François-Xavier Drouet : « Je voulais mettre la forêt au cœur du débat »

François-Xavier Drouet : « Je voulais mettre la forêt au cœur du débat »

07 juin 2019
Cinéma
Le temps des forêts
Le temps des forêts

Symbole pour les citadins d’une nature authentique et apaisante, la forêt que filme François-Xavier Drouet dans son documentaire « Le Temps des forêts » est à des lieues de cette image d’Epinal. Refusant de la fantasmer ou de l’embellir, le réalisateur filme, du Limousin aux Landes, du Morvan aux Vosges, des zones boisées artificiellement créées, exploitées sur le modèle de l’agriculture productiviste, au détriment de l’environnement, de la qualité des sols et du bien-être des forestiers. Entretien.


Comment est né le projet « le Temps des forêts » ?

D’un désir de travailler sur une problématique locale. La première demi-heure du film est tournée dans un rayon de 30 km autour de chez moi, sur le plateau de Millevaches, où je vis depuis une dizaine d’années. C’est une région plutôt agricole. Comme tous ceux qui vivent déconnectés de la nature, j’avais, au départ, l’idée que la forêt était un espace sauvage. Mais je me suis rendu compte qu’elle était, en fait, complètement façonnée par l’activité humaine. Apprendre, par exemple, que la forêt dans le Massif Central est très jeune et a été plantée, a été un choc. En côtoyant des forestiers, j’ai également réalisé que la sylviculture subit aujourd’hui les mêmes processus d’industrialisation que l’agriculture il y a 50 ans. C’est pour cet ensemble de raisons que j’ai commencé à travailler sur ce sujet, et que je l’ai fait durant 4 ans et demi.

Quel était votre objectif en réalisant ce documentaire ?

Pour blaguer, je dis souvent que faire des films, c’est un prétexte pour découvrir d’autres mondes. C’est assez vrai ! Au-delà de ça, j’ai voulu transmettre une expérience et un regard sur le réel.  En l’occurrence, sur ce sujet précis, il y avait évidemment un aspect informatif pour le grand public : mettre au cœur du débat une question qui est globalement inconnue. Mais je voulais aussi ouvrir le débat dans le monde forestier. Car les transformations dont je parle dans le film sont vécues de façon très douloureuse par certains forestiers. Or on ne parle jamais d’eux et eux-mêmes en parlent peu.

Etes-vous parvenu à ouvrir ce débat ?

Oui, le film a eu un écho très fort dans le monde forestier. Il y a eu énormément de projections organisées par des forestiers eux-mêmes, et aussi à destination d’étudiants en sylviculture. Il y a eu des projections dans le Limousin, où la moitié de la salle faisait partie de la profession, avec des débats très animés mais très intéressants. Des gens qui ne se parlent jamais ont eu un espace pour pouvoir le faire et se sont dit les choses, ont échangé. Le film a créé cet espace de débat qui n’existait pas, car les décisions sont prises au sein de petites commissions ou dans des processus de fabrication de normes dont tout le monde est exclu. Beaucoup d’élus sont également venus aux projections. Le film a par ailleurs coïncidé aussi avec une forte mobilisation des agents de l’Office National des Forêts. « Le Temps des forêts » a aussi donné une légitimité à certaines approches. Je fais beaucoup le parallèle avec l’agriculture : à un moment donné, on a pris conscience des impasses de l’agriculture productiviste et on a commencé à développer des alternatives. Tout ce travail en forêt reste à faire, et je voudrais que le film participe de ce mouvement-là.

Comment est-ce que vous définiriez votre approche esthétique dans ce film ? Comment avez-vous voulu filmer la forêt ?

Ça a été une vraie question d’écriture. Quand on regarde la production documentaire sur la forêt, on voit qu’il y a cette tentation des chefs opérateurs de toujours la fantasmer, la mythifier, et d’en faire quelque chose de beaucoup plus beau qu’elle ne l’est. Moi je voulais montrer une forêt du quotidien, celle dans laquelle travaillent mes personnages. Donc, certes, c’est parfois extraordinaire, mais c’est aussi avant tout un espace de travail, qui peut être banal. Je ne voulais pas que la beauté émerge de quelque chose d’artificiel, de la lumière entre les branches par exemple, mais de la relation que l’humain peut entretenir avec le paysage.

