Une route bordée de voitures accidentées et abandonnées. La végétation qui, petit à petit, semble reprendre ses droits sur les traces d’occupation humaine. Un enfant étrangement seul dans ce paysage désert, bientôt rejoint par un homme revêtu d’une combinaison anti-radiations... Pour ses débuts en fiction, Koya Kamura n’a pas choisi la facilité : c’est dans la région sinistrée de Fukushima que le réalisateur français de 36 ans a décidé de situer, et a en partie tourné, l’histoire de son premier court métrage, Homesick. Il est revenu sur cette expérience le12 octobre au cours d’une table ronde « Talents en court » organisée dans le cadre de l’Urban Films Festival (lire encadré).
Mêlant éléments surnaturels et drame intimiste, le récit de Homesick se déroule deux ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima. Murai, un homme d’une quarantaine d’années, arpente la « no-go zone » afin de retrouver et rendre à leurs propriétaires les objets de valeur laissés derrière eux pendant l’évacuation. Rongé par le deuil et la culpabilité, il cherche avant tout à passer du temps avec le fantôme de son fils de 8 ans, Jun, qui erre dans cette zone interdite d’accès depuis le tsunami.
« Quand j’ai écrit ce film, je me suis dit qu’il était dommage que ce soit ce projet que je termine en premier, car je pensais alors qu’il ne verrait jamais le jour. Il allait falloir le tourner à Fukushima, avec des acteurs japonais et donc en japonais, avec un enfant de huit ans… Il me semblait trop difficile à monter, sur le plan économique et organisationnel », se souvient Koya Kamura. Le jeune scénariste et réalisateur, qui a fait ses armes en tournant des publicités après des études de cinéma, décide malgré tout d’envoyer son scénario au festival de Valence, en 2015. Banco : le projet est retenu.
« Cette sélection m’a donné confiance en moi et m’a permis de rencontrer mon producteur, Rafael Andrea Soatto. Contre toute attente, le projet s’est ensuite monté sans grande difficulté et nous avons trouvé assez rapidement les financements : l’aide du CNC, Arte… Côté français, tout s’est déroulé sans accrocs », poursuit Koya Kamura. Pour autant, l’apprenti-réalisateur sait alors que le chemin qu’il lui reste à parcourir sera parsemé d’obstacles. Le principal ? Trouver un producteur exécutif au Japon.
Plus d’un an de recherche sera nécessaire pour dénicher cet oiseau rare et le convaincre. Plusieurs producteurs nippons, tout en louant les qualités du projet, préféreront en effet ne pas s’aventurer sur ce terrain. « C’est un sujet compliqué au Japon, une plaie encore ouverte et trop récente. Il y a aussi des raisons politiques qui font que c’est compliqué. Puis nous avons rencontré Hiroto Ogi, qui était prêt à se confronter à ces difficultés et présentait le profil idéal, puisqu’il avait longtemps vécu en France. Le film n’aurait pas pu se faire sans lui. »
Filmer en combinaison anti-radiations
Le process, dès lors, est le même que celui d’une production classique… mais à des milliers de kilomètres de distance. Le producteur exécutif constitue, au Japon, ses équipes, trouve les chefs de postes et démarche régions et commissions de films pouvant accueillir le tournage. Les repérages sont validés par Koya Kamura sur photos et le casting des comédiens japonais sur vidéos. En février 2018, le réalisateur se rend sur place pour « revalider » les lieux de tournage. Il disposera ensuite de trois semaines de préparation avant le clap de départ, en juillet 2018.
