Des films de Cannes Classics brillent au festival Lumière

Des films de Cannes Classics brillent au festival Lumière

14 octobre 2020
Cinéma
In the Mood for Love de Wong Kar-wai
In the Mood for Love de Wong Kar-wai Block 2 Pictures - Jet Tone Production - Orly Films - Paradis Films
Une sélection de films de patrimoine ayant le label « Cannes Classics » est présentée lors de cette nouvelle édition du Festival Lumière, à Lyon. Parmi eux, des curiosités françaises nées dans le sillage de la Nouvelle Vague. Lumière sera aussi l’occasion de fêter les soixante ans d’A bout de souffle et les vingt ans d’In the Mood for Love.

L’Amérique insolite de François Reichenbach (1959)

« Qu’ai-je voulu faire en filmant l’Amérique ? expliquait en 1990 François Reichenbach dans un entretien aux Cahiers du Cinéma. Je me suis lancé dans l’aventure sans y penser, et puis le cadre du Scope a commencé à me séduire. J’ai vu à travers cet objectif les images que j’ai aimées et puisqu’aimer c’est se surpasser, j’ai donné le meilleur de moi-même... » L’Amérique insolite est le résultat d’un voyage d’Ouest en Est - de San Francisco à New York – en 1958. Pendant un an, le réalisateur a essayé de capter avec sa caméra - et en CinemaScope -, la spécificité d’un pays à travers des évènements ou des lieux singuliers. Il y a par exemple cette école de strip-tease pour femmes célibataires, cette prison où les détenus font du rodéo ou encore cette « foire » aux jumeaux... Avec beaucoup d’humour, François Reichenbach pointe ici les excentricités d’un pays où la consommation est alors érigée en idéal. Cet humour tient à la fois à une voix-off volontiers ironique, à une musique enjouée qui télescope les genres (signée Michel Legrand) et à un montage qui juxtapose des comportements pour en révéler leurs excès. Ainsi la préparation de ce dessert gigantesque destiné à un enfant dont on se demande s’il pourra l’engloutir tout entier et ces pâtes à pizza qui virevoltent dans les airs et « dansent leur ballet de la séduction ». L’Amérique Insolite est le premier long métrage de François Reichenbach, jusqu’ici connu pour ses portraits très libres de personnalités de la chanson. Il obtiendra le Prix Louis-Delluc et le Léopard d’Or au Festival de Locarno pour son film Un cœur gros comme ça en 1961 ou encore un Oscar en 1970 pour son documentaire L’Amour de la vie – Arthur Rubinstein.

 

A bout de souffle de Jean-Luc Godard (1960)

Plus qu’un film, un totem. Par sa liberté de ton, l’énergie de sa réalisation et les thèmes qu’il aborde, A bout de souffle a été une déflagration dans le paysage cinématographique. A l’international bien sûr (les futurs cinéastes américains du Nouvel Hollywood s’en souviendront lorsqu’ils passeront à leur tour derrière la caméra) mais surtout en France où sa nature même remettait en cause un système dont les règles volaient soudain en éclats. Jean-Luc Godard, ancien critique aux Cahiers du Cinéma, n’avait pas « la carte » au sein d’une « industrie » où il fallait d’abord faire ses preuves pour prétendre s’exprimer. A bout de souffle est donc une sorte de cri lancé à la face d’une profession que de nombreux jeunes apprentis cinéastes (Truffaut, Rohmer, Rivette, Chabrol...) jugent alors engoncée dans ses « vieux » principes (tournage en studio, adaptations littéraires, star-system...). A bout de souffle raconte l’itinéraire sauvage et violent d’un petit truand cynique (Jean-Paul Belmondo) qui tombe amoureux d’une vendeuse de journaux sur les Champs-Elysées (Jean Seberg). Ici les faux-raccords, le montage haché, le noir et blanc granuleux, sont érigés au rang des Beaux-Arts. Ce côté frondeur délivre une poésie de l’existence qui tient autant au réel qu’à une mythologie cinématographique. Le film fête cette année son soixantième anniversaire.

