Dans les coulisses de l’atelier de restauration du musée Miniature et Cinéma

Dans les coulisses de l’atelier de restauration du musée Miniature et Cinéma

16 septembre 2022
Cinéma
Julien Dumont et le Tricératops de Jurassic Park.
Julien Dumont et le Tricératops de Jurassic Park. Musée Miniature et Cinéma

Rencontre avec Julien Dumont, nouveau propriétaire du musée lyonnais, qui souhaite développer l’aspect patrimonial du lieu.


« Dan partait à la retraite, il cherchait un repreneur et voulait surtout que le musée reste à Lyon. Il aurait été dommage de voir la collection partir à Paris ou à Los Angeles », explique Julien Dumont, spécialiste des effets spéciaux, producteur et réalisateur, et nouveau patron depuis décembre dernier du musée Miniature et Cinéma, fondé en 2005 par l’artiste miniaturiste Dan Ohlmann. Lieu unique au monde, dédié à l’exposition d’objets de tournage, le musée participe également à la préservation du patrimoine cinématographique international à travers son atelier de restauration. À la veille des Journées du patrimoine (le musée sera accessible le samedi 17 septembre à un tarif unique de 9 euros), Julien Dumont nous détaille le fonctionnement de cette « clinique du cinéma », et ses objectifs ambitieux pour cette institution lyonnaise. 

Combien d’objets se trouvent en permanence dans l’atelier de restauration du musée ?

Difficile à dire, car c’est un roulement permanent. Certaines pièces demandent plus de temps de restauration que d’autres : par exemple, nous allons recevoir le vaisseau du film Event Horizon de Paul W.S Anderson, qui mesure dix mètres de long ! Il y aura beaucoup de travail. Par ailleurs, nous nous occupons également de mises en décor : nous avons des wagons miniatures issus d’Indiana Jones et le temple maudit, que l’on va mettre en scène avec un diorama et un fac-similé de la caméra de l’époque... On n’arrête jamais.

 

Les restaurateurs travailllent avec des matériaux très particuliers Musée Miniature et Cinéma


Les objets qui sont déjà exposés ont également besoin d’être régulièrement restaurés.

Oui, en permanence. Les pièces de cinéma n’ont jamais vocation à durer dans le temps. Si elles survivent au tournage, c’est déjà bien ! Donc nous sommes obligés de développer des techniques de restauration qui n’existent nulle part ailleurs. Un restaurateur d’art traditionnel ne pourrait jamais travailler ici, les techniques sont tellement différentes et particulières... 

C’est un savoir-faire unique ?

On peut dire ça. Officiellement, nous sommes trois personnes dans le monde à restaurer des objets de cinéma, dont deux qui ne le font que pour des collectionneurs privés. De toute façon, des musées du cinéma avec des objets de tournage, il en existe très peu, et il se trouve que nous avons une des plus grosses collections au monde. Un lieu éclectique comme le nôtre, qui expose à la fois la canne de Charlie Chaplin, le tricératops de Jurassic Park ou le parapluie de Mary Poppins, c’est vraiment unique.

Combien de personnes travaillent dans l’atelier ?

Entre trois et quatre. Cela varie en fonction des besoins. Nous pouvons monter à dix personnes comme redescendre à deux.

Où allez-vous chercher les restaurateurs ?

Souvent dans le domaine des effets spéciaux, car ils connaissent les matériaux et les techniques très particulières que l’on n’utilise que dans le cinéma. Ils peuvent venir du monde entier, et parfois cela peut être très ponctuel : quand nous restaurons une prothèse par exemple, je sais précisément à qui m’adresser. Mais globalement, ce sont des personnes formées à repérer les usures, à protéger les objets du passage du temps... Sinon, nous formons les gens sur place, au sein du musée. 

Quels objets sont les plus compliqués à restaurer ?

Tout dépend des matériaux. La mousse de latex ou le silicone développés pour le cinéma vieillissent très mal. Il faut les stabiliser, ou alors les scanner en 3D pour en faire un fac-similé et compléter la pièce manquante. Il y a énormément de techniques. La pièce la plus difficile à restaurer que nous ayons eue est la reine extra-terrestre d’Aliens, le retour, sur laquelle j’ai travaillé bénévolement avec Dan à l’époque, sans savoir que je reprendrai plus tard le musée. À la fin du tournage, tous les moteurs avaient été récupérés. Il ne restait que la peau qui était en stockage dans un coin d’atelier, dans un sale état. On a donc stabilisé la peau, repeint tous les morceaux qui manquaient, remis en état le mécanisme...

