Marceline Loridan-Ivens, témoin de l’Histoire

Marceline Loridan-Ivens, témoin de l’Histoire

25 septembre 2018
Marceline Loridan-Ivens
Marceline Loridan-Ivens CNC

Marceline Loridans-Ivens s’est éteinte mardi 18 septembre 2018 à l’âge de 90ans.  « Enfant du feu et de la révolte » comme elle aimait se définir, elle nous a transmis un témoignage bouleversant de son histoire dans les camps de la mort, un « cinéma-vérité » porté par un devoir de mémoire essentiel.


Journaliste, cinéaste, productrice, écrivain…  Marceline Loridan-Ivens a traversé le XXe siècle en livrant de nombreux combats.  Marquée à jamais par l’horreur des camps, elle a lutté tout au long de sa vie contre les fantômes du passé pour transcrire l’indicible.

Née en 1928 de parents juifs polonais, Marceline Loridan-Ivens est arrêtée en février 1944 par la Gestapo avec son père, à qui elle consacre bien plus tard son livre Et tu n’es pas revenu (Grasset, 2015), une lettre ouvert co-écrite avec Judith Perrignon.

Rescapée d'Auschwitz, où elle rencontre Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens a soif d’apprendre : « En me déportant, on m'avait aussi arrachée à l'école, et je préférais me pencher sur ce que je n'avais pas appris que sur ce que j'avais vécu », dit-elle. Elle fréquente Saint-Germain des Prés et ses nuits, est fascinée par les intellectuels, tape des manuscrits pour Roland Barthes. Elle épouse Francis Loridan, un jeune ingénieur qu’elle finit par quitter en gardant son nom.

Révoltée contre toutes les impostures, Marceline Loridan-Ivens s’engage, au Parti communiste –dont elle claque la porte six mois plus tard -, contre la guerre en Algérie, pour le droit à l’avortement –elle signe le Manifeste des 341 salopes. Tour à tour Journaliste, photographe, sociologue, elle se forme à Cinémathèque française qu’elle fréquente assidûment, «obsédée par l'idée de faire du cinéma ».

Chronique d’un été

Nous sommes en 1961 lorsque Jean Rouch et Edgar Morin l’associent à l’aventure de Chronique d’un été. Ce documentaire essentiel est l’un des premiers témoignages filmés de la déportation  - il a notamment inspiré l’auteur Frédérique Berthet dans La Voix Manquante, récompensé du Prix du livre du cinéma 2018 du CNC–.  A la fois assistante sur le tournage et protagoniste du film, Marceline Loridan-Ivens interroge les passants sur le bonheur avant de livrer un monologue intense et poignant sur le chagrin et la perte.

Après cette expérience de « cinéma-vérité » cher à Jean Rouch, Marceline Loridan-Ivens  passe derrière la caméra. Elle coréalise avec Jean-Pierre Sergent son premier film, Algérie année zéro, témoignant des premiers mois d’indépendance après la signature des accords d’Evian en 1962.

Aux côtés du documentariste Joris Ivens, qu’elle épouse en secondes noces, elle coréalise Le 17e  parallèle en 1967 sur  l’héroïsme quotidien dans un pays en guerre. Ce documentaire politique et engagé, que le couple produit via leur société Capi Films, figure aujourd’hui parmi les œuvres majeures sur la guerre du Vietnam.  

Comment Yukong déplaça des montagnes

L’écriture cinématographique à quatre mains se poursuit avec la sortie en 1976 de Comment Yukong déplaça des montagnes, une exploration en douze films de la Chine au moment de la révolution culturelle. Réalisé caméra au poing pour donner à voir la possibilité d’un autre monde, ce documentaire d’une grande beauté a été en partie restauré par le CNC.

Animé par la nécessité de faire basculer la réalité dans l’imaginaire et le fantastique,  le couple de cinéastes développe une esthétique fondée sur un propos objectif et une poésie de l'image. C’est ainsi que naît Une histoire de vent (1988), dernier film de Joris Ivens. Tourné de nouveau en Chine, ce « ciné-poème » empreint de lyrisme et d’inventivité tente de filmer l’impalpable.

Comment Yukong déplaça des montagnes de Marceline Loriden-Ivens et Joris Ivens © Capi Films / Collection CNC

La Petite Prairie aux bouleaux

A la disparition de Joris Ivens, Marceline Loridan-Ivens se recentre sur un travail de mémoire par l’image. En 2003, la réalisatrice se décide à reprendre la caméra pour son premier - et unique - long métrage de fiction, La Petite Prairie aux bouleaux,  interprété par Anouk Aimé. Elle livre un film bouleversant sur sa déportation au camp d’Auschwitz-Birkenau, tourné  sur les lieux de sa captivité. « C’était interdit de tourner à Auschwitz bien sûr, mais je l’ai fait quand même. Je me serais attachée aux rails si on m’en avait empêchée. On ne pouvait rien m’interdire. » affirme-t-elle.

Après soixante ans de silence, marqués par l’impossibilité de raconter, le besoin de traduire l’indicible se fait sentir, comme une urgence. Un laps de temps nécessaire avant de replonger dans l’horreur des camps. En 2008, elle publie Ma Vie balagan (éditions Robert Laffont). Elle y couche sur papier le récit de sa vie, chaotique (« balagan » signifie désordonné » en hébreu), où le rire se teinte parfois de désespoir et où la lucidité s’accompagne d’autodérision.

Révoltée contre toutes les impostures, Marceline Loridan-Ivens était un témoin de l’Histoire, un destin, dont l’œuvre est traversée  par  le devoir de mémoire et la force de l’engagement.

Marceline Loridan-Ivens en quelques films

Algérie année zéro  est un documentaire de Jean-Pierre Sergent et Marceline Loridan-Ivens sur les débuts de l’indépendance algérienne filmé au cours de l’été 1962 à Alger. Le film fut interdit en France et en Algérie mais obtint le Grand Prix du festival international de Leipzig en 1965. Algérie année zéro a été restauré par la Direction du patrimoine et du cinéma du CNC.

Premier film coréalisé par Marceline Loridan-Ivens et Joris Ivens, Le 17ème parallèle retrace la lutte quotidienne des habitants du village de Vin-Linh situé entre le Nord et le Sud du Vietnam. Tourné avec un matériel léger et en son direct, il permit aux protagonistes de s’exprimer directement, sans commentaire. Le film a été restauré et numérisé par le CNC.

Réalisé entre 1971 et 1976, Comment Yukong déplaça des montagnes de Marceline Loriden-Ivens et Joris Ivens est un documentaire fleuve de plus de 13h. Tourné pendant la Révolution culturelle, il brosse un portrait du peuple chinois, de la vie quotidienne et des changements sociaux pendant cette période. Ce documentaire a a été restauré par les équipes du CNC.

Le 17ème parallèle de Marceline Loriden-Ivens et Joris Ivens © Capi Films / Collection CNC