Quand et comment avez-vous rencontré Ratchapoom Boonbunchachoke ?
Karim Aitouna : Je l’ai rencontré avec sa productrice, Cattleya Paosrijaroen, à Locarno en 2021. Je travaillais alors comme tuteur de production pour Open Doors, l’atelier et la plateforme internationale de coproduction du festival. Tous deux m’avaient parlé de leurs différents projets et celui de Fantôme utile – dans sa phase embryonnaire – était celui qui m’avait le plus interpellé. L’un des ateliers d’Open Doors portait cette année-là sur les défis et la nécessité d’un cinéma engagé, audacieux, inventif et capable de rester accessible au plus grand nombre. Il y avait tout cela dans Fantôme utile qui avait déjà été développé dans d’autres ateliers, en Asie, avant d’être sélectionné à Open Doors, où il a remporté le prix du meilleur projet. Ma collaboration effective avec Ratchapoom a débuté là. Nous avons eu cinq jours pour échanger, pour discuter du projet, de notre travail, de nos envies. Nous nous sommes découverts à cette occasion de nombreuses références littéraires et cinématographiques communes – du cinéma d’auteur au cinéma d’action, de Faulkner à Murakami – qui ont été déterminantes dans le choix de travailler ensemble.
Où en était le financement du film à ce moment-là ?
Le prix d’Open Doors a été le premier financement majeur, à l’exception de quelques aides à l’écriture obtenues du ministère de la Culture thaïlandais avant la suppression de ces aides en 2019 et du Next Masters support program à Tokyo.

Comment a débuté votre travail de coproducteur ?
Quand j’embarque comme coproducteur sur un projet, je demande toujours à avoir un espace de collaboration artistique, en plus du travail de recherche de financement. À être impliqué dès l’écriture du scénario. Pour Fantôme utile, nos échanges ont même débuté avec l’écriture de la note d’intention, qui permet de voir l’ambition à la fois artistique et intellectuelle d’un réalisateur. Ce qu’il veut raconter, ce qui l’intéresse. Puis de vérifier ensuite si le traitement puis le scénario répondent à ces ambitions-là. J’essaie de poser très en amont les questions que tout spectateur peut être à même de poser à un réalisateur en sortant de la projection du film.
Qu’est-ce qui est ressorti de ces premiers échanges ?
L’aspect particulièrement ambitieux de ce premier long métrage qui aborde des thèmes forts comme la dictature, l’environnement… Au fil de nos échanges, de la lecture du traitement et des différentes versions du scénario, j’ai été séduit par l’inventivité, à la fois formelle et thématique, de Ratchapoom. Notamment sa capacité à s’inspirer des structures narratives traditionnelles – littéraires, populaires ou cinématographiques – pour proposer un cinéma moderne, inventif, loufoque, contestataire, qui brise les codes, tout en restant accessible. Ça m’a rappelé les contes que me lisait ma mère lorsque j’étais enfant. Il y a dans Fantôme utile quelque chose de surnaturel, défiant la logique et en même temps toujours cohérent. Ratchapoom a la capacité, dans une même séquence, de convoquer tout autant Apichatpong Weerasethakul que Quentin Tarantino, de passer d’une ambiance d’un film noir des années 1950 à celle d’un manga, en utilisant le son, l’image, la musique…
À quel moment débute la recherche de financement et comment se construit-elle ?
Elle a pris volontairement du temps. Le temps de la réflexion autour des intentions de Ratchapoom, et le temps de trouver un traducteur français, grand connaisseur de la culture thaïlandaise. Ce n’est qu’en 2023 que je me suis tourné vers le CNC pour l’Aide aux cinémas du monde. Un financement incontournable pour un projet comme Fantôme utile, que nous avons obtenu. En parallèle, nous avons envoyé le scénario au Fonds Hubert Bals qui soutient des producteurs européens accompagnant des projets internationaux et que nous avons aussi décroché. Puis quand nous avons su que nous allions fabriquer l’ensemble des effets visuels en France, nous avons candidaté à l’Aide aux effets visuels du CNC.
Comment ce choix s’est-il opéré ?
Il était au départ prévu que la lumière de Fantôme utile soit signée par un chef opérateur français que Ratchapoom apprécie beaucoup. Mais au moment où la préparation du tournage s’est accélérée, nous sortions d’une période de Covid. Les meilleurs techniciens étaient débordés à cause des projets décalés. Ça n’a donc pas pu se faire pour des raisons de calendrier. Or l’aide du CNC est soumise à l’obligation d’avoir une certaine part de talents français au générique du film. Comme ce fut impossible sur le tournage, nous avons décidé que les effets spéciaux visuels seraient élaborés par une société française.
Vous avez décidé de faire appel à la société d’effets visuels Bloc D. Pourquoi ce choix ?
Ma société, Haut Les Mains Productions, est basée à Lyon depuis 2008 et j’ai toujours envie de mettre en valeur le potentiel des régions. Bloc D est aussi une société lyonnaise. Ce sont les premiers que je suis allé démarcher. Je connaissais et appréciais leur travail et surtout, il était important pour moi d’être physiquement proche d’eux à cette étape. Mes partenaires thaïlandais ont eux aussi été convaincus par leurs idées et leur implication. Nous avons fait des sessions de travail à Lyon et les équipes de Bloc D se sont aussi rendues en Thaïlande. Pour une jeune société qui n’avait encore jamais collaboré à un long métrage, ce fut une aventure hors norme car les effets spéciaux constituent vraiment un élément essentiel du film.
Quel est votre rôle de coproducteur au moment du montage ?
Dans cette dernière écriture, les échanges sont forcément beaucoup plus intensifs, voire conflictuels, car toute décision devient définitive. J’essaie donc d’être au maximum force de propositions, de poser le plus de questions possibles surtout dans un film aussi dense, aussi riche. Tout en sachant qu’au final, par contrat, c’est le producteur principal et le réalisateur qui ont le dernier mot.