À l’aveugle ? Car on imagine qu’il n’y a pas de mode d’emploi...

Exactement. Ce qui m’amène à vous parler de l’immense travail non visible du musée : nous sommes en train de monter l’une des plus grosses bases de données au monde de référencement des objets de cinéma. Un classement par technicien, par studio... Avec photos de tournage à l’appui, interview des techniciens encore vivants... Nous réunissons toutes ces infos, et grâce à cela nous parvenons à reproduire l’objet ou à le restaurer. On peut même parfois le renommer : il arrive qu’un vendeur se trompe sur la scène où a été utilisé l’objet, et on ne peut le savoir qu’en faisant de longues recherches. Dernièrement, un de mes conservateurs a passé trois semaines sur le screen matchage – qui permet de s’assurer à quel moment précis l’objet est utilisé dans le film – de l’hoverboard de Retour vers le futur. Nous savions qu’il s’agissait de l’un de ceux utilisés dans la trilogie, mais dans quelle scène ? Nous avons donc pris le temps de le photographier avec les mêmes focales et éclairages que dans le film. Ensuite, il a fallu comparer ces photos aux captures d’écran en 4K du film, puis compléter avec les informations des techniciens de l’époque. Nous avons fini par déterminer que cet hoverboard est celui de la scène finale de Retour vers le futur 3, quand Marty le donne à Doc avant que le train ne tombe dans le ravin. Et ça, c’est jouissif ! Il y a un côté « enquêteur » dans notre métier. Il faut recroiser toutes les informations afin d’être sûr de ce qu’on expose.

Les pingouins et les dinosaures reçoivent la même attention de la part des restaurateurs  Musée Miniature et Cinéma

À quoi est destinée la base de données dont vous parliez ?

À préserver le patrimoine. Nous nous devons de proposer aux institutions et à la recherche des informations extrêmement détaillées. Par ailleurs, nous allons rentrer dans une politique de scan 3D de tous nos objets pour avoir une référence numérique de l’intégralité de la collection. Ce qui, vous l’imaginez, prend beaucoup de temps et nécessite un certain budget. C’est tout le travail qu’on aura en 2023. Quand Dan a créé le musée, il y avait un côté un peu plus « forain ». Je ramène un aspect patrimonial, sous l’angle de la recherche et de la muséographie. La Cinémathèque de Paris nous a ainsi demandé des pièces qu’on leur prête volontiers, et on reçoit aussi des messages du musée des Oscars de Los Angeles.

L’atelier en lui-même va-t-il beaucoup évoluer ?

Oui, car nous sommes en train d’en mettre un tout nouveau en place, et qui devrait être fonctionnel cette année. Il bénéficiera des dernières technologies, pratiquement un bloc opératoire ! C’est l’un des rares domaines au monde où il faut être multi-équipé. C’est-à-dire qu’on doit être capable de faire de la peinture de carrosserie, tout autant que de la robotique, de l’impression 3D, de la menuiserie, de la sculpture, du moulage... Tout ça demande à chaque fois des zones dédiées avec des protections spécifiques. Ce futur atelier ne sera pas dans le musée – par manque de place. Nous avons trois hangars sur Lyon à rapatrier pour tout réunir au même endroit. Il se trouve que nous voulons également faire du scan de films 35, 16 et 8mm, pour les archives. Je récupère beaucoup de rushes originaux non montés, comme ceux de Robocop – qui ont servi aux bonus Blu-ray du film – ou de Beetlejuice. Nous voulons aussi être les garants de certaines techniques d’effets spéciaux ou de séquences jamais vues, car tout cela peut disparaître si l’on ne s’en occupe pas. 

Et si vous ne le faites pas, personne ne le fera.

Exactement. Même aux États-Unis d’ailleurs, j’ai l’impression que ça ne les intéresse pas. Nous avons également l’ambition de dédier une partie du musée au stop-motion et à l’animation, et une autre aux musiques de films, avec notamment des partitions originales exposées. Il y aura aussi des master class avec des compositeurs...

Le lieu va vraiment s’élargir, on est à la croisée des chemins entre le parc d’attractions, le cabinet de curiosités et le musée patrimonial. (Rires.)