteur de jeu vidéo dans lequel le film a été entièrement réalisé, nous a attribué la prestigieuse bourse Epic MegaGrant. Enfin, une société de médias indienne, Civic Studios, implantée en Angleterre, est venue compléter le financement du film.

Nous avons eu la chance de bénéficier de l’Aide aux cinémas du monde qui a véritablement tout impulsé. Ce label de qualité reconnu internationalement a permis de faire valoir la solidité de notre projet auprès d’investisseurs privés.

Comment caractériseriez-vous l'aventure de cette production ? 

Hors-norme, un peu à l’image du film ! Il faut le voir plusieurs fois pour en saisir toute la portée dramatique. Il y a différents niveaux de lecture. Schirkoa, la Cité des Fables a été tourné avec une équipe très réduite mais très soudée, en mode guérilla avec une économie très restreinte. Chacun a dû parfois exécuter plusieurs tâches. Je me suis ainsi retrouvée à assister le réalisateur sur le plateau durant l'intégralité du tournage MoCap, à superviser le mixage son à Marseille alors qu’Ishan était en Inde ou encore à négocier avec les investisseurs indiens... Plus globalement, ne venant pas du monde de l’animation, j’ai essentiellement procédé de manière empirique… La pandémie de Covid-19 a eu au moins une vertu, celle de l’entraide. J’ai ainsi réussi à entrer peut-être plus facilement en contact avec de nombreux professionnels disponibles qui m’ont guidée dans certains choix. Il a fallu croire au projet jusqu’au bout et ce malgré son caractère singulier et mon statut d'outsider.

schirkoa, la citÉ des fables

Affiche du film Dissidenz Films
Écrit et réalisé par Ishan Shukla

Production déléguée: Bich-Quân Tran - Dissidenz Films (France) et Ishan Shukla - Red Cigarette Media (Inde)

Distribution : Dissidenz Films

Ventes internationales : New Europe Film Sales

Sortie en salles le 1er janvier 2025

Soutien du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation