Jacques Perrin : “Ce n’est pas un métier, le cinéma, c’est une façon exaltante de vivre ”

Jacques Perrin : “Ce n’est pas un métier, le cinéma, c’est une façon exaltante de vivre ”

08 mars 2019
Jacques Perrin dans Rémi sans famille
Jacques Perrin dans Rémi sans famille Jerico - TF1 Studio - TF1 Films Production - Nexus Factory

Reçu à l’Académie des Beaux-Arts le 6 février dernier, le producteur, cinéaste et acteur Jacques Perrin revient sur son élection à cette prestigieuse institution.


Comment est-on élu à l’Académie des Beaux-Arts ? Y a-t-il un processus précis à suivre ?

Je ne sais pas du tout ! Il y a quelque temps, le secrétaire perpétuel de l’Académie, Laurent Petitgirard, m’a proposé d’y entrer. “Tu n’as à t’occuper de rien, tu acceptes ou pas”, m’a-t-il déclaré. J’ai répondu oui car Pierre Schoendoerffer m’avait déjà incité à y aller par le passé mais, à l’époque, j’étais trop occupé. Je n’ai ensuite plus eu de nouvelles, puis, un beau jour, j’ai appris que j’étais élu.

Vous souvenez-vous de votre réaction à ce moment-là ?

J’avoue que j’ai été surpris car mes territoires de compétences et de savoir sont quand même très limités. Comment un garçon qui a brillamment eu son certificat à 15 ans peut-il rentrer à l’Académie ? (rires) Sur place, j’ai fait la connaissance de peintres, de sculpteurs, de scientifiques avec qui on peut échanger. “Des gens de bonne compagnie”, comme disait mon ami Schoendoerffer.

Concrètement, comme cela se passe-t-il ? Avez-vous des obligations ?

Il y a des réunions tous les mercredis auxquelles se rendent les gens disponibles. On débat de tout, c’est complètement libre, loin de tout académisme. Ce n’est absolument pas poussiéreux. Récemment, on m’a suggéré d’écrire un article sur la couleur. Je m’y suis plié volontiers.

Jean-Jacques Annaud, dont vous aviez produit le premier long métrage, La victoire en chantant, a prononcé votre discours d’installation. Il a insisté sur votre fidélité à des cinéastes et à vos proches, collaborateurs ou membres de votre famille, qui vous accompagnent depuis longtemps. La fidélité est-elle votre principal trait de caractère ?

Dans la vie, on n’est pas tout seul. On vit individuellement à plusieurs. La fidélité, c’est la trace qu’on peut laisser en vivant, tout simplement. Cela implique aussi une forme de protection envers ceux qui vous sont proches.

C’est Christophe Barratier, votre neveu réalisateur, qui vous a remis votre épée...

Costa-Gavras, qui était prévu, est tombé malade trois jours avant la cérémonie. L’ironie, c’est qu’une semaine plus tôt, c’était moi qui avais eu une petite attaque lors d’une projection de Z, qui a nécessité une courte hospitalisation...  Christophe a accepté de remplacer Costa au pied levé. Il m’a beaucoup amusé parce que son intention initiale était de l’imiter ! Je lui ai dit qu’on n’était pas au cabaret quand même. (rires)

Impossible de ne pas évoquer Michel Legrand, mort quelques jours avant votre installation, dont le nom reste associé à deux de vos films les plus emblématiques comme acteur : Les demoiselles de Rochefort et Peau d’âne. L’ombre de tous ces grands artistes que vous avez croisés au cours de votre carrière planait-elle autour de la cérémonie ?

Bien sûr, ils sont indissociables de mon parcours. S’agissant de Michel, sa complicité avec Jacques Demy était fantastique à observer. On aurait dit qu’ils formaient une seule personne. Ce sens de la rythmique, du jazz, qu’ils avaient tous les deux a donné quelques chefs-d’œuvre quand même...

Dans votre discours de remerciement, comme le veut l’usage, vous avez fait l’éloge de Francis Girod, votre prédécesseur à l’Académie, cinéaste un peu sous-estimé dont vous dites qu’au fil des années, « la trace s’inscrit avec force dans l’histoire du cinéma français. » Est-ce quelqu’un que vous avez fréquenté ?

Pas vraiment. Je l’avais rencontré du temps de L’Horizon (1967, Jacques Rouffio), dont il était coproducteur. Je me souviens de sa grande discrétion. Pour ce discours, je me suis beaucoup documenté et ai revu ses films. J’ai notamment découvert son talent de documentariste. C’est étonnant ce qu’il a fait, sur la Shoah, l’oubli, la mémoire... C’est un cinéaste en effet sous-estimé à propos duquel il y avait beaucoup de choses à exprimer.  

Vous êtes derrière deux des succès de l’hiver : Mia et le lion blanc (coproducteur) et Rémi sans famille (acteur). Quel est votre secret pour sentir les bons projets ?

C’est gentil mais ce n’est pas tout à fait vrai. S’agissant de Mia et le lion blanc, j’ai été très sensible aux recommandations de Nicolas Elghozi, qui travaille avec moi, et de ma femme, Valentine Perrin. Leur enthousiasme pour le film de Gilles de Maistre était tel que je les ai suivis.

Vous avez quand même du flair, en général

On en a tous. Le flair, l’idée, l’émotion, les sentiments qui vous attachent à un projet sont primordiaux. Être producteur, c’est être avocat. Il faut défendre quelque chose. Avec mes collaborateurs, on cherche à se bluffer en permanence. Jamais on ne se pose la question du potentiel commercial d’un film. Je n’aime pas les professionnels de la profession. Jacques Demy disait une chose formidable : “Je suis un grand amateur !”. Il aimait la vie avant tout. Avec le cinéma, on regarde mieux, on s’arrête un peu plus. Ce n’est pas un métier, le cinéma, c’est une façon exaltante de vivre.