À quel moment se fait le choix du distributeur français et qu’est-ce qui vous a fait pencher pour JHR Films ?
Nous avions présenté le film à tous les distributeurs français, grands et petits, dès l’étape du scénario. Puis, avant que le montage final ne soit finalisé, j’ai envoyé 35 minutes du film à ceux qui avaient lu le scénario et exprimé leur intérêt. J’ai opté pour JHR Films parce qu’ils étaient les plus enthousiastes et avaient en tête une stratégie de sortie qui me séduisait. J’ai aussi recruté au même moment un vendeur international, Best Friend Forever, dans cette même idée d’une structure à taille humaine ayant envie d’engagement sur des projets à risque mais inventifs.
Comment avez-vous vécu la sélection à la Semaine de la Critique puis le Grand Prix à Cannes ?
Pour la carrière d’un film comme Fantôme utile, un festival comme Cannes est évidemment déterminant. Voilà pourquoi j’avais fait parvenir très tôt le film à toutes les sections. L’enthousiasme de la Semaine de la Critique l’a emporté. Elle m’a semblé la plateforme de lancement idéale. Et ce fut évidemment une joie immense de présenter cinq ans de travail au public. Nous avons tous vécu ces jours cannois comme dans un rêve. Comme la plus magnifique des récompenses. Dès le soir de la remise du prix, les ventes ont décollé. Fantôme utile sera distribué aux États-Unis, au Japon, à Taiwan, et dans beaucoup de pays d’Europe et d’Amérique Latine. Cannes a donc été le plus merveilleux et efficace des tremplins.
FANTÔME UTILE

Réalisation et scénario : Ratchapoom Boonbunchachoke
Production française : Haut Les Mains Productions
Distribution : JHR Films
Ventes internationales : Best Friend Forever
Sortie le 27 août 2025
Soutiens sélectifs du CNC : Aide aux cinémas du monde avant réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2025)