 

 

La Poupée de Jacques Baratier (1962)

Inspiré d’un roman de Jacques Audiberti, La Poupée est un conte loufoque qui décrit le soulèvement de quelques rebelles dans un pays fictif d’Amérique Latine. Afin de déstabiliser le pouvoir en place, un professeur parvient à cloner la maîtresse du dictateur. Ladite « poupée » va devenir l’icône de la Révolution. « Soyez libres !  Ne demandez pas la liberté, prenez-là ! », lance-t-elle à l’adresse de quelques femmes soumises aux diktats d’une société patriarcale. Le rôle principal est tenu par Sonne Teal, travesti américain, figure du Club 82 à New York avant de brûler les planches du Casino de Paris. Le casting comprend également : Daniel Emilfork et Jacques Dufilho. Le film a été présenté en compétition à la Berlinale en 1962.  Si l’intrigue est censée se dérouler en Amérique Latine, Jacques Baratier et son équipe n’ont pas eu besoin de quitter le France. Les extérieurs ont été tournés dans des bidonvilles à Nanterre, et les intérieurs dans des salles de concerts ou cabarets désaffectés. Avant La Poupée, Jacques Baratier avait réalisé un autre long métrage, Goha, dans lequel Omar Sharif tenait l’un de ses premiers rôles au cinéma. Il marquait aussi les débuts de Claudia Cardinale.  Jacques Baratier s’était distingué en obtenant un Ours d’Or à Berlin en 1956 pour son court métrage, Paris la nuit (https://imagesdelaculture.cnc.fr/-/paris-la-nuit).

Neige de Juliet Berto et Jean-Henri Roger (1981)

Présenté en compétition officielle en mai 1981 au Festival de Cannes, Neige obtient le Prix du cinéma contemporain. Cette distinction célèbre le caractère résolument moderne de ce film dont la précarité du tournage, loin d’avoir été un handicap, a permis de saisir sur le vif un monde invisible. Neige montre, en effet, un Paris interlope, celui du quartier de la Goutte d’Or marqué par une extrême pauvreté et où la drogue faisait des ravages. Ce territoire chaotique, peuplé de personnes en dehors du système (dealers, prostituées...), les deux réalisateurs - Juliet Berto et Jean-Henri Roger - le filment sans aucun misérabilisme. Pas plus qu’ils ne cherchent à l’édulcorer. On suit ici le parcours d’Anita (Juliet Berto) dont l’amant, Bobby (Ras Paul Nephtali), a été sauvagement abattu par la police suite à une dénonciation. La dimension volontairement « documentaire » de la mise en scène ancre d’emblée le film dans un réel non falsifié. Les éléments fictionnels épousent les contours d’une réalité avec laquelle ils interagissent sans résistance. Juliet Berto signait ici son premier long métrage de réalisatrice. Elle était alors connue en tant que comédienne et notamment pour sa collaboration avec deux piliers de la Nouvelle Vague : Jean-Luc Godard (La Chinoise, Week-end...) et Jacques Rivette (Out 1, Céline et Julie vont en bateau...). Jean-Henri Roger, alors compagnon de Juliet Berto, avait été proche de Jean-Luc Godard dès la fin des années soixante et la création commune du groupe Dziga Vertov. Neige ressortira en copie restaurée le 2 juin 2021.

 

In the Mood for Love de Wong Kar-wai (2000)

Le réalisateur hongkongais a envisagé son film comme une valse. In the Mood for Love c’est d’abord un tempo, où le rythme langoureux oblige à la répétition des gestes. Jusqu’au vertige. Au centre de la piste éclairée d’une lumière chaude (signée de l’australien Christopher Doyle), il y a un couple que l’on ne désignera qu’à travers leur patronyme respectif : Madame Chan (Maggie Cheung) et Monsieur Chow (Tony Leung Chiu-wai). Cette valse voulue par Wong Kar-wai raconte une romance pudique. C’est d’abord deux solitudes qui se rencontrent ; un homme et une femme qui apprennent que leurs conjoints les trompent et se demandent comment une telle chose a pu advenir. L’action se passe en 1962 dans un quartier populaire de Hong Kong. La mise en scène feutrée du cinéaste de Chungking Express et d’Happy Together, enveloppe les êtres et les choses d’une douce torpeur. Le film est présenté en compétition au Festival de Cannes 2000 où Tony Leung Chiu-wai obtient un Prix d’Interprétation masculine. L’année suivante, In the Mood for Love est récompensé d’un César du meilleur film étranger. L’immense succès du film tient en partie à sa musique et notamment au Yumeji’s Theme du japonais Shigeru Umebayashi dont les accords lancinants envoûtent immédiatement. Pour son vingtième anniversaire, In the Mood for Love ressort dans les salles françaises en version restaurée à la fin de l’année.