Conformément à son souhait, Koya Kamura parvient à obtenir l’autorisation de tourner dans la « zone ». Si beaucoup de régions ont refusé, la préfecture de Miyagi, située au nord de la centrale de Fukushima, finit par accepter. Sur un total de 7 jours de tournage pour l’ensemble du court métrage, l’équipe a pu disposer d’une « petite » journée pour filmer des plans d’extérieurs dans la zone contaminée, en équipe réduite à l’os : Koya Kamura, son chef opérateur et un assistant. Auparavant, une journée de repérage a permis de prendre connaissance des lieux, accompagnés d’un employé de la mairie. « C’était très bizarre : alors que nous devions tous les trois porter des combinaisons, la personne qui nous accompagnait était habillée normalement. Était-ce par déni ? Par ignorance ? Ou bien était-ce nous qui étions surprotégés ? »
Koya Kamura s’attendait à découvrir une zone complètement vide. Mauvaise pioche : « C’est la région qu’ils sont en train de décontaminer. Pour ces travaux, il y a donc des ouvriers venus de tout le Japon, qui sont là toute la journée à enlever des couches de 8 cm de terre, qu’ils mettent dans d’énormes sacs ensuite entassés en pyramides dans des parcs, sur des étendues incroyables. Tu te retrouves donc dans des embouteillages de camions alors que tu pensais que tu serais seul ! »
Cette première expérience nippone ne sera sûrement pas la dernière pour le réalisateur. Et ce malgré les difficultés de préparation du film, la pression et les aspects « compliqués » d’un tournage au Japon en raison du caractère « très protocolaire » du pays. Koya Kamura travaille ainsi actuellement sur deux scénarios de longs métrages. L’un se déroulera au Japon dans les années 1970. Quant au second, il s’agira d’un polar se passant de nos jours à… Fukushima.
« Homesick », écrit et réalisé par Koya Kamura, produit par Offshore et Tobbogan, et distribué par Manifest, a bénéficié de trois aides du CNC : aide avant réalisation à la production de films de court métrage, aide à la création visuelle ou sonore par l’utilisation des technologies numériques de l’image et du son (CVS) et aide pour la musique originale.
Koya Kamura, lost in translation
Trois questions au réalisateur de « Homesick » sur son travail au Japon
Réalisateur français, vous avez tourné au Japon, avec des acteurs et des équipes japonaises. Comment vous organisiez-vous pour transmettre vos consignes et vous faire comprendre de tous ?
Je parle un peu japonais, mais très mal ! Sur place, je commençais à échanger avec les équipes en Japonais, mais dès que l’échange nécessitait un vocabulaire technique, ou d’entrer dans des nuances précises, je me faisais aider. J’avais deux assistants réalisateur ; l’un des deux parlait très bien anglais et japonais et me permettait donc de me faire comprendre, auprès des techniciens ou des comédiens pour indiquer des directions de jeu. Par ailleurs, j’ai écrit le film en français, puis il a été traduit en japonais. Mais de manière un peu littérale. Au moment du tournage, nous nous sommes rendu compte que certains dialogues sonnaient étrangement. Du coup, avant chaque scène, nous prenions le temps de nous poser avec les comédiens pour faire des ajustements. Il a fallu un peu de temps, car il y a un rapport hiérarchique très marqué là-bas et personne ne voulait remettre en cause ce que j’avais écrit ! Mais ils ont fini par se désinhiber sur ce point et proposer des choses.
Les différences culturelles entre la France et le Japon sont fortes. Au moment de l’écriture et quand vous avez « façonné » les personnages, avez-vous craint de porter un regard trop occidental sur ce pays ?
Les Japonais me disent que mes personnages, dans leurs comportements, sont effectivement très européens. Ils ne réagissent peut-être pas comme des Japonais réagiraient, et cela m’a gêné au début. Puis j’ai finalement assumé que ce film porte « mon » regard et « ma » version des relations humaines. Mes parents sont japonais, mais je suis né et ai vécu toute ma vie en France. J’assume donc que mon regard soit métissé. Mais je n’ai pas encore montré le film au Japon, et c’est un moment que j’appréhende vraiment, car j’ai effectivement pris un certain nombre de libertés avec les comportements des Japonais.
Le film parle du deuil, de la mort…
Sur ces points, il y a effectivement de grosses différences culturelles. La thématique du deuil est très présente dans le film. Or, le rapport à la mort, ainsi que les rites, sont très différents entre nos deux pays. Même en ce qui concerne les fantômes : au Japon, on en parle beaucoup, et contrairement à ce que l’on imagine en France, ils ne sont ni agressifs, ni effrayants. Il y a quelque chose de très paisible dans le rapport aux fantômes au Japon. C’est pour cela que j’ai voulu que le personnage de Jun soit très enjoué.
Table ronde « Talents en court » organisée dans le cadre de l’Urban Films Festival
étude de cas autour du court métrage Homesick le samedi 12 octobre 2019