Hommage à Antoine Blondin : L’histoire d’« Un singe en hiver »

Hommage à Antoine Blondin : L’histoire d’« Un singe en hiver »

07 juin 2021
Cinéma
Un singe en hiver marque la première et unique collaboration Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo
Un singe en hiver marque la première et unique collaboration Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo Roissy Films

Alors qu’Antoine Blondin disparaissait voilà exactement trente ans, le 7 juin 1991, retour sur la plus célèbre adaptation de ses œuvres au cinéma : Un singe en hiver d’Henri Verneuil, avec le duo Belmondo-Gabin. Un film sorti en 1962.


Nous sommes au tout début des années 60. Voilà onze ans qu’Antoine Blondin a débuté sa carrière d’écrivain avec L’Europe buissonnière (1949). Et s’il a déjà travaillé pour le cinéma comme scénariste à trois reprises (La Route Napoléon et Obsession de Jean Delannoy en 1953 et 1954 ainsi que La Foire aux femmes de Jean Stelli en 1956), aucun de ses livres n’a jusqu’alors été adapté sur grand écran. C’est là que Henri Verneuil – qui vient d’enchaîner Le Président et Les Lions sont lâchés – commence à s’intéresser de très près (avec ses habituels complices d’écriture, François Boyer et Michel Audiard) à Un singe en hiver qui a remporté le prix Interallié en 1959. Un face-à-face dans un bar de la côte normande entre deux alcooliques jamais ivrognes : Gabriel Fouquet, jeune et remuant publicitaire qui noie dans la boisson l’échec de sa vie sentimentale et Albert Quentin, un ancien fusilier marin.

Le trio Gabin/Verneuil/Audiard est alors sous contrat pour trois longs métrages avec la Metro Goldwyn Mayer France. Verneuil va donc spontanément leur présenter Un singe en hiver. La réaction des responsables de MGM est sans appel : un refus catégorique pour ce qu’ils considèrent n’être rien d’autre qu’une banale histoire d’ivrognes. Verneuil et ses deux scénaristes sont alors contraints de trouver un autre projet, l’adaptation d’Au large de l’Éden de Roger Vercel, qui retrace l’une des premières expéditions de la pêche à la morue. L’écriture commence, un morutier est réservé à Saint-Malo, on fait monter à bord Jean Gabin qui en redescend aussi sec, incommodé par les odeurs de gazole et de poisson mêlées. Au large de l’Éden vient de mourir de sa belle mort. Et le temps presse. Si Gabin ne trouve pas chaussure à son pied dans les prochaines semaines et ne tourne pas, la MGM devra lui payer un dédit. Alors, Henri Verneuil revient à la charge avec Un singe en hiver. La MGM n’apprécie toujours pas le projet mais se retrouve coincée. Comme il s’agit du seul scénario prêt à être tourné, elle donne son feu vert.

Ce sera la troisième fois que Jean Gabin tournera sous la direction d’Henri Verneuil après Des gens sans importance et Le Président. Pour lui donner la réplique, Verneuil pense tout de suite au jeune comédien révélé deux ans plus tôt dans À bout de souffle : Jean-Paul Belmondo. C’est le début d’une belle histoire entre les deux hommes, puisqu’ils se retrouveront par la suite pour Week-end à Zuydcoote, Cent mille dollars au soleil, Le Casse, Peur sur la ville, Le Corps de mon ennemi et Les Morfalous. Verneuil parle de son idée à Gabin qui la valide aussitôt. Il offre le rôle à Belmondo qui, bien qu’impressionné à l’idée de se retrouver face à Gabin, ne se départ pas de son caractère et demande frontalement au réalisateur s’il sera là pour servir la soupe à la star. Verneuil lui jure que les deux rôles sont à égalité. Belmondo tope là. Le tournage peut débuter.

Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo jouent deux igvrognes dans Un singe en Hiver Europacorp

Henri Verneuil s’entoure d’un autre de ses fidèles à la lumière, Louis Page, ainsi que Claude Pinoteau (présent sur Les Amants du Tage) et Costa-Gavras comme assistants-réalisateurs. L’ambiance sur le plateau est pour le moins à la distance. Fidèle à sa réputation bougonne, Jean Gabin ne vient même pas saluer ni encourager le jeune Belmondo à son arrivée. Mais celui-ci, loin de se laisser déstabiliser, ne cherche pas non plus le contact à tout prix et passe son temps, entre chaque prise, plongé dans les pages de L’Équipe. C’est précisément cette attitude qui va intriguer Gabin et le pousser briser la glace après plusieurs semaines. D’abord en parlant football, puis en élargissant les sujets de conversation. La phrase d’Un singe en hiver, « Embrasse-moi, mec ! Tiens, t’es mes 20 ans » aurait pu sortir de la bouche de Gabin lui-même qui n’appelle plus Belmondo que par « le môme ».
Leur complicité va servir énormément au film, notamment dans les scènes d’ivresse – que Gabin redoutait, n’en ayant jamais tourné – où les deux acteurs se lâchent. De même pour l’interprétation de la fameuse chanson Nuits de Chine, pour laquelle Gabin est pris de fous rires à répétition devant un Belmondo chantant aussi faux que fort.

La sortie du film sera, dans un premier temps, moins joyeuse. Le ministre de la Santé tente d’interdire en vain Un singe en hiver, l’accusant d’inciter à la consommation d’alcool. La critique apparaît extrêmement divisée, même si Truffaut célèbre le travail de Belmondo, le désignant à l’époque comme « le meilleur acteur actuel et le plus complet ». Antoine Blondin célèbre lui aussi la qualité « d’un film mieux réussi que son livre ». Ce pur film d’acteurs – où la mise en scène de Verneuil est entièrement mise au service du duo – va attirer un large public. Avec plus de 2 millions d’entrées, Un singe en hiver fait partie du top 15 de cette année 1962. De son côté, Jean-Paul Belmondo remporte son deuxième succès consécutif après Cartouche de Philippe de Broca. Cela restera sa seule expérience – et quelle expérience ! – avec Jean Gabin.