Les forestiers semblent vous intéresser davantage que la forêt.

Je viens des sciences sociales, donc c’est vrai que j’ai un peu ce regard-là. Ce qui m’a touché et donné envie de travailler sur ce sujet, c’est de comprendre les logiques humaines, sociales et économiques qu’il y a derrière. Or on ne voit quasiment pas ça dans les documentaires : les intervenants sont des scientifiques, des activistes d’ONG environnementales… Mais on n’entend jamais ceux qui travaillent dans la forêt. Ce qui conduit à avoir une image très déformée.

Votre documentaire montre que le problème majeur n’est pas la déforestation, comme on pourrait l’imaginer, mais la « malforestation ». Pourriez-vous revenir sur cette notion ?

La « malforestation », c’est adapter la forêt à l’industrie, au lieu de faire l’inverse. Cette tendance prend des tas de formes différentes : raccourcir au maximum les cycles de croissance des arbres, implanter des monocultures plutôt que de permettre à la forêt de se régénérer, spécialiser la France par essences d’arbres, l’usage d’engrais et de mécanisation lourde au détriment des sols et du respect du vivant. En somme, c’est nier le vivant en artificialisant la nature.

Quelles sont les conséquences de cette « malforestation » ?

Elles sont écologiques, mais aussi humaines. Beaucoup de forestiers se sont lancés dans ce métier parce qu’ils aimaient ce milieu et on ne leur demande aujourd’hui plus que d’être des commis de coupes, des « ramasse-bois ». Cela provoque une grande souffrance. Ils doivent mettre de côté une sensibilité, un rapport à leur métier, en adoptant des procédés simplifiés à l’extrême. Avec en plus une pression croissante car tout s’accélère, car on veut plier le temps de la forêt au temps du marché et eux sont un rouage de cette machine, ce qui est épuisant.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans l’écriture et la réalisation de votre documentaire ?

Il a fallu du temps pour comprendre tous les enjeux car c’est un sujet complexe, identifier tous les acteurs, comprendre précisément ce qu’est la sylviculture… L’échelle du projet a également été un problème, partant de quelque chose de très local pour finalement l’étendre à l’ensemble de la France. L’autre difficulté, ça a été évidemment d’approcher les industriels. Car eux, le fait que l’on parle très peu de la forêt, ça les arrange ! Comme le film déconstruit tout un tas d’idées, et notamment celle qui veut qu’il faille absolument planter des arbres, ça ne sert pas vraiment leur discours… J’ai donc subi beaucoup de refus.

Comment fait-on vivre un documentaire comme celui-ci une fois qu’il est sorti ? Comment avez-vous accompagné sa sortie en salles ?

J’ai assisté à une cinquantaine de projections. Ça fait partie du métier depuis longtemps. Mais en raison de l’évolution de la diffusion du documentaire, cette partie-là prend de plus en plus de place. Je vois le travail des distributeurs : pour avoir des salles, il faut régulièrement qu’ils assurent aux exploitants que le réalisateur viendra. Or, souvent, nous ne sommes pas indemnisés pour cet aspect-là, qui prend de plus en plus de place. Mais ça avait du sens pour moi d’assurer ce suivi car, comme je l’expliquais, le film a l’ambition de créer un débat.

Comment définiriez-vous un « bon » documentaire ?

Question difficile ! Je dirais que c’est un documentaire qui donne au spectateur accès à une altérité, à une autre façon de voir le monde.

Le Temps des forêts est disponible en DVD

Sorti en salles en septembre 2018, Le Temps des forêts est désormais disponible en DVD. Ce documentaire a reçu plusieurs aides du CNC : aide à l’écriture FAIA documentaire, aide au développement FAIA documentaire, avance sur recettes avant réalisation, aide à la distribution.