Focus sur l’édition 2021 du Festival international de films de femmes de Créteil

Focus sur l’édition 2021 du Festival international de films de femmes de Créteil

01 avril 2021
Cinéma
Festival International de Films de Femmes de Créteil 2021
Affiche du Festival International de Films de Femmes de Créteil 2021 Karine Saporta
Après l’annulation de l’édition 2020 pour cause de Covid, Jackie Buet, cofondatrice et directrice de la manifestation, présente les grandes lignes du festival 2021 qui se déroule entièrement en ligne du 2 au 11 avril.

Affiche du Festival International de Films de Femmes de Créteil 2021Karine Saporta
Comment avez-vous vécu l’annulation brutale de l’édition 2020 ?

Le premier élément, ô combien essentiel, est d’avoir pu compter sur le soutien des réalisatrices, des producteurs et des distributeurs avec qui on travaille, mais aussi de nos partenaires. On s’est donc immédiatement sentis portés pour rebondir. On a mis à profit les mois de mai et juin pour faire des projections en plein air ainsi qu’au cinéma parisien La Clef. On a aussi repris contact avec notre partenaire local à Créteil, le cinéma de quartier La Lucarne, pour envisager des événements en septembre, octobre et novembre, autour des films que nous avions sélectionnés. Là encore rien ne s’est passé comme prévu… Cependant, on a profité de cette énergie pour entamer l’élaboration du 43e festival, en se disant qu’en avril 2021, ça devrait aller ! Puis, au vu de la situation sanitaire, on a décidé dès le mois de décembre que cette édition serait uniquement en ligne. On s’est associés pour cela à la plateforme Festival Scope, en cassant les prix car le pass pour voir l’ensemble des 47 films est de 15 euros.

Quand débute précisément le travail de sélection ?

Au mois de juin. Mais on a aussi repris des choses prévues l’an passé. À l’image de notre film d’ouverture, Eden d’Ágnes Kocsis. Une œuvre assez prémonitoire, centrée sur un personnage de femme allergique aux ondes électromagnétiques et aux produits chimiques qui se protège en se confinant chez elle et en ne sortant qu’équipée d’un scaphandre ! Un très beau film de science-fiction venu de Hongrie. Dans la même logique, on a aussi préservé notre rétrospective consacrée à l’actrice-réalisatrice-productrice Nicole Stéphane.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de la mettre en avant ?

Trop peu de monde connaît cette figure pourtant importante du cinéma français. Or ce travail de transmission pour réinscrire dans l’histoire du 7e art des femmes oubliées est au cœur de ce festival depuis toujours. Nicole Stéphane a été repérée par Jean-Pierre Melville qui l’a dirigée dans ses deux premiers longs métrages Le Silence de la mer et Les Enfants terribles. Elle a aussi joué Marie Curie sous la direction de Georges Franju. Comme productrice, on lui doit Mourir à Madrid de Frédéric Rossif, La Vie de château, le premier long métrage de Jean-Paul Rappeneau ou Détruire, dit-elle de Marguerite Duras. Elle avait aussi acquis les droits d’À la recherche du temps perdu et tenté, hélas sans succès, de lui donner une vie sur grand écran en travaillant notamment avec Luchino Visconti. C’est tout ce travail que nous proposons de voir ou revoir à travers cette rétrospective.

L’invitée d’honneur de cette édition 2021 est la comédienne Aïssa Maïga qui, elle aussi, aurait dû être présente l’an passé…

Oui. J’aime beaucoup sa personnalité. Je l’avais invitée pour la première fois il y a dix ans à l’occasion d’un hommage aux acteurs et actrices français d’origine africaine. C’est Dominique Cabrera – qui l’avait dirigée dans le téléfilm Quand la ville mord – qui me l’avait présentée. Dans l’interview que j’avais faite d’elle à l’époque, Aïssa annonçait qu’elle allait devenir réalisatrice. Je suis donc forcément très heureuse d’accueillir cette année son premier documentaire Regard noir, cosigné avec Isabelle Simeoni pour Canal+. Je la trouve extrêmement pertinente dans son propos. Elle a fait, pour l’occasion, le tour des communautés noires à travers le monde, en France, bien sûr, mais aussi aux États-Unis, au Brésil, au Danemark… Elle ne cherche jamais à imposer un discours prémâché mais à communiquer, à ouvrir la discussion et les débats sur ces questions.

