Itinéraire d’un exploitant de salle de patrimoine : Lorenzo Chammah et les salles Paris Cinemas Club

Itinéraire d’un exploitant de salle de patrimoine : Lorenzo Chammah et les salles Paris Cinemas Club

La Chambre verte de François Truffaut
La Chambre verte de François Truffaut Films du Carrosse- DR - T.C.D.
Comment gère-t-on une salle de patrimoine ? Lorenzo Chammah, programmateur du réseau Cinéma Club (Christine et Les Ecoles) détaille au CNC les enjeux et les décisions d’un exploitant de films de répertoire.

Pouvez-vous décrire votre réseau de salles parisiennes ?

Le réseau Paris Cinéma Club comprend deux cinémas de deux salles chacun, Ecoles Cinema Club et Christine Cinéma Club, consacrés aux films de répertoire. Préalablement appelées Action Christine et Action Ecoles, ces salles faisaient partie d’un réseau existant ; nous les avons rebaptisées Christine Cinema Club et Les Ecoles Cinema Club. Le réseau Action avait été créé par deux amis, Jean-Max Causse et Jean-Marie Rodon, cadres au sein de la même compagnie d´assurances. L'un rêve de cinéma, l'autre d'indépendance. En 1966, ils rachètent le Studio Action qui très rapidement devient l'Action Lafayette. La programmation de films américains, à l'époque très audacieuse, leur apporte rapidement succès et notoriété : l´Action Lafayette devient le temple de la Nouvelle Vague. Il y aura jusqu’à sept salles dans le réseau. Cette aventure est relatée dans un documentaire d’Elise Girard et de Joëlle Oosterlinck, Seuls sont les indomptés, réalisé en 2003.  Les salles ont été progressivement cédées au cours des années 2000. L’Action Christine et l’Action Ecoles ont été achetées par Jean-Pierre Mocky. Il a cédé le premier cinéma au bout de 6 mois, le 1er avril 2015, à Ronald Chammah, producteur et distributeur des Films du Camélia, et le deuxième quelques années plus tard au même propriétaire. J'en assure la programmation.

Quels sont les défis que vous avez eu à relever ?

Lorsqu’on a repris le Christine, les entrées étaient extrêmement faibles. Les cinéphiles l’avaient rayé de leur carte. Notre défi, en reprenant ces salles, a été de garder une identité propre de programmation de classiques hollywoodiens, italiens, tout en les redynamisant. Il y a un avenir à réinventer dans les cinémas de patrimoine au 21eme siècle. Il faut renouveler ce genre de salles.

Quelle est votre stratégie ?

Il faut redonner de la beauté et de la distinction à tout ce qu’on entreprend. On a commencé par redonner un vrai coup de jeune aux salles restées trop souvent dans leur jus depuis les années 1970. Les cinémas, en termes d’infrastructure, étaient dans un état de délabrement avancé. A l’Action Ecoles, que Jean-Pierre Mocky avait rebaptisé Le Desperado, le chauffage ne marchait pas, un siège sur deux était cassé. On a fait des gros travaux. Il fallait redonner leurs lettres de noblesse à ces salles et offrir des conditions de visionnage dignes de notre époque. Ce lifting est venu s’accompagner d’un changement de nom ; les salles ont pris l’appellation « Cinéma Club ». Nos spectateurs doivent avoir le sentiment d’être liés dans ce « mini-réseau », c’est pour cela que notre programme est édité recto-verso afin d’entretenir la liaison entre les deux salles. La concurrence est rude dans le Quartier Latin, mais on cherche à avoir cette chose indéfinissable qui nous distingue des autres. Notre stratégie passe aussi par une communication digitale poussée sur les réseaux sociaux pour créer des communautés et conquérir un public perdu ou un nouveau public. Nous voulons nous ouvrir au jeune public à travers des ciné-clubs et des festivals. Enfin, il faut renouveler la programmation en redonnant de l’intérêt à ces salles qui passaient de moins en moins de films et commençaient à tourner en rond.

Alors que les films de patrimoine sont disponibles en ligne ou en DVD, comment raviver l’intérêt de les voir en salles ?

C’est vrai qu’aujourd’hui, on trouve tout partout, et il n’y a plus vraiment de limites à l’offre quelle qu’elle soit. Mais la magie de la salle de cinéma qui a résisté à la télévision dans les années 1980 et à internet dans les années 1990- 2000, c’est précisément d’offrir une émotion collective. Aller à la salle de cinéma, c’est se déplacer vers la culture, revenir à un art de vivre. C’est aussi l’idée de découvrir des films dans le cadre qui leur est dévolu originellement, c’est-à-dire une grande salle obscure et un très grand écran. L’art, et le cinéma en particulier, a besoin d’être vu dans des conditions particulières pour être apprécié comme il se doit. La salle de cinéma offre une expérience qui n’est pas égalée.

Comment choisissez-vous les films que vous programmez ?

Notre vision artistique c’est de réfléchir à la façon dont on va amener les films. On va les mettre en avant par cycles ou par des événements exceptionnels ; en surfant sur l’actualité ou en honorant un grand artiste disparu récemment. On a aussi eu envie de donner une approche un peu particulière de la carrière d’un cinéaste avec, par exemple, le Woody Club, un ciné-club bimestriel où une personnalité choisit un film de Woody Allen pour lui rendre hommage.

Est-il toujours facile de trouver les copies ?

Notre fonctionnement par cycles nous oblige souvent à batailler pour trouver les copies. Certains films n’ont pas d’ayants droit sur le sol français, d’autres ont des ayants droit mais plus de matériel. Je dois saluer le travail de Park Circus, un distributeur britannique qui restaure beaucoup de classiques hollywoodiens dont le catalogue grossit chaque année. Et quand véritablement, nous ne parvenons pas à trouver les titres qui nous intéressent, alors nous renonçons – provisoirement - au cycle.

Quels cycles ont eu le plus de succès ?

L’hommage à Ettore Scola au moment de sa disparition a été un succès phénoménal. L’été dernier, on a eu un très beau cycle de films coréens aussi. Ce qui est bien, c’est de mélanger des titres connus de tous et quelques trouvailles qui suscitent la curiosité des cinéphiles les plus alertes. La difficulté de ce métier c’est qu’il n’y a pas vraiment de vérité générale. Ainsi dans le cycle Truffaut, on pouvait penser qu’un film méconnu, comme La Chambre verte - que j’aime beaucoup - serait privilégié par un cercle de cinéphiles rompu aux sorties, aux ressorties et toujours à l’affût de nouvelles pépites. Mais c’est Le Dernier Métro qui a fait fureur.

Est-ce difficile de trouver son équilibre économique quand on exploite une salle de patrimoine ?

C’est une économie très fragile. On savait que les premières années serviraient à redresser la situation. Quand nous avons repris le Christine, ses entrées étaient inférieures à 35000 par an, aujourd’hui nous sommes au-dessus des 50000. Nous avons le label « Patrimoine et Répertoire ». Le CNC, la région Ile-de-France et la Mairie de Paris sont les trois pourvoyeurs annuels de nos aides sans lesquelles nous ne survivrions pas. Nous faisons partie du dispositif CIP, Cinémas Indépendants Parisiens, et nous permettons aux détenteurs de la carte CIP d’avoir un prix préférentiel. Nous avons aussi notre propre carte de fidélité qui offre plein d’avantages. Se consacrer exclusivement aux films de répertoire est une belle fierté pour nous.