Jan Kounen : « Le court métrage est une école »

Jan Kounen : « Le court métrage est une école »

02 juin 2020
Cinéma
Très court film festival
Très court film festival Très Court film festival
Réalisateur d’une douzaine de courts métrages entre 1986 et 2012, Jan Kounen (Dobermann, 99 Francs, Blueberry, l’expérience secrète…) est le président du jury du Très Court International Film Festival, qui aura lieu du 5 au 14 juin. Le cinéaste nous parle de son rapport au court métrage et revient sur ce festival qui, exceptionnellement cette année, se déroulera en ligne et gratuitement.

Que représente le court métrage pour vous ? C'est un espace d'expérimentation ? De liberté ?

Au départ, le court métrage est forcément un apprentissage, parce qu'il y a cette notion d'essai. On fait un court d'abord pour se former, voir si on est capable de raconter des histoires, et petit à petit on étend la durée. C'est une école. Et puis avec le temps, à partir du moment où on commence à faire des longs, on se rend compte que le court métrage est l'espace d'un certain type d'histoires, qui ne nécessitent pas une heure trente pour être racontées. Pour autant, ces histoires doivent exister et vivre. Ce qui est dommage, c'est qu'aujourd'hui il n'y a pas assez d'espaces pour que les courts métrages aient une vraie viabilité. On ne peut pas en vivre, ce qui fait qu'une fois qu'on est passé au long, on ne va refaire du court que très occasionnellement. Ces dix dernières années, j’ai fait deux courts métrages de fiction : un sketch des Infidèles, qui n'a finalement pas été gardé au montage, et mon film favori, Panshin Beka Winoni. C'est un film de vingt minutes, que j'ai tourné en Amazonie, avec des Indigènes, en langue indigène, dans le cadre d’un film à sketches avec Jane Campion, Gaspar Noé, Gus Van Sant... Une carte blanche absolue.


Mais pourquoi, alors, ne revenez-vous pas plus souvent au court métrage ?

Au cours des deux ou trois dernières années, j'ai vécu cette reprise de liberté ailleurs, en faisant des petits documentaires comme The Journey (Mère Nature en français) ou Vape Wave, et trois expériences de réalité virtuelle. Et quand je dis reprise de liberté, je parle d’une vraie liberté artistique absolue. C'était formidable, mais en même temps j'ai beaucoup apprécié de repasser au système du gros film pour Mon Cousin [NDLR : qui sortira en septembre] : d’un coup, on arrête de bricoler, de demander des services. On a un peu plus de pression, mais c'est beaucoup plus confortable. J’aime beaucoup alterner, monter des projets dans des systèmes différents. En ce moment, je suis plus tourné vers la réalité virtuelle et la réalité augmentée. Et je pense que ces nouveaux espaces offrent cette liberté que j'avais à 25 ans, quand je commençais.

La VR et l’AR sont en train de remplacer le court métrage dans l’espace d’expérimentation ?

Rien ne remplace rien. Le court fait partie du cinéma, point. Le seul risque, c’est que la salle périclite et que les networks dominent. Mais aujourd'hui, la réalité virtuelle est un secteur mieux subventionné, parce qu'il y a un vrai développement technologique. C'est un espace qui risque d'avoir un modèle économique dans les années à venir, contrairement au court métrage. Dans le futur, ça pourrait donc devenir un espace d’expression pour les artistes. S'il y avait une vraie industrie autour du court, je pense qu'il y aurait beaucoup plus de films de ce format faits par des réalisateurs établis.

Mais pour former les nouveaux cinéastes et pour qu’ils puissent prouver qu'ils sont capables de faire des films aux gens qui vont investir beaucoup d'argent sur eux, le court métrage est essentiel.
Très Court film festival
Ces dernières années, le court métrage a beaucoup profité de l’explosion des réseaux sociaux et des plateformes comme YouTube ou Dailymotion.
 

Oui, ça n’a plus rien à voir avec ce que j’ai vécu. Si on fait un bon court métrage aujourd’hui, il peut être vu sur YouTube par dix millions de personnes. Ce qui veut dire qu’un cinéaste émergent a beaucoup plus de concurrence, mais en même temps il a la capacité de diffuser son film dans le monde entier. Et il peut le tourner avec un téléphone, ce qui était encore plus improbable à mon époque !

Justement, quand on a la possibilité de tourner avec du matériel si peu coûteux, pourquoi ne pas passer directement au long métrage ?

Parce qu’il faut apprendre à tourner. Avant de faire une maison de 200 m2, on construit une cabane. Sinon, on va se retrouver avec une quantité de travail énorme : un long, sans un financement à la hauteur, c'est beaucoup de temps de tournage et beaucoup de temps à demander aux gens qui vous entourent. Et même si on y arrive, on va peut-être se retrouver avec des erreurs de débutant et ne rien pouvoir y faire. Et puis le court métrage ne doit pas être pensé comme un pré-film. Ça doit être un film qui peut tenir en soi. Après, avec de la chance, il pourra peut-être permettre de financer un long métrage. C’est d’ailleurs un peu ce que j’avais en tête avec Vibroboy : on avait une idée de long et on a écrit le court, qui aurait presque pu être le début du film. Malheureusement, on n'a jamais réussi à financer le long parce que c'était trop branquignol (rires). Le grand risque de faire un pré-film, c'est de dépenser beaucoup d'énergie pour quelque chose qui va disparaître. Il vaut mieux penser une séquence bouclée, ou reprendre les personnages et l’univers du long qu’on a en tête, et en faire une autre petite histoire dans le même univers. Au moins, si ça rate, on ne s'est pas ruiné.


Aujourd’hui, à quoi sert un festival de courts métrages comme le Très court film festival ? Quelle est plus-value par rapport à YouTube ?

C’est une belle exposition pour ces films. Ce qui est intéressant pour quelqu’un comme moi, qui ne va pas regarder des courts métrages sur YouTube, c’est la sélection. Ça veut dire qu’un tri a été soigneusement fait au milieu d'une offre extrêmement abondante, et qu’il ne reste que le meilleur. Le Très court film festival couvre tous les genres du cinéma : l'animation, le social, la science-fiction, le poétique... L'intérêt d’un festival comme celui-ci, c’est de voir en deux heures beaucoup de talents et beaucoup d'histoires. C’est une bonne façon de prendre le pouls du court métrage.