Hubert Viel : « Avec Louloute, je ne célèbre pas les années 80 mais l’enfance »

Hubert Viel : « Avec Louloute, je ne célèbre pas les années 80 mais l’enfance »

18 août 2021
Cinéma
Louloute (c) Tandem.jpg
"Louloute" de Hubert Viel Tandem

Le troisième long métrage du réalisateur d’Artemis, cœur d’artichaut met en scène une jeune femme qui, peu avant la vente de la ferme familiale, replonge dans ses souvenirs d’enfance et le quotidien de ses parents, des producteurs laitiers frappés par la crise des années 80. Pour le CNC, le cinéaste revient sur sa manière de mettre en scène cette époque dans son film.


Qu’est-ce qui vous a conduit à situer l’action de Louloute dans les années 80 ?

Au départ, je voulais simplement travailler sur la question de l’enfance, avec l’idée que beaucoup de gens puissent s’y reconnaître. J’ai donc commencé par écrire un scénario assez éthéré, sans contexte social ou géographique particulier. Louloute était centré principalement sur les enfants. Il y avait moins d’interaction avec les parents. Puis, sur les conseils de mon producteur de l’époque, j’ai décidé d’y injecter davantage de concret. C’est là que sont apparues les années 80.

Pour quelles raisons ?

Parce que ce sont les années de mon enfance. Je savais donc que je serais à l’aise pour les décrire et surtout montrer en quoi cette période a quelque chose qui lui est esthétiquement propre, en termes de couleurs notamment. Je souhaitais aussi rajouter un élément sociopolitique dans mon scénario. Or les années 80 correspondent au début de la crise du lait qui va provoquer la chute du père de Louloute, et constitue finalement la matrice de ce que le monde agricole vit de nos jours. Le film s’est donc installé de manière tout à fait naturelle dans cette époque. Ma deuxième phase d’écriture et toute la phase de préparation ont alors consisté à investir cette période. En agissant sur l’infiniment grand comme sur l’infiniment petit. En se demandant aussi bien comment traiter la crise du lait que quel pyjama choisir pour Louloute. C’est aussi à ce moment-là que sont nées toutes les scènes avec Louloute adulte qui replonge dans ses souvenirs d’enfance. Au fil de cette deuxième phase d’écriture, Louloute est devenu un film-souvenir, avec un côté un peu halluciné assumé. C’est pour cela que j’ai poussé les couleurs, les couchers de soleil avec un côté anti-carte postale. Je voulais de l’ultra-naturalisme qui peut à tout moment se mettre à briller très fort.

Comment composez-vous cet univers visuel avec votre directrice de la photo, Alice Desplats, que vous retrouvez après Artémis, cœur d’artichaut et Les Filles au Moyen Âge ?

Ce travail se fait à quatre avec Alice, la chef décoratrice Marine Fronty et l’accessoiriste. Nous sommes tous nés dans les années 80 ; les recréer à l’écran avait quelque chose de naturel pour nous. Il n’y avait pas de recherche particulière à faire, juste à remonter dans nos souvenirs. J’ai simplement montré à Alice deux films étalons pour expliquer ce que je souhaitais raconter à l’image : La Boum de Claude Pinoteau et À nos amours de Maurice Pialat, un film carte postale et un film plus naturaliste. À partir de là, j’ai laissé faire Alice car je préfère toujours laisser les membres de mon équipe s’approprier les directions que je leur ai données. Mon travail consiste à savoir bien les choisir !

Les années 80 se créent aussi dans votre film par les choix musicaux, avec notamment la chanson d’Agathe et les Regrets, Tout le monde s’amuse. Ces titres étaient présents dès l’écriture du scénario ?

J’avais en effet des morceaux en tête, même s’il y en a plusieurs que je n’ai pas pu obtenir pour des raisons financières ou de litiges entre les différentes majors possédant les droits comme le duo France Gall-Elton John, Donner pour donner. Tout le monde s’amuse, que vous évoquez, faisait partie, elle, des propositions du directeur musical du film, Frédéric Alvarez. Elle convenait parfaitement pour cette scène où, à l’écran, tout le monde s’amuse sauf Louloute ! C’est devenu aujourd’hui un morceau très bobo parisien qu’on écoute encore dans certaines soirées et il correspond du coup parfaitement au personnage de Laure Calamy qui a moins les pieds dans la boue que son mari ! Puis, comme on avait peu d’argent pour les droits musicaux, on a créé nous-mêmes deux chansons « à la manière » des années 80. Pour cela, j’ai travaillé avec Frédéric Alvarez de la même manière qu’avec mes autres collaborateurs. Tout part du scénario – j’essaie qu’il puisse être lu comme un roman et non comme un banal outil de travail – puis passe par des échanges autour de la couleur sonore que je souhaite insuffler au film. L’idée, par exemple, de faire appel à des synthés plus qu’à des pianos. 

La musique de ce film devait être ludique, un peu robotique, ressembler à un de ces jouets des années 80 avec des piles !

Louloute baigne dans une forme de douce nostalgie, sans verser dans le côté passéiste. Comment évite-t-on de tomber dans cet écueil ?

En tirant simplement le fil du récit et en suivant ce que vit Louloute. Je revendique la nostalgie du film, mais j’invite le spectateur à avoir la même pour l’époque où il était enfant.

Je ne célèbre pas les années 80 mais l’enfance. Louloute est un véhicule à émotions et à réflexions sur l’enfance.

Tout ceci se modifie beaucoup au montage ?

Énormément. Car la majorité de ceux à qui j’avais montré le premier montage, très fidèle au scénario, ne s’y retrouvaient pas, regrettaient des longueurs, un certain ventre mou au cœur du récit, des passages entre passé et présent mal orchestrés… Alors, on s’est remis au travail avec mon monteur Fabrice du Peloux et on a multiplié les séances tests avec diverses configurations de montage.

Qu’est-ce qui a le plus changé ?

J’ai dû faire le deuil toujours difficile de séquences entières, on a aussi permuté de nombreuses scènes et rajouté au film, qui avait déjà deux fins – la vente de la ferme et la fin de l’enfance de Louloute avec la mort du père –, une troisième fin qui revient à terminer par le milieu du récit, par un moment heureux. J’ai tout de suite aimé l’idée de ces trois fins, cette sensation d’un film en boucle comme un vinyle rayé qui saute sur une platine car, dans tous mes films jusque-là, j’ai toujours travaillé sur la non-linéarité du temps. La musique a aussi joué un rôle décisif dans cette étape du montage. Elle est présente en permanence comme dans un dessin animé de Miyazaki. Une musique volontairement assez orchestrale qui éloigne le récit de tout réalisme. Elle me permet d’aider le spectateur à accepter les ruptures de ton et de temporalité. Le film est beaucoup plus abrupt que dans sa première version, dans les allers-retours entre les années 2020 et les années 80. Avec cette idée qu’on ne sait plus trop à certains moments si on se situe dans le passé ou dans le présent, si ce qu’on voit correspond à des souvenirs fantasmés ou à des événements qui ont réellement eu lieu. Comme un jeu permanent.
 

Louloute

Réalisation et scénario : Hubert Viel
Directeur de la photographie : Alice Desplats
Montage : Fabrice du Peloux
Musique : Frédéric Alvarez
Producteur : Nicolas Anthomé pour Batysphère
Coproducteur : Artisan du film
Distributeur : Tandem

Aides obtenues auprès du CNC : Avance sur recette après réalisationAides à la création de musiques originalesAide à la distribution (aide au film par film)