Guillaume Nicloux : « Il ne faut jamais oublier que le cinéma consiste à essayer de mentir le plus sincèrement possible »

Guillaume Nicloux : « Il ne faut jamais oublier que le cinéma consiste à essayer de mentir le plus sincèrement possible »

04 décembre 2018
Cinéma
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Les Confins du monde de Guillaume Nicloux
Les Confins du monde de Guillaume Nicloux Ad Vitam Distribution

Film de guerre, film d’amour, voyage intérieur… Les Confins du monde croise les genres et brouille les pistes en 1945 au cœur de l’Indochine dans les pas d’un jeune militaire avide de revanche après le massacre de son frère sous ses yeux. Son réalisateur nous détaille la méthode singulière qu’il a développée pour ce projet au long cours.


Comment naît Les confins du monde dans votre esprit ?
Tout est parti de ce jour où on m’a parlé de ce fait historique survenu le 9 mars 1945: la violente riposte du Japon à De Gaulle qui voulait récupérer l’Indochine. Cette attaque simultanée des garnisons françaises a fait des milliers de victimes. Et comme je n’en avais jamais entendu parler, ça a déclenché chez moi une curiosité tout en faisant remonter à la surface de ma mémoire tous les témoignages dont m’avait fait part Raoul Coutard, le chef opérateur de Godard, qui avait signé la photo de mes trois premiers longs métrages. Raoul n’avait de cesse de me parler de l’impact émotionnel que cette période avait eue sur lui lorsqu’il l’a découverte et a été projeté dans ces événements. Dès lors, ce sujet est devenu une obsession. Mais sa maturation a été longue. Il a fallu plusieurs années pour que le scénario trouve son épure. Je devais au départ enchaîner Les Confins du monde après Valley of Love. Mais ma productrice Sylvie Pialat a bien voulu accepter que je le repousse. Et j’ai tourné The End entre temps.

Y a-t-il des films ou des images qui ont nourri votre création de ce film ?
La jungle, où nous avons tourné, a évidemment constitué l’empreinte la plus forte. Comme la Vallée de la mort pour Valley of Love ou la forêt de Fontainebleau pour Cette femme- là. Mais un film emblématique a tout même agi de façon extrêmement prégnante : La 317ème section. Car il s’agit du premier film de guerre qui traitait d’un conflit sans en montrer les combats et se focalisait ce qui me paraît encore plus fort et effrayant : l’attente mortifère et la non-vision de l’ennemi. Grâce à La 317ème section, on comprenait que les soldats passaient plus de temps à attendre qu’à se battre. C’est le film de chevet de Coppola, Cimino, Oliver Stone… Et Raoul Coutard m’avait lui aussi souvent parlé de ce tournage et de son rapport avec Pierre Schoendoerffer.

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Les confins du monde se situe justement aux confins de plusieurs genres : film de guerre, film d’amour, voyage intérieur… Comment l’avez-vous construit ?
Au scénario. Pièce après pièce dans l’épure pour aller dans le sens d’une quête existentielle et de cette folie née de l’incapacité de ce jeune militaire français à choisir entre les deux sentiments extrêmes qui lui tiraillent le cœur : sa passion amoureuse pour une jeune Indochinoise et la vengeance du massacre de son frère sous ses yeux. Puis, une fois sur le plateau, la mise en scène s’impose chez moi au moment où les choses se fabriquent. Je l’anticipe le moins possible. J’essaie d’être le plus disponible et le plus libre pour ce moment où on se retrouve tous ensemble. Le cinéma est certes un objet qu’on fabrique, qu’on pense et qu’on prévoit. Mais mon plus grand plaisir reste de développer la liberté à l’intérieur de la contrainte. De retrouver une virginité dans ces contraintes.

Pourquoi avoir choisi Gaspard Ulliel pour tenir le rôle central de ce militaire embarqué dans cette quête de vengeance ?
Depuis Hannibal Lecter : les origines du mal, j’ai toujours été très intrigué par sa silhouette, sa voix et sa façon de bouger. J’ai donc suivi son parcours. Puis, lorsque le scénario a trouvé sa forme définitive et que le personnage s’est cristallisé, Gaspard s’est imposé. A partir de là, c’est la part d’ombre du comédien qui m’intéresse. Celle que, par définition, je ne connais pas mais dont je pressens qu’elle est la plus à même de remplir de chair et de sang ce qui échappe au scénario et va permettre à ce personnage de m’échapper.

Pour cela, vous avez besoin de beaucoup travailler en amont avec lui ?
Non. Je ne fais ni lecture, ni répétition. Il ne faut jamais oublier que le cinéma consiste à essayer de mentir le plus sincèrement possible. Or une fois que vous avez quelque chose de préétabli dans la tête, c’est très difficile de l’enlever. Le cerveau m’embarrasse avant et pendant le tournage. Il fonctionne plus au montage. Sur un plateau, j’aime ressentir les choses de manière viscérale et donc parfois incohérente. Je défends la contradiction et le fait de ne pas penser de la même façon tous les jours de l’année. Ma méthode consiste à ne pas en avoir. J’essaie simplement d’être le plus juste possible par rapport au moment où je fais les choses.

La présence de Gérard Depardieu face à Gaspard Ulliel s’inscrit donc parfaitement dans votre cinéma…
Gérard est l’emblème de ceux qui privilégient l’instant et vivent le moment présent. Et quand il est avec vous, ce n’est pas à moitié. Puis ce corps est fascinant. C’est pour cela que je l’ai beaucoup filmé dans Valley of Love et que je n’ai quasiment filmé que lui dans The End. Il me fascine d’autant plus qu’il fait partie de ma cinéphilie depuis que j’ai 10 ans. En filmant un acteur à ce point inscrit dans votre imaginaire, vos plaisirs de spectateurs remontent à la surface. La frontière est troublante. L’entrée dans ma vie de Gérard avec Valley of Love a provoqué une modification émotionnelle majeure dans ma manière de faire du cinéma. Je n’ai qu’un regret : l’avoir découvert aussi tard et ne pas avoir pu profiter de lui avant…