Jaime Rosales, un réalisateur qui cultive le mystère

Jaime Rosales, un réalisateur qui cultive le mystère

10 mai 2019
Cinéma
Petra de Jaime Rosales
Petra de Jaime Rosales Condor Distribution

Ce n’est pas le plus connu des cinéastes espagnols mais sûrement l’un des plus atypiques. Avec Petra, son nouveau film, Jaime Rosales confirme un regard à part.


2003. Les festivaliers cannois découvrent, dans le cadre de la Quinzaine des réalisateurs, Las horas del dia (Les heures du jour) de Jaime Rosales. Portrait d’un implacable tueur en série filmé comme monsieur-tout-le-monde (il massacre sauvagement ses victimes, au hasard, entre deux activités banales), le film choque et installe d’emblée Rosales parmi les grands cinéastes du Mal, aux côtés d’un certain Michael Haneke auquel on ne cessera plus de le comparer.

Totalement inconnu, le cinéaste catalan, né à Barcelone, cultive la discrétion, voire le secret. L’homme accorde peu d’interviews, ne se livre jamais. Impossible de trouver un portrait exhaustif expliquant d’où il vient, ce que sont ses goûts, ses influences -il concède un lien avec le cinéma européen. L’élément le plus personnel qu’on connaît de lui, c’est qu’il a étudié l’économie, puis le cinéma dans des écoles à Cuba et en Australie. Il parle également français. Jaime Rosales est une véritable énigme dont l’œuvre est en quelque sorte un sésame vers sa personnalité.

Ce qu’il pense du monde est sans doute là, présent à l’image. Mais où ? Dans les personnages solitaires et dépressifs de Las horas del dia et de La Soledad (2007) ? Dans la quête de spiritualité à l’œuvre dans Rêve et silence (2012) ? Dans la question du terrorisme et de l’indépendance qu’il transpose de la Catalogne au Pays Basque (pour mieux se cacher ?) dans Un tir dans la tête ? Comme Haneke, Jaime Rosales laisse le soin aux spectateurs d’interpréter ses films et de projeter sur eux leurs fantasmes. Rosales est-il de droite, de gauche, indépendantiste, misanthrope, humaniste ? Peu importe, après tout, tant que le frisson et le mystère sont au rendez-vous.

De frissons et de mystères, il est justement beaucoup question dans Petra, le sixième film de Jaime Rosales et sans doute son plus hanekien depuis La Soledad. Petra est le prénom de l’héroïne, une artiste trentenaire qui entre en résidence dans la demeure d’un célèbre sculpteur, Jaume (Jaime, en catalan). Très vite, on apprend qu’elle pense être la fille illégitime de cet individu méprisable, odieux avec son fils, Lucas (le demi-frère supposé de Petra, donc), et à peine aimable avec Marisa, son épouse jouée par Marisa Paredes. Les mensonges répétés de Jaume, le trouble naissant entre Petra et Lucas, le silence coupable de Marisa, la soumission aveugle et insupportable des employés… Tous les éléments de la tragédie à venir sont mis en place par Rosales de façon quasiment mathématique (son côté cartésien, hérité de ses études d’économie ?), avec un travail sur le cadre, l’espace et le hors-champ qui emprisonne les personnages, les étouffe jusqu’à une libération forcément explosive.

Rosales aime dilater les plans à l’extrême où il laisse infuser une sourde menace, répandre le venin. L’émule espagnol d’Haneke n’est pas avare d’effets choc. Appelez ça de la manipulation (leurs détracteurs utilisent souvent cet argument), le pouvoir de fascination que ce cinéma exerce est indubitable. « Je dirais que Petra est un film sur la recherche de soi et sur la rédemption, dit-il dans sa note d’intention. Il est né de la nécessité d’aller à la rencontre du spectateur. » A ce dernier d’en relever les indices secrets et, peut-être, d’arriver à percer le mystère Rosales.

Petra, sorti le 8 mai, a bénéficié de l’Aide aux cinémas du monde, et de l’aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.