L’idée de transmission que vous évoquiez se retrouve dans le titre du florilège de dix films que vous avez réunis sous la thématique « Héritage ».

On reste dans la même idée de montrer qu’il existe une généalogie, de génération en génération, du côté des femmes comme du côté des engagements citoyens.

Je pense notamment à un très beau film brésilien, Les Yeux ouverts de Charlotte Dafol, sur un journal de rue créé par des SDF. Ou à un film australien, When the Camera Stopped Rolling, où Jane Castle évoque sa mère Lilias Fraser, là encore largement méconnue, qui fut l’une des pionnières du cinéma australien.

Rendre hommage à la réalisatrice Cecilia Mangini participe à la même logique ?

Exactement. Cecilia Mangini, qui a travaillé avec Pasolini, fut la première femme à réaliser des documentaires dans l’après-guerre en Italie. Ses films montrent le peuple italien des années 60-70 avec une acuité remarquable. Elle fut l’une des très grandes découvertes de Créteil en 2011. Elle nous a quittés le 21 janvier dernier et on a découvert que, juste avant, elle avait coréalisé un dernier film (Des boîtes oubliées) sur un voyage qu’elle avait fait au Vietnam, en 1965, en s’appuyant sur des photos qu’elle avait prises sur place. Le film est donc construit sur sa mémoire. On a voulu le projeter pour lui rendre hommage.

Avez-vous noté de grandes tendances dans les œuvres que vous avez retenues en compétition cette année ?

La place des héroïnes. Tous les longs métrages en compétition sont des portraits de femmes. Ce n’est évidemment pas nouveau, mais j’ai le sentiment que ça n’avait jamais été aussi fort. Le deuxième point commun à toutes ces œuvres est la place qu’elles accordent à l’histoire. Avec comme symbole La Voix d’Aïda de Jasmila Žbanic, un très beau film – nommé à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère – sur l’absurdité de la guerre et la tentative d’une femme de sauver sa famille en essayant de faire communiquer ensemble des ennemis « héréditaires », serbes et bosniaques. Je suis heureuse de la retrouver quinze ans après avoir accueilli son premier film, Sarajevo, mon amour. C’est une réalisatrice majeure à mes yeux. Elle ne sera pas présente, mais comme pour toutes les cinéastes en compétition, j’ai réalisé une interview d’elle qui sera disponible sur le site du festival dans la rubrique « Paroles de réalisatrices ».

La Voix d'Aïda Condor Distribution

Vous qui avez créé ce festival en 1979, quelles sont les évolutions les plus notables que vous avez pu observer concernant la place des femmes dans le cinéma ?

La lenteur des changements. Les choses évoluent indéniablement, d’un point de vue législatif comme au niveau des mentalités. Mais pour faire respecter l’égalité homme-femme dans l’accès aux différents métiers du cinéma comme dans les rémunérations, il reste encore énormément de choses à faire.

Notre festival n’a aucune logique de ghetto. Il est mixte. Il s’adresse à tous les publics. On y joue simplement un rôle de défricheur du cinéma au féminin avec une volonté de faire bouger les lignes. Et il y a un endroit où cette évolution est marquante : le nombre de films qu’on reçoit pour établir notre sélection. La production d’œuvres de réalisatrices est nettement plus importante qu’à nos débuts. Les écoles de cinéma ont d’ailleurs largement contribué à cette évolution positive.

43e Festival international de films de femmes de Créteil
Du 2 au 11 avril