Irène Jacob : « Pour le public, Bertrand Tavernier restera toujours présent, mais surtout, il restera toujours au présent »

Irène Jacob : « Pour le public, Bertrand Tavernier restera toujours présent, mais surtout, il restera toujours au présent »

12 octobre 2021
Cinéma
Irène Jacob a été nommée à la présidence du Festival Lumière le 30 septembre dernier.
Irène Jacob a été nommée à la présidence du Festival Lumière le 30 septembre dernier. Richard Schroeder
Prix d’interprétation à Cannes pour son rôle dans La Double Vie de Véronique, Irène Jacob est un visage - et une voix - incontournable du cinéma français. Mais elle est aussi, depuis quelques jours, la présidente de l’Institut Lumière. Entre deux présentations de films, elle répond à nos questions sur cette nouvelle fonction, et sur ce festival à nul autre pareil.

Avant de parler de vos nouvelles fonctions, je voulais revenir sur la soirée hommage à Bertrand Tavernier. Vous avez eu des mots très émouvants…

Bertrand a rêvé cet endroit, et l’a présidé pendant quarante ans. Depuis 1982 pour être exact. Il a eu une inspiration folle en lançant l’Institut Lumière : géolocaliser le cinéma, créer cette rue du Premier Film, faire le Musée Lumière, porter le festival… C’est une institution fabuleuse. Vivante. D’ailleurs, la réponse du public est énorme ! Ce que je voulais dire lors de la soirée de dimanche, ce que je voulais transmettre, c’était ça. Rappeler que l’ombre de Bertrand Tavernier est toujours avec nous. Et que pour le public, non seulement Bertrand restera toujours présent, mais surtout, il restera toujours au présent. Il a impulsé une incroyable énergie et chaque jour en témoigne, chaque projection le montre : nous bénéficions tous, encore, de cette énergie. En rentrant dans cette maison, je vois qu’elle est chargée de cette énergie, chargée de talents aussi. Chargée d’amour du cinéma. J’ai été incroyablement émue quand Thierry Frémaux m’a proposé de devenir la présidente. 

Comment cela s’est-il passé ?

Très naturellement. Pendant quelques années, je suis venue présenter des films. Et puis, l’année dernière, j’ai franchi une étape, je suis devenue ambassadrice. J’ai des grands-parents lyonnais et mon père a grandi à Lyon. Cet attachement à la ville est important pour Thierry, et un jour, il m’a proposé de participer au conseil d’administration. Sans trop savoir à quoi cela correspondait, je trouvais l’idée séduisante, parce que je savais que je rejoindrais une équipe créative et très enthousiaste. Ça me permettait aussi de redécouvrir le cinéma. Après, les choses ont été très vite : six mois plus tard, Thierry, Maëlle Arnaud et Cécile Bourgeat m’ont proposé la présidence. Cette marque de confiance du conseil m’a émue. Et je vais tâcher d’y répondre de mon mieux. 

En quoi cela va consister, et quels seront vos premiers « actes » de présidente ?

C’est très récent et c’est une fonction toute nouvelle. D’abord, j’attends de rencontrer l’équipe. Je vais être à leur écoute. Il va falloir que je comprenne comment tout est financé, que je rencontre les partenaires – parce que ce sera l’une des parties clés de ma fonction. Quand je réfléchis au travail d’une présidente, je l’imagine comme une fonction d’incarnation, de discussion, de rencontre. C’est une institution très dynamique et je veux aider les nouveaux projets à voir le jour. L’institut et le festival ne se sont jamais reposés sur leurs lauriers. De fait, porté par l’énergie de Thierry Frémaux et par cette équipe formidable, Lumière se renouvelle constamment. J’essaierai d’y prendre ma part. 

Quelles sont les valeurs essentielles de cet institut selon vous ?

Le partage. Partager l’amour du cinéma dans cette ville est un bonheur. C’est vraiment pour moi une notion essentielle : j’étais récemment dans un hôpital pour présenter un film, et ce genre d’expérience n’a pas de prix. D’ailleurs, c’est comme cela que Thierry conçoit cet événement. Il réussit à faire venir beaucoup de monde au festival. Public et personnalités.

Cette année, vous croisez Paolo Sorrentino, Jane Campion ou Joachim Trier. Je dis parfois que ce sont des cigognes : ils viennent et ensuite repartent pour mieux faire rayonner le message du festival. C’est un festival très joyeux, populaire !

Cette notion rejoint votre travail d’actrice. Vous avez joué pour Kieslowski ou Antonioni comme pour Riad Sattouf et John Badham. Et à l’image de votre carrière, le festival panache films ou événements très populaires et des rétrospectives plus pointues.

C’est effectivement comme cela que l’ont conçu Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux. Vous me demandiez les valeurs du festival ? Je pense que son ADN, c’est la transmission. Les séances sont introduites par des personnalités et c’est un peu comme si on présentait au public un ami. Quelqu’un qui ne connaît pas le cinéma muet a pu découvrir lors de la soirée d’ouverture Le Cameraman de Buster Keaton grâce à Vincent Delerm qui a joué la musique d’accompagnement. C’est une manière festive de présenter ces chefs-d’œuvre à de nouveaux publics. 

Le succès du festival est incontestable…

Oui ! Chaque projection est pleine ! Il y a des files d’attente pour toutes les séances. J’aime l’idée que le public se presse pour voir un film de Jane Campion ou qu’il se dise que c’est essentiel de revoir en salles des œuvres comme Huit et demi ou Propriété interdite. Et puis, quand je parlais des présentations, elles ont une autre vertu. Je suis allée revoir L’Horloger de Saint-Paul introduit par Thierry Frémaux et Philippe Sarde. Leurs propos, leur émotion avant la séance ont nourri ma vision du film. 

Quels sont les films que vous avez ou allez présenter pour cette édition ?

J’ai présenté Tootsie, In the Cut, On achève bien les chevaux, Huit et demi… Je n’ai pas le temps de revoir les films malheureusement. Je peux vous dire que je serais bien restée regarder Huit et demi dans la copie présentée à Lumière. Tous en fait ! (Rires.) 

Est-ce que vous avez un panthéon de cinéastes que vous aimeriez voir célébrés à Lyon ?

Je ne vais pas commencer mon mandat en me froissant avec des gens. Plus sérieusement, je n’aime pas vraiment l’idée de faire un classement de cinéastes… Ce n’est pas un hasard si Lyon n’a pas de compétition. Mais je vais vous en citer un qui résume beaucoup de choses : Charlie Chaplin. Il a réussi des films qui étaient très audacieux, très engagés, visionnaires, poétiques. Des œuvres drôles, tristes, virtuoses, inventives. Qui peuvent être vues par des publics jeunes comme par des adultes, venant de toutes les cultures. Quand je pense à ce cinéaste, j’ai l’impression que son imaginaire et son amour du cinéma n’ont aucune limite. Il écrit, compose les musiques, réalise. Il y a beaucoup d’immenses cinéastes, mais là se trouve, à mon avis, une source unique d’inspiration. Pensez au Dictateur : imaginer qu’il a réalisé ça en pleine guerre ? Avec cette liberté de ton, cette vision politique, cet humour ! Oui, Chaplin, incarne bien une belle idée du